Les médias libyens cibles d’exactions au coeur de l’instabilité ambiante

Reporters sans frontières réitère avec désarroi son inquiétude face à l’environnement dans lequel les professionnels des médias libyens sont contraints de travailler, craignant pour leur sécurité, leur intégrité, et de plus en plus, pour leur vie. Intimidations, enlèvements, détentions arbitraires et autres violences continuent de perturber le travail des acteurs médiatiques sans que les autorités libyennes ne semblent prendre des mesures nécessaires pour endiguer de telles menaces. Aujourd’hui plus que jamais, les médias libyens sont pris pour cible au coeur des conflits sécuritaires et crises politiques qui ne cessent d’ébranler l’Etat nord-africain en proie à une difficile transition. Le 6 mars 2014, en quittant Tripoli, Ayman Al-Shetawi, journaliste et rédacteur pour les journaux Febrayir et Yefren Times, a été arrêté à un checkpoint de la ville de Al-Azizia, à une cinquante de kilomètres au sud de Tripoli où se trouve la tribu des Warshafana, alors qu’il se rendait à Yéfren, d’où il est originaire. Aucune nouvelle de lui n’a été reportée depuis. Son enlèvement semble être la conséquence directe du conflit qui oppose la tribu des Warshafana et, entre autre, les brigades de Suq Al-Jumaa, à l’est de la capitale libyenne, suite au raid organisé le 19 janvier dernier par des milices d’anciens révolutionnaires qui se sont rassemblés sous la bannière de la “Chambre opérationnelle des Révolutionnaires” et de la “Chambre opérationnelle conjointe de Tripoli”. Cette opération armée avait pour but d’arrêter plusieurs dizaines de membres de gangs accusés d’être responsables de divers crimes dans la ville de Warshafana, au sud-ouest de Tripoli. Elle s’est finalement transformée en un véritable conflit armé, causant la mort et l’arrestation de nombreuses personnes dans les deux camps.. Selon plusieurs témoignages, l’enlèvement de Ayman Al-Shetawi aurait donc pour but de servir de “monnaie d’échange” afin que les brigades de Suq Al-Jumaa relâchent les prisonniers originaires de Warshefana. D’autres cas similaires de kidnappings orchestrés par les différentes parties du conflit ont été rapportés à Reporters sans frontières, sans que leurs noms ne puissent toutefois être publiés pour des raisons de sécurité. Les professionnels des médias se trouvent donc aujourd’hui dans une situation particulièrement délicate que les tensions sécuritaires et politiques ne font qu’exacerber. Le 3 mars 2014, la chaîne publique Libya Al-Rasmiya a été prise d’assaut par des groupes armés entre 17 heures et 20 heures. Aucune victime n’a été recensée bien que les raisons de cette attaque semblent, selon une employée de la chaîne, avoir été motivées par un manque d’engagement des autorités libyennes pour résoudre des difficultés internes rapportées par des salariés concernant la direction d’Al-Rasmiya, et notamment en la personne de son directeur, Jumaa Al-Aribi. Faute de résolution aux problèmes de la chaîne, la “Brigade de forces spéciales de dissuasion” (قوات الردع الخاصة)/(Special deterrence forces) dirigée par Abdel Raouf Kara est intervenue à la demande des employés de la chaîne. La veille, le correspondant de la chaîne satellitaire Al-Nabaa, Safwan Abousahmein, a été enlevé par quatre manifestants en possession d’armes blanches lors de la prise d’assaut du Congrès général national (Parlement transitionnel libyen, GNC), alors que le journaliste se trouvait initialement sur place pour couvrir la session parlementaire. Safwan Abousahmein a été rattrapé par les assaillants alors qu’il tentait de s’échapper du GNC et a été détenu pendant près de trois heures. Durant sa détention, le journaliste a été sommé d’arrêter de couvrir les sessions du Congrès, et plusieurs insinuations fausses ont été faites à son sujet, dont celles de soutenir le GNC et d’être le fils de son président, Nouri Abousahmein. Après plusieurs heures de pourparlers, les ravisseurs ont admis que le journaliste n’était pas un des membres de la famille du président, et l’ont finalement relâché. Les deux photographes Faddan Hussein Al-Sakit et Ibrahim Saeed Abdelda’im (عبدالدائم), ainsi que le journaliste Ibrahim Abdelkader Rieda de la chaîne publique Al-Wataniya dépendant de la branche de Sabha (sud du pays), enlevés à Tripoli sur la route de l’aéroport le 10 février dernier, ont été gardés en détention pendant quatre semaines sans que les raisons de leur enlèvements ni l’identité de leurs ravisseurs ne soient connues jusqu’à ce jour. Reporters sans frontières déplore le manque de sécurité patent auquel sont confrontés les journalistes libyens. L’organisation appelle les autorités libyennes à mettre en place des mécanismes de protection législatifs et judiciaires au plus vite afin que les crimes commis à l’encontre des professionnels des médias soient endigués et que l’impunité et le cycle de violence cessent de régner en Libye. RSF rappelle à cet égard que la Libye est opposable à ses obligations nationales et internationales en termes de liberté d’information de part sa Déclaration constitutionnelle et des différents textes internationaux auxquels elle est partie. En ne respectant pas ses engagements internationaux en matières de droits de l’homme la Libye ne pourra en aucun cas établir un Etat démocratique, dessein premier de la Révolution du 17 Février pour lequel le peuple libyen s’est battu.
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Updated on 20.01.2016