Les propositions relatives aux médias adoptées lors du référendum ; un journaliste quitte la prison

Mis en ligne le 19 mai 2011 sur le site du Conseil national électoral, les résultats du référendum du 7 mai dernier donnent la victoire au “oui” sur les dix questions soumises au vote, dont deux concernent les médias. La proposition 3, d’ordre constitutionnel, recommandant l’interdiction de tout investissement du secteur bancaire dans la presse et réciproquement, l’a emporté par 47,2 % contre 41,9 %. La proposition 9, relevant de la loi ordinaire, ouvre la voie à la création d’un conseil de régulation des contenus diffusés et publiés. Elle a été adoptée par 44,9 % de voix favorables contre 42 % négatives. “La majorité des électeurs équatoriens a parlé et nous respectons son choix. Les résultats, serrés sur ces deux propositions, témoignent de la vigueur du débat et sans doute de la nécessité d’assortir les réformes proposées d’importantes contreparties. Nous avons émis des suggestions en ce sens. Nous les croyons toujours valables. La discussion doit se poursuivre dans un climat apaisé qui a jusque là fait défaut”, a déclaré Reporters sans frontières. A cet égard, l’organisation veut voir un signe encourageant dans la libération, le 18 mai 2011, de Walter Vite Benítez, de la station locale Radio Iris, condamné pour “injures” à un an de prison ferme. Le journaliste, incarcéré depuis le 27 avril dernier, a bénéficié d’une décision révoquant sa détention mais qui n’annule pas sa condamnation sur le fond. ______________ 6.05.11 - La question des médias au menu du référendum du 7 mai : “le climat entre la presse et le pouvoir suscite des craintes légitimes” Consultés le 7 mai 2011 sur des thèmes aussi divers que la lutte contre la corruption, le fonctionnement de la justice mais aussi la maltraitance sur animaux et les jeux de hasard, les citoyens équatoriens auront à répondre sur deux questions concernant les médias. Sans nier l’intérêt des questions posées ni le débat légitime qu’elles soulèvent, Reporters sans frontières comprend les craintes qu’elles génèrent au sein de la profession. La première question, incluse dans un lot de cinq appelant une réforme constitutionnelle, est formulée comme suit : “Afin d’éviter les conflits d’intérêt, êtes-vous d’accord pour interdire aux institutions du système financier privé, ainsi qu’aux entreprises de communication privées à caractère national, leurs directeurs et leurs principaux actionnaires, d’être propriétaires ou de détenir une participation actionnariale, respectivement hors du domaine financier ou de la communication ?” La seconde question, issue d’un autre lot de cinq relevant de la loi ordinaire, est ainsi libellée : “Afin d’éviter les excès des médias, êtes-vous d’accord pour que soit adoptée une loi de communication instituant un conseil de régulation qui norme la diffusion de contenus à la télévision, à la radio et dans les publications de la presse écrite se caractérisant par des messages de violence, explicitement sexuels ou discriminatoires ; et qui établisse les critères de responsabilité ultérieure des communicateurs et des médias émetteurs ?” La lettre des propositions suscite des inquiétudes fondées. Concernant la première, il est exact que les entreprises de presse adossées à des groupes financiers et industriels s’exposent par nature à des conflits d’intérêt. Cette dépendance économique pèse lourd sur certains contenus éditoriaux, générant pressions et autocensure. La limiter, sinon la supprimer, est souhaitable, à condition que l’État engage une aide à la presse équilibrée et proportionnée au coût de fonctionnement de chaque média. Le contribuable équatorien supporterait-il une telle dépense ? La nouvelle clause est muette sur cette contrepartie décisive. Par ailleurs, elle ne porte que sur la presse privée alors que les conflits d’intérêts peuvent tout autant affecter des médias publics. La seconde proposition aurait gagné à être plus précise. Que vise-t-elle réellement ? A éviter les excès des médias ? A ce que soit adoptée une loi de communication ? A ce que voit le jour un conseil de régulation habilité à sanctionner les contenus comment ? Reporters sans frontières a consacré une mission à la loi de communication, aujourd’hui bloquée, quand elle était encore en débat en 2010. Nous en avions relevé les aspects positifs, comme la promotion d’un véritable espace audiovisuel pluriel, ménageant une place égale aux médias publics, privés et communautaires, sur le modèle de la loi SCA en Argentine. Nous étions, en revanche, beaucoup plus réservés sur l’instauration prévue dans la même loi d’un conseil de communication et d’information chargée de la faire appliquer et d’exercer un régime de sanctions parfois discutables. La crédibilité d’un tel conseil dépend déjà de sa composition qui, à l’époque, faisait déjà l’objet de nombreuses critiques. Néanmoins, un accord conclu entre tous les partis représentés à l’Assemblée nationale avait exclu que ce conseil puisse censurer ou saisir un média. Nous avions salué ce compromis. Serait-il maintenu avec l’instauration d’un nouveau conseil, au pouvoir de régulation étendu à la presse écrite ? Et pour quels contenus ? La loi de communication posait problème dans sa volonté de promouvoir une “information vraie, opportune et contextualisée”. La qualité de l’information ne se décrète pas par une loi et le même travers se retrouve dans la présente proposition. Punir des contenus racistes, discriminatoires ou appelant ouvertement à la violence est une chose que nous approuvons. Or, les “excès des médias” qu’il s’agit d’empêcher se limitent-ils à ces contenus-là ? Toute l’ambigüité tient dans la formule. Le référendum de ce samedi ne susciterait pas la même controverse sans cette ambiance exécrable née de l’affrontement entre la présidence et une partie de la presse. Que la presse en porte sa part de responsabilité – nous l’avons souligné – ne justifie pas la façon de répliquer du président Rafael Correa et de son administration. Demandes judiciaires exorbitantes, abus de messages à caractère officiel (cadenas) pour attaquer les contradicteurs, attributions ou reprises aléatoires des fréquences par la Commission nationale des télécommunications (Conatel) encouragent les excès et renforcent une polarisation dont le pays n’a guère besoin. Plus grave, un journaliste se trouve aujourd’hui en prison. Pour avoir mis en cause la gestion du maire d’Esmeraldas à l’antenne de la station de radio Iris, Walter Vite Benítez a été condamné à un de prison pour “injures” et envoyé derrière les barreaux, le 27 avril dernier. Contre une tendance générale en Amérique latine et contre les standards juridiques interaméricains, la pénalisation des délits d’opinion reste d’actualité en Équateur. Ce châtiment pour une plainte vieille de trois ans ne répare rien. Il vaut une prime à l’autocensure. Sans préjuger de la réponse souveraine du peuple équatorien au scrutin de samedi, Reporters sans frontières veut croire à une nouvelle donne entre le public, les médias et le gouvernement. Ce défi n’exclut pas l’adoption d’une loi mais il exige d’importantes garanties : -la dépénalisation des délits de presse (hors contenus réellement dangereux, à caractère pédophile ou incitant explicitement à la violence, au racisme et à la discrimination),
-le strict encadrement des cadenas dans leur contenu et leur durée,
-l’attribution juste et proportionnée de la publicité officielle hors de tout critère autre qu’économique,
-la refonte du registre des fréquences audiovisuelles et des institutions chargées de leur régulation ou octroi,
-le maintien du compromis parlementaire de décembre 2009 interdisant la saisie ou la censure directe d’un média par l’autorité administrative.
Publié le
Updated on 20.01.2016