Les familles des victimes du massacre de Maguindanao attendent toujours que justice soit faite

Deux ans jour pour jour après le massacre de 32 professionnels des médias, exécutés par la milice privée du gouverneur de la province de Maguindanao, Reporters sans frontières réaffirme tout son soutien aux familles des victimes, et s’inquiète des lenteurs de la justice et de l’impunité persistante. "Nous sommes préoccupés par le peu de progrès de l’instruction et la multiplication à l’envie des reports d’audience. Deux ans après le pire massacre que la profession n’ait jamais connu, moins de la moitié des coupables ont été arrêtés ; aucun n’a été condamné. La plupart d’entre eux ne sont même pas poursuivis sous des chefs d’accusation précis. De plus, les commanditaires usent de tous les recours juridiques possibles pour échapper à leurs responsabilités. Nous souhaitons qu’une justice impartiale soit rendue, et ce, dans les plus brefs délais", a déclaré Reporters sans frontières. "Nous accueillons favorablement les dernières décisions de la Justice philippine de rejeter les recours de différentes personnes impliquées, mais tenons à rappeler sa responsabilité à l'égard des familles des 32 journalistes tués. Il serait inacceptable que celles-ci attendent indéfiniment la condamnation des commanditaires du massacre et de leurs exécutants. C’est la crédibilité de la justice philippine qui est aujourd’hui en jeu, ainsi que la sécurité des journalistes dans le pays pour les années à venir", a ajouté l'organisation. Au début du mois de novembre, la Cour d’appel a rejeté la demande de Zaldy Ampatuan, un des principaux accusés, de rétablir une décision rendue par l’ancien ministre de la Justice, Alberto Agra, qui l’avait absous de complicité dans la planification et l’exécution du massacre. Le 16 novembre, il a fait appel d’une décision refusant son retrait de la liste des responsables. Enfin, le 21 novembre, les familles des victimes ont demandé au Ministère de la Justice de rejeter l’offre de Zaldy Ampatuan de se constituer témoin d’Etat dans l’affaire de fraude électorale contre l’ancienne présidente Arroyo, qui lui aurait permis de bénéficier du traitement préférentiel réservé aux témoins d’Etat. Le procès du clan Ampatuan L’affaire a connu de nombreux rebondissements au cours de l’année 2011, dont certains ont mis en lumière le décalage important entre les règles juridiques existantes et l’efficacité réelle des audiences du procès. Le 3 février 2011, une audience, consacrée aux résultats des autopsies des victimes, avait été interrompue, à cause des cris et des insultes de la veuve d’un journaliste victime du massacre, se trouvant à l’extérieur du tribunal, contre des avocats du clan Ampatuan. L’avocat de la défense, Andres Manuel, avait suggéré que les victimes avaient pu décéder antérieurement aux blessures par balles. Selon lui, elles avaient également pu s’infliger elles-mêmes leurs blessures. Le 12 avril 2011, une résolution de la Cour d’appel avait sommé Monette Salasay, veuve de Napoleon Salaysay, journaliste à Mindanao Gazette, et Rowena Paraan, directeur de l’Union nationale des journalistes, de s’expliquer sur les commentaires leur étant attribués dans un article publié dans le Philippine Daily Inquirer, qui auraient mis "en cause l’impartialité de la justice", et auraient suggéré "la corruption de fonctionnaires d'Etat". La résolution pouvait amener à une accusation d’outrage passible de prison et d’amende. Le 27 mai 2011, Andal Ampatuan Sr. et neuf autres personnes ont été officiellement mis en accusation. Plusieurs organisations ont dénoncé le fait que vingt et une autres, dont cinq membres du clan Ampatuan, n'étaient toujours pas inquiétées. Le 1er juin 2011, Andal Ampatuan Sr. a plaidé non coupable. Le 14 juin, pour la première fois dans l’histoire du pays, la Cour suprême a autorisé la couverture en direct du procès, à la radio et à la télévision, suite à la demande de plusieurs médias et des plaignants. Des restrictions quant à la diffusion des audiences, ont été dénoncées par certains médias. Le 1er juillet 2011, Jocelyn Reyes-Solis, juge de la Regional Trial Court (RTC), a rejeté les demandes d’Andal "Unsay" Ampatuan Jr. du 20 août et du 16 septembre 2010, concernant l’irrecevabilité du témoignage de 33 accusés et de Kenny Dalandag, homme de sécurité du clan ayant admis son implication. Au cours du même mois, Leila de Lima, ministre de la Justice, a rejeté la proposition de Zaldy Ampatuan, ancien gouverneur de la Région autonome en Mindanao musulmane, de se constituer témoin d’Etat dans une affaire de fraude fiscale. La proposition avait pour but l'échange de son témoignage contre le retrait de son nom de la liste des principaux suspects. Le 8 août, la Cour d’appel a, à son tour, rejeté la proposition. Le 31 août 2011, les avocats de la défense se sont insurgés de ne pas avoir été prévenus de la présentation d’un témoin de l’accusation à la barre. Le 29 septembre, ils ont tourné en dérision le témoignage de la mère de l’une des victimes. En novembre 2011, une source policière a indiqué que certains suspects se cacheraient toujours dans des zones contrôlées par le Front Moro, mouvement politique au pouvoir dans la région autonome, notamment Kanor et Bahnarin Ampatuan. Au total, 93 responsables ont été arrêtés et 103 seraient toujours en liberté. Reporters sans frontières rappelle qu'au début de l'année 2010, le président Benigno Aquino III, qui s’était engagé à lutter contre l’impunité, avait fait du massacre de Maguindanao l’un de ses principaux thèmes de campagne. La veuve de l’une des victimes apparaissait notamment dans l’un de ses spots électoraux. Aujourd'hui, l'organisation, qui soutient la campagne contre l'impunité menée par les membres de l'International Freedom of Expression Exchange (IFEX), appelle le Président et le gouvernement philippin à tout mettre en œuvre pour que l'année 2012 voit le dénouement du procès du massacre d'Ampatuan et la fin de l'impunité qui règne encore aux Philippines. ________________________________ 31-08-2011 : Reprise du procès du massacre de Maguindanao : les éclairages d’une avocate et d’une journaliste 22-11-2011 : Hommage aux victimes, un an après le massacre de Maguindanao
Publié le
Updated on 20.01.2016