Le terrain libyen toujours extrêmement dangereux pour les journalistes

En dépit de l’initiative parrainée par la mission de soutien des Nations unies en Libye (UNSMIL) le 29 septembre dernier à Ghadamès, visant à mettre en place un cessez-le-feu et des pourparlers entre les différents acteurs politiques et factions armées, la Libye continue d’être en proie à de violents affrontements. Les journalistes libyens sont parmi les principales victimes du chaos politico-sécuritaire ambiant qui ne cesse d’ébranler le pays depuis la fin de la révolution et la chute du régime de Kadhafi.

Reporters sans frontières condamne avec la plus grande fermeté l’assassinat de Al-Tayeb Issa, un des fondateurs de la chaîne privée satellitaire Touareg Toumsat, le 5 octobre dernier dans le sud du pays, et celui du journaliste Motassem Al-Warfalli, trois jours plus tard dans la ville de Benghazi. Le corps d’Al-Tayeeb Issa a été retrouvé criblé de balles sur la route entre Obari, d’où il est originaire, et Ghat, dans le sud-ouest du pays. Sa voiture a été brûlée. Selon l’un de ses collègues, Al-Tayeeb, qui était également le directeur financier de la chaîne, était une personne respectée et discrète et n’avait auparavant jamais reçu de menaces. Depuis la mi-septembre, la ville d’Obari a été la scène d’affrontements armés violents entre les communautés des Tébu et des Touareg. Les combats entre les deux communautés ont éclaté après qu'un groupe de Touareg, a priori venant d’une autre région et soutenant l’Opération Aube de la Libye, a essayé de prendre en charge la station d'essence principale de Obari qui était initialement protégée par une force tébu locale. Le jeune présentateur de la radio Sawt Libya Al-Watan, Motassem Al-Warfali a pour sa part été assassiné dans l’est du pays à Benghazi par des hommes armés qui lui ont tiré dessus depuis une voiture avant de prendre la fuite. Le journaliste était connu comme étant partisan du groupe Ansar Al-Sharia, considéré par le gouvernement libyen et les Etats-Unis comme une organisation terroriste. Bien que les motifs liés à ces deux assassinats restent inconnus à ce jour, Reporters sans frontières n’écarte pas la possibilité que leur statut de journaliste ait pu motiver ces crimes, et demande expressément aux autorités libyennes de lancer au plus vite des investigations sans écarter la piste professionnelle. Comme l’a rappelé le Conseil des droits de l’homme de l’ONU dans sa résolution du 22 septembre dernier sur la “Sécurité des journalistes”, la Libye doit impérativement “veiller à ce que les responsabilités soient établies en diligentant sans tarder une enquête impartiale, approfondie, indépendante et efficace chaque fois que sont signalés des actes de violence contre des journalistes et des professionnels des médias se trouvant dans une zone relevant de leur juridiction, à traduire en justice les auteurs de ces crimes, y compris ceux qui commettent, participent à une entente en vue de commettre, aident ou incitent à commettre ou dissimulent de tels crimes, et à veiller à ce que les victimes et leur famille aient accès à des recours utiles”. Reporters sans frontières réitère sa profonde inquiétude face au sort réservé aux professionnels des médias dans la Libye actuelle, pour qui il est devenu de plus en plus difficile d’exercer leur métier sans craindre d’être persécutés, violentés voire assassinés. Les médias continuent d’être pris pour cible Dans la nuit du 9 octobre, le siège de la radio privée Al-Midan FM, situé dans la ville de Zawiya, à l’ouest de Tripoli, a été pris d’assaut par un groupe armé. Les ravisseurs ont alors pillé matériel et équipements, dont le transmetteur de la radio, et ont détruit une partie de l’installation de la chaîne. La radio avait déjà reçu de nombreuses menaces mais avait continué de diffuser ses programmes sociaux et politiques. Dans un communiqué diffusé sur la page Facebook de la radio, les responsables de la chaîne ont qualifié cette attaque de “terroriste et lâche” et accusé ses auteurs de “vouloir faire taire les médias libres et de mettre la main dessus”. Aucun partie n’a revendiqué cette mise à sac jusqu’à présent. Vers 19 heures, le vendredi 10 octobre, l’un des présentateurs de la chaîne satellitaire privée Al-Assima, Mo’az Al-Thaleeb, a été enlevé au centre de la capitale libyenne dans le quartier de Salah El-Din. Selon un membre de la famille de Mo’az, des hommes armés ont emmené le journaliste au sein du camp miliaire Al-Yarmouk sous contrôle de la chambre d’opération des révolutionnaires de Tripoli et sous celui des membres de l’opération Aube de la Libye. Le journaliste a été relâché deux jours plus tard. Mo’az, qui est également étudiant en sciences humaines, avait auparavant reçu plusieurs menaces liées à sa profession. Depuis ces derniers mois, plusieurs radios libyennes ont arrêté de diffuser certains programmes, notamment politiques, voire ont arrêté toute émission. C’est aussi le cas de nombreux journaux, comme Al-Mayadeen à Tripoli ou Al-Ahwal à Benghazi, de peur d’être attaqués par certains groupes armés. Ces arrêts préventifs de diffusion médiatique sur la scène libyenne viennent renforcer le sentiment d’insécurité prévalant dans le pays pour l’ensemble du secteur de l’information. Les départs croissants des journalistes hors de la Libye suite à des menaces, agressions ou tentatives d’assassinats mettent en lumière la dangerosité du terrain libyen pour les journalistes qui prennent de grands risques pour remplir leur mission d’information. Reporters sans frontières tient à souligner une nouvelle fois l’importance fondamentale de la liberté de l’information au sein de toute société démocratique, et tout particulièrement en période transitionnelle, comme c’est le cas en Libye. Malgré l’instabilité politique et sécuritaire rampante dans le pays, il est crucial que cette liberté soit respectée par tous les acteurs politiques et militaires en présence, comme il l’est inscrit dans l’article 14 de la Déclaration constitutionnelle libyenne ainsi que dans les différents traités et conventions internationaux auxquels la Libye est partie, dont notamment le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. En outre, RSF rappelle que les journalistes doivent quant à eux respecter les principes fondamentaux de l’éthique de la profession en faisant preuve de professionnalisme dans la plus grande impartialité possible lors de la couverture d’évènements. Tout journaliste libyen se doit d’exercer son rôle avec un souci constant d’indépendance, de transparence et d’objectivité, qui sont les bases primordiales de leur profession.
Publié le
Mise à jour le 20.01.2016