Les autorités chinoises gardent leurs anciens prisonniers de conscience sous contrôle

Les autorités procèdent depuis plusieurs mois à de prétendues libérations, masquant en réalité des assignations à résidence, des persécutions ou, plus inquiétant encore, des disparitions forcées. Elles semblent décidées à ne jamais totalement libérer les prisonniers de conscience, mettant tout en œuvre pour les maintenir isolés de leur famille et du reste de la société, en coupant leurs moyens de communication ou en restreignant leurs déplacements. Elles procèdent également au confinement d’écrivains, d’avocats, de dissidents et de défenseurs des droits de l’homme, en bloquant leur ligne téléphonique et leur connexion Internet pour les couper du monde extérieur. Reporters sans frontières condamne fermement de tels agissements qui violent le droit international et consistent à faire de chaque ancien prisonnier un prisonnier à vie. L’organisation publie un rapport faisant état de différentes méthodes iniques de la “justice” chinoise. Nous rappelons que la Chine est considérée comme un Ennemi d’Internet et figure en 171ème position, sur 178 pays, dans le classement mondial de la liberté de la presse réalisé par l’organisation. Des libérations suspectes Le gouvernement semble avoir négocié la libération de Zhao Lianhai contre son silence et ses excuses publiques, afin d’encourager les autres dissidents à l’autocensure. Le 28 décembre 2010, contre toute attente, le net-citoyen a annoncé sa libération sur son blog. Il affirme dans son article être soigné dans un hôpital et ne pas souhaiter être contacté. En contradiction totale avec ses déclarations antérieures, il a présenté ses excuses aux autorités : “je soutiens, reconnais et remercie le gouvernement et j’exprime de profonds regrets pour mes opinions extrémistes passées visant le gouvernement”. Son portable et celui de sa femme ont été coupés. Son avocat, M. Li Fangping, a affirmé à l’Agence France-Presse “être dans l’impossibilité de confirmer la libération de son client”. Le 10 décembre dernier, des journalistes qui voulaient enquêter sur la rumeur de sa libération avaient tenté de se rendre au domicile de Zhao Lianhai. Ils avaient été empêchés d’approcher l’appartement, et certains avaient été agressés. Zhao Lianhai avait été arrêté en novembre 2009 et condamné, plus d’un an après, à deux ans et demi de prison pour avoir créé un site Internet d’information et de mobilisation ("Kidney Stone Babies") sur le scandale du lait contaminé par la compagnie Sanlu. Le net-citoyen avait d’abord annoncé vouloir contester la décision de justice et entamé une grève de la faim. Par la suite, dans un retournement de situation surprenant, il avait renoncé à voir ses avocats et à faire appel. Certaines organisations de défense des droits de l’homme soupçonnent qu’un accord a été passé entre Zhao Lianhai et les autorités en vue d’une libération conditionnelle, peut-être pour raison médicale. Des libérations suivies d’intimidation Les menaces et les intimidations continuent souvent après la “libération” des prisonniers de conscience. Libéré le 23 janvier 2011, He Depu (何_普), membre du Parti démocrate chinois et auteur de nombreux essais publiés sur Internet, a été violemment frappé par des officiers de police dès sa sortie de prison. Arrêté en novembre 2002, il avait été condamné, le 6 novembre 2004, au terme d’une parodie de procès d’à peine deux heures, à huit ans de prison par la cour numéro un de Pékin. D’autres militants, journalistes ou internautes sont quant à eux soumis à une forme d’isolement, voyant leurs moyens de communication coupés : les activistes Fan Yafeng, Ai Weiwei, ou encore Wu Gan, l’écrivain Xia Shang, mais aussi la blogueuse Woeser ont notamment vu leur accès à Internet ou à leur ligne de téléphone portable restreint voire coupé. Deux cas illustrent plus particulièrement les nouvelles méthodes des autorités chinoises, qui utilisent l’interpellation et l’isolement comme une réelle forme de harcèlement moral : l’avocat des droits de l’homme Mo Shaoping a été arrêté à son bureau le 10 décembre 2010. Libéré le lendemain, son portable a été coupé sans explication le 12 décembre. L’activiste signataire de la charte 08 Zhang Zuhua a quant à lui été arrêté par des officiers en pleine rue, interpellé puis libéré en décembre 2010. Sa connexion Internet et son portable ont eux aussi été coupés. Empêchant toute communication avec la société, mais plus particulièrement avec leurs proches et les opposants au régime, les autorités espèrent pouvoir placer les dissidents sous tutelle et limiter la diffusion d’informations déjà largement manipulées. Assignation à résidence Autre moyen de contrôle des dissidents prétendument libérés : l’assignation à résidence. Un témoignage exclusif, sous forme d’une vidéo réalisée clandestinement, a récemment révélé les méthodes de surveillance chinoises et les conditions de détention des journalistes, activistes ou net-citoyens du pays. Le célèbre avocat, Chen Guangcheng (陳光誠), que la Chine tente de faire passer pour un homme libre, est parvenu à réaliser clandestinement une vidéo sur ses conditions de vie. Dans ce témoignage, publié par une organisation de défense des droits de l'homme, China Aid Association, Chen Guangcheng raconte sa “détention à domicile” par les autorités chinoises : le militant et sa famille sont surveillés 24 heures sur 24 par une soixantaine de vigiles. L’avocat décrit les “méthodes de voyous” employées à son encontre. Sa femme, Yuan Weijing, lasse d’être épiée, affirme : "Afin de bloquer leur regard j'ai empilé des tiges de maïs devant la fenêtre, mais ils ont installé un escabeau et de là-haut ils nous observent". Les autorités se seraient livrées à une campagne de diffamation dans le quartier, affirmant que Cheng Guangcheng était un “traître” et un “contre révolutionnaire”. La police aurait également installé des systèmes de vidéo-surveillance dans le quartier, et bloquerait les communications téléphoniques. Le militant, qui avait été nominé pour le prix Nobel de la Paix, résume ce qui semble devenir la nouvelle politique du parti: "J'ai quitté une prison étroite pour une plus grande". L’avocat avait été emprisonné le 21 juin 2006 et condamné en août à une peine de 4 ans et 3 mois de prison, suite à ses enquêtes sur les avortements et les stérilisations forcées en Chine. Aveugle, frappé et privé de nourriture durant sa détention, le militant a été libéré officiellement le 8 septembre 2010. En réalité, il reste assigné à résidence dans la province rurale du Shandong (Est). Depuis cinq mois, aucune nouvelle du dissident n’avait filtré. Liu Xia, la femme du lauréat du prix Nobel de la paix Liu Xiaobo, est toujours assignée à résidence depuis le 8 octobre 2010, date de l'attribution du prix à son mari. Celui-ci purge une peine de onze ans de prison. Elle est parvenue à se connecter à Internet quelques minutes le jeudi 17 février, et s'est confiée à un ami en disant qu'elle se sentait "misérable”, que sa famille était prise en "otage" et que "personne ne pouvait l'aider". Elle est hermétiquement tenue isolée, coupée de toute connexion avec le monde. Elle avait pu rendre visite une dernière fois à son mari, en octobre 2010. Ses conditions de détention sont inacceptables. Certains anciens prisonniers politiques font parfois l’objet d’une stratégie de communication obscure du gouvernement chinois Cinq photos de Hada, journaliste et militant des droits de l’homme, en compagnie de sa femme et de son fils, ont été postées anonymement le 11 décembre 2010, sur le site Boxun, avec la légende « réunion de famille », alors que leur famille était, à l’époque, sans aucune nouvelle d’eux. Hada aurait dû être relâché le 10 décembre 2010, au terme de sa peine de 15 ans de prison. Les autorités chinoises sont cependant restées muettes sur son sort et celui de sa famille. Ils seraient actuellement assignés à résidence. Les autorités ont tenté de brouiller les pistes sur leur situation. Un haut responsable chinois, M. Jin, a déclaré, le 14 décembre 2010, que Hada, sa femme et son fils étaient en sécurité et profitaient des retrouvailles en famille dans un « hôtel de luxe cinq étoiles », mais qu’ils avaient désormais besoin « d’un peu de temps au calme pour préparer les prochaines étapes », sans dévoiler l’adresse de l’hôtel. Confirmant les propos de M. Jin, Haschuluu, l’oncle de Hada, aurait reçu, le 13 décembre, un SMS du portable de Xinna, qui aurait été rédigé par Hada, déclarant : « J’ai été relâché. Mon fils Uiles a également été libéré. Nous sommes tous les trois réunis désormais ». Suite à la publication anonyme, en janvier 2011, d’une vidéo floue d’un homme supposé être Hada, Haschuluu a déclaré qu’il avait finalement été autorisé à rencontrer son neveu, dans un lieu sous surveillance militaire. Selon Haschuluu, Hada serait sous-alimenté, et sans nouvelle de sa femme et de son fils, ce qui contredit les propos du SMS qui lui avait été précédemment attribué. La résidence exacte du net-citoyen reste toujours inconnue. L’organisation SMHRIC a reçu par la suite une nouvelle vidéo du journaliste. Le film montre cette fois clairement Hada et son oncle s’avançant vers la caméra, une rencontre qui semble orchestrée par les autorités. Enfin, le 21 février, une autre vidéo a été postée sur YouTube par tianguodenver, un pseudo connu pour être utilisé par les autorités chinoises. Ce dernier film montre une interview de Hada, de sa femme et de leur fils, mise en scène avec attention. Xinna y témoigne de l’humanité dont font preuve les autorités envers sa famille. Les images montrent pourtant clairement que la santé de Hada s’est dégradée. Leur lieu de résidence reste toujours inconnu. D’autres net-citoyens, journalistes ou activistes, censés être libres et jouir de leur droits de citoyens, voient également leurs déplacements restreints et font l’objet de pressions de la part des autorités. L’activiste Gu Chuan a été abordé en décembre 2010 par des officiers lui ayant ordonné de ne pas quitter son domicile. Le professeur et militant Xu Zhiyong, sur la même période, a été suivi dans tous ses déplacement par six policiers. Les officiers de la sécurité nationale, toujours en décembre 2010, ont empêché l’avocat Li Xiongbing de se rendre à une conférence organisé par la délégation européenne en Chine. Libération à la hâte Le gouvernement, souhaitant garder le contrôle d’une image pourtant déjà ternie, libère des prisonniers à l’article de la mort, afin de ne pas être rendu responsable de leur décès, alors que durant leur période de détention leur droit d’accès aux soins leur a été refusé. L’histoire de Zhang Jianhong, plus connu sous le nom de Li Hong, a tristement fait la lumière sur l’imposture. Le rédacteur en chef du magasine littéraire aiqinhai.org, fermé en 2006 par les autorités pour avoir diffusé du « contenu critique envers le gouvernement chinois », est décédé le 31 décembre 2010, à l’hôpital de Ningbo dans la province du Zhejiang, en présence de policiers empêchant d’autres dissidents de se rendre à son chevet. Il a succombé des suites d’une maladie qui n’a jamais été traitée durant ses trois ans d’emprisonnement. Arrêté en 2006 et condamné en 2007 à six ans de prison pour « incitation à la subversion du pouvoir de l’Etat », Li Hong avait été libéré à la hâte, en juin 2010, pour « raison médicale » et immédiatement envoyé à l’hôpital de Ningbo. Les autorités avaient refusé en 2007 puis en 2008, d’accorder une libération anticipée pour raison médicale à Li Hong. Li Hong publiait de nombreux articles, certains soutenant notamment l’avocat chinois Gao Zhisheng, et écrivait également pour les sites d’informations Boxun et La Grande Epoque. Ses trois ans de détention, effectués dans des conditions précaires, sans accès aux soins, rythmés par de probables actes de maltraitance, ont indéniablement contribué à l’affaiblir. Disparition forcée Certains dissidents malades “disparaissent" également mystérieusement à leur sortie de l’hôpital. La militante des droits de l’homme et cyberdissidente Govruud Huuchinhuu, membre de la Southern Mongolian Democratic Alliance (SMDA), est portée disparue depuis le 27 janvier 2011, date de sa sortie de l’hôpital de Tongliao, en Mongolie Intérieure au nord de la Chine, où elle était soignée pour un cancer. Huuchinhuu était assignée à résidence depuis novembre 2010, pour avoir appelé sur Internet les dissidents mongols à célébrer la “libération” de Hada. Huuchinhuu a publié plusieurs essais critiquant la politique ethnique des autorités chinoises en Mongolie Intérieure. L’écrivain et militante des droits de l’homme était aussi très active sur Internet, où elle administrait notamment trois sites (www.nutuge.com, www.ehoron.com, www.mongolger.net) désormais fermés par le gouvernement. Assignée à résidence, elle était surveillée en permanence par une vingtaine de policiers. Les autorités vont jusqu’à refuser d’enregistrer des dissidents comme “personnes disparues”. Goa Zhisheng, un célèbre avocat, avait été interpellé à son domicile de Shaanxi le 4 février 2009 par des agents du Département de la sécurité publique. En septembre 2009, la police avait annoncé à sa famille, sans nouvelles depuis son arrestation, qu’il avait "disparu". Il aurait "réapparu" en mars 2010, apparemment relâché par les autorités, plus d’un an après son interpellation, alors que la pression internationale augmentait. Il avait alors donné plusieurs interviews. Cependant, harcelé par la police, il avait ”disparu” à nouveau moins d’un mois après sa "libération", en avril 2010. Les autorités ont affirmé qu’elles ne disposaient d’aucune nouvelle, et ont refusé d’enregistrer le cas de Gao Zhisheng comme une "disparition". L’avocat a notamment soutenu la cause des expropriés et des chrétiens harcelés par les autorités. En 2006, il avait entamé, avec des activistes, dont Hu Jia, une "grève de la faim rotative pour les droits de l’homme". Sa femme et ses deux enfants ont été contraints à l’exil aux États-Unis le 11 mars 2009. Son nom avait été proposé par des parlementaires américains pour le prix Nobel de la paix 2008.
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Mise à jour le 20.01.2016