A l’Est, journalistes et médias dans la tourmente

Reporters sans frontières s’alarme des attaques de plus en plus systématiques auxquelles font face les professionnels des médias qui couvrent les tensions dans l’est de l’Ukraine. A Sloviansk et aux abords de cette ville contrôlée par la “République populaire de Donetsk” pro-russe, le rythme des enlèvements de journalistes s’accélère. A travers toute la région, médias et journalistes sont la cible d’attaques quotidiennes qu’exacerbe une violente guerre de l’information. L’organisation appelle toutes les parties à cesser immédiatement de considérer les acteurs de l’information comme des cibles à abattre ou à contrôler.

Sloviansk, zone de non-droit

Selon l’organisation ukrainienne IMI, partenaire de Reporters sans frontières, dix-neuf acteurs de l‘information ont été arrêtés par les milices pro-russes à Sloviansk depuis le 1er avril. Au matin du 29 avril, au moins deux d’entre eux sont encore entre leurs mains : le correspondant de la chaîne de télévision ukrainienne ZIK (Union d’information de l’Ouest), Iouri Leliavski, et le net-citoyen Artem Deïnega. Le premier est retenu en otage depuis le 25 avril 2014. Originaire de Lviv (Ouest), il a été accusé d’être un “provocateur” alors qu’il filmait des miliciens pro-russes. Artem Deïnega, qui avait installé une caméra sur son balcon de Sloviansk, a été enlevé le 13 avril. Reporters sans frontières est profondément inquiète pour le journaliste Serhiy Chapoval, du site d'information Volin'Post, qui n'est plus joignable depuis le 26 avril. Selon sa soeur, il a déclaré dans son dernier appel téléphonique se trouver à Sloviansk et “ne pas pouvoir en repartir pour l’instant”. Le journaliste Rouslan Koukhartchouk, de l’association Novomedia, a quant à lui affirmé avoir été retenu dans un commissariat de la ville pendant toute la nuit du 27 au 28 avril. Arrêté alors qu’il photographiait une colonne de miliciens, il aurait été interrogé avec un sac sur la tête et un revolver sur la tempe. L’organisation rappelle enfin que Sergueï Lefter, journaliste de profession arrêté à proximité de Sloviansk alors qu’il était en mission d’observation pour l’ONG Open Dialogue Foundation, n’a lui non plus donné aucun signe de vie depuis le 16 avril. “Ces enlèvements ne visent qu’à constituer une réserve d’otages et intimider les journalistes : leur multiplication est intolérable. Sloviansk se transforme sous nos yeux en un Triangle des Bermudes de plus en plus imprévisible, où la sécurité des acteurs de l’information n’est plus garantie. Ceux qui disposent de leviers d’influence sur les autorités autoproclamées de la ville doivent faire tout ce qui est en leur pouvoir pour qu’elles mettent immédiatement un terme à ces actes criminels”, déclare Johann Bihr, responsable du bureau Europe de l’Est et Asie centrale de l’organisation. Depuis le 26 avril, l’administration auto-proclamée de Sloviansk exige que les journalistes présents sur place s’accréditent auprès d’elle. Après vérification du passeport et de la carte de presse, une enquête est menée sur leurs publications précédentes. D’après l’agence de presse officielle russe RIA-Novosti, il est indispensable de produire une lettre de recommandation de la part d’un journaliste déjà accrédité - de préférence de nationalité russe. Des refus d’accréditation ont déjà été rapportés, visant exclusivement des ressortissants européens ou américains. Plusieurs journalistes ont déjà témoigné du fait que ce document était désormais exigé à l’entrée de la ville. Le maire autoproclamé de Sloviansk, Viatcheslav Ponomarev, ne fait pas mystère de l’objectif de cette procédure : “Nous sommes contraints de recourir à de telles mesures car de nombreux journalistes transmettent des informations délibérément mensongères et non vérifiées, a-t-il déclaré à RIA Novosti. (...) Nous avons toutes les données des journalistes, nous pouvons tout à fait suivre ce qu’ils écrivent. Si quelqu’un ment, nous lui demandons de quitter la ville.”

Des correspondants de médias russes interpellés et expulsés

Reporters sans frontières prend acte de l’assignation à résidence le 26 avril du journaliste bélarusse Stepan Tchiritch, arrêté deux jours plus tôt par une milice ukrainienne dans la région de Dnepropetrovsk, en possession de lunettes avec caméra intégrée. Collaborateur de la chaîne de télévision russe NTV, il affirme se trouver en Ukraine pour un reportage sur des actes d’exorcisme. Le journaliste est accusé d’“utilisation de moyens techniques spéciaux permettant de recueillir secrètement des informations” (article 359 du code pénal). L’organisation demande à la justice ukrainienne de mener une enquête impartiale et de ne pas sanctionner de manière disproportionnée l’utilisation d’une caméra cachée s’il n’est pas établi qu’elle participe à des activités d’espionnage. L’organisation condamne de nouveau l’expulsion par les services de sécurité ukrainiens de nombreux journalistes russes. Le 25 avril, deux correspondants de la chaîne russe LifeNews en reportage à Donetsk, Ioulia Choustraïa et Mikhaïl Poudovkine, ont été reconduits à la frontière par le SBU. L’Ukraine a introduit mi-avril des restrictions drastiques à l’entrée dans le pays des ressortissants russes de sexe masculin âgés de 16 à 60 ans.

La guerre des ondes se poursuit

Le 27 avril, un groupe de sympathisants de la “République populaire de Donetsk” a pris d’assaut le siège de la télévision publique de Donetsk. Ils ont remplacé les programmes de la chaîne de télévision publique régionale par ceux de Rossya 24. Le lendemain soir, des individus armés ont pris le contrôle d’un autre centre de télétransmission de la ville. Ils ont interrompu la diffusion numérique des chaînes nationales ukrainiennes et coupé le signal analogique de la plupart d’entre elles, remplacées par des chaînes russes. Le 28 avril, des activistes ont attaqué les locaux de la chaîne de télévision Inter à Kiev, brisant portes et fenêtres et lançant des fumigènes à l’intérieur du bâtiment. Ils étaient initialement venus exiger l’arrêt de la retransmission des séries télévisées russes. Ils sont ensuite allés manifester devant les bureaux de la chaîne ICTV avec la même revendication. Reporters sans frontières déplore que les locaux des chaînes de télévision et les installations techniques soient à nouveau un terrain de la confrontation entre les parties au conflit en Ukraine. Le 18 avril, le centre de télétransmission de Kramatorsk, près de Sloviansk, avait été pris d’assaut par des militants pro-russes. Ces derniers avaient coupé la transmission des chaînes ukrainiennes pour diffuser en lieu et place place des programmes russes. Ce scénario rappelle celui qui s’était généralisé en Crimée en mars 2014. (Photo : AFP / Genya Savilov)
Publié le
Updated on 20.01.2016