Les autorités utilisent le spectre de la guerre civile pour museler la presse : elles feraient mieux de relancer le dialogue avec les représentants des médias

Depuis le mois de septembre 2010, les autorités tadjikes ont lancé une offensive à l’encontre de la presse critique de l’action gouvernementale, la taxant de « complicité avec les terroristes », selon l’expression employée par le ministre de la Défense, Cherali Khaïroullaïev. Ce dernier a accusé, dans une lettre ouverte du 4 octobre, publiée par l’agence officielle Khovar, dix-sept titres* ayant couvert l’attaque d’un convoi de militaires tadjiks par des combattants, possiblement du Mouvement islamique d’Ouzbékistan, le 19 septembre, dans la vallée du Rasht (Est), de « commettre un crime grave ».



En dépit des protestations des médias visés et d’organisations de défense de la liberté de la presse comme Nansmit (association nationale des médias indépendants), via son président, Nouriddine Karchiboïev, les autorités poursuivent le bras de fer avec la presse. Ainsi, le 28 septembre, une enquête fiscale a été lancée contre les journaux Faraj, Negah et Millat. Le lendemain, trois imprimeries privées, publiant les titres attaqués, ont commencé à faire l’objet d’une mesure similaire. Le directeur de la société AToliev Print, Siavosh Hamdamov, a précisé qu’il s’agissait « plutôt d’une attaque que d’une enquête », et que le personnel avait été interrogé sur les journaux en question. Le 5 octobre, le Président Emomali Rakhmon, a accusé « certains médias de prendre exemple sur les années 90 (période de la guerre civile), et d’être belliqueux ». Dans le même temps, il a reproché aux journalistes de ne chercher qu’à « faire sensation », avant de les mettre en garde. Selon le chef de l’Etat, cela ne « (leur) servira à rien d’espérer le soutien de leurs protecteurs étrangers ». Depuis, les déclarations se sont multipliées, notamment de la part du ministre de l’Education, et elles n’ont pas tardé à être accompagnées par des pressions encore plus directes. La réaction des autorités tadjikes est à la fois disproportionnée et extrêmement nuisible à l’image du pays. Si elles entendent prouver qu’elles contrôlent la situation, le résultat est malheureusement tout autre. Nous comprenons que la stabilité du pays, déchiré par cinq ans de guerre civile, tienne au cœur des dirigeants, mais celle-ci ne sera pas protégée des mesures brutales et illégales. Nous les appelons à répondre favorablement aux propositions de dialogue des journalistes et défenseurs des médias, mais aussi à mettre un terme immédiat aux blocages qui entravent de manière injustifiée l’activité de la presse. Le 14 octobre, les directeurs de plusieurs médias et organisations de défense ont sollicité un entretien auprès du conseiller du président, S. Fatoïev pour aborder les difficultés dans le champ médiatique. Le même jour, l’Association des médias indépendants du Tadjikistan, s’est adressée au ministre de la Défense, l’exhortant à donner des exemples précis pour étayer ses accusations de complicité avec les terroristes. Plusieurs sites d’informations indépendants sont à ce jour bloqués. Celui de l’agence de presse indépendante, Avesta.tj, du site d’informations et d’analyse de l’Asie centrale, ferghana.ru. Mais aussi de Tjknews.com, Centrasia.ru. Bien que le gouvernement se refuse pour l’heure à tout commentaire, de forts soupçons planent sur les autorités.



Zafar Abdoullaïev, le directeur d’Avesta.tj, fait remonter ce blocage au 29 septembre. Il mentionne avoir pris contact avec plusieurs fournisseurs d’accès Internet qui auraient reconnu avoir reçu des instructions officielles pour bloquer les sites. Un moyen de pression qui prive les médias visés de tout recours puisque la décision n’a aucune existence officielle. En revanche les effets sont bien réels et pour des médias électroniques, dont la situation financière est déjà fragile, ils sont lourds de conséquences. Les titres de la presse traditionnelle visés par les autorités sont désormais dans l’œil du cyclone. L’hebdomadaire Faraj, n’a pu paraître pour la deuxième semaine, aucune imprimerie n’ayant accepté de se charger du titre. Le 13 octobre, le journal Païkhon, a cessé de paraître pour les mêmes raisons. La situation déjà précaire de la presse indépendante au Tadjikistan se heurte à une hostilité de longue date de la part des détenteurs de l’autorité. Mais les tensions n’ont fait que s’accentuer depuis le début de l’année 2010. Et la recrudescence des violences liées à la guerre en Afghanistan, et au rôle du Tadjikistan dans cette dernière ne font que raviver un feu qui couve. En juillet 2010, le vice mufti du Tadjikistan, Saïdjon Sorbonkhodj, avait publiquement appelé le gouvernement à fermer tous les médias indépendants, responsables, selon lui, des mouvements de protestation et des critiques envers le gouvernement. Il a plus spécifiquement désigné les titres Faraj et Païkhon comme fauteurs de troubles. Le Tadjikistan est une ancienne république soviétique. Pratiquement dès son indépendance, elle a été ravagée par une guerre civile qui, de 1992 à 1997, a fait plus de 50 000 victimes et a poussé à l’exil environ un dixième de la population du pays (estimée à environ 7 millions). Depuis le pays subit les conséquences de la guerre en Afghanistan, avec un narcotrafic inquiétant (environ 80 % de la drogue saisie en Asie centrale) et les incursions de militants islamistes, parfois suspectés de trouver refuge dans les montagnes tadjikes. *Parmi les titres ayant publié des articles critiquant la façon dont le ministère de la Défense gère les opérations militaires se trouvent Asia plus, Faraj, Ozodagon, Negah, Païkhon, Fakty i Kommentarii, Sobytia, Bizness i Politika, Tojikiston, Digest Press, Tcharikhi Gardoun, etc.
Publié le
Updated on 20.01.2016