Le Sénat abroge le délit d'offense à chef d'Etat étranger

A l'occasion de l'examen en seconde lecture du projet de loi Perben, les sénateurs ont abrogé l'article 36 de la loi du 29 juillet 1881 relatif au délit d'offense à chef d'Etat étranger. Cette abrogation permet de mettre en conformité la législation française avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) qui avait condamné la France le 25 juin 2002. La CEDH avait relevé que le délit d'offense à un chef d'Etat étranger ne permettait pas aux journalistes d'apporter la preuve de leurs allégations et constituait une mesure excessive pour protéger la réputation ou les droits d'une personne, même s'il s'agissait d'un chef d'Etat ou de gouvernement. La Cour analysait ce délit comme un moyen de donner aux chefs d'Etat un statut exceptionnel qui n'est plus en accord avec la pratique et les conceptions politiques actuelles. Ce délit portait donc atteinte à la liberté d'expression sans répondre à un « besoin social impérieux » et violait de ce fait l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme. _______________ 18.06.2003 Législation sur la presse : Reporters sans frontières demande l'abrogation des dispositions contraires à la Convention européenne Reporters sans frontières a demandé, dans une lettre adressée à Dominique Perben, ministre de la Justice, l'abrogation des dispositions françaises en matière de presse jugées non conformes à l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme par la Cour chargée de veiller à l'application de ce traité. "A trois reprises, au cours des dernières années, la Cour européenne a constaté que des lois françaises violaient l'article 10 : il s'agit de l'article 2 de la loi du 2 juillet 1931 sur la publicité donnée aux constitutions de partie civile ; de l'article 14 de la loi du 29 juillet 1881 sur les publications étrangères ; de l'article 36 de cette même loi sur les offenses à chef d'Etat étranger. Malgré ces condamnations, les textes visés n'ont été ni modifiés, ni abrogés. Dans ces trois cas, la Cour européenne a été très ferme dans sa critique des règles encore applicables aujourd'hui, qui représentent des entraves manifestes à la liberté d'expression", a déclaré Robert Ménard, secrétaire général de Reporters sans frontières. L'organisation a rappelé que la Cour européenne met en avant l'importance d'une presse libre pour le bon fonctionnement de toute société démocratique. En France, la presse doit sans cesse justifier son rôle : il est caractéristique qu'en matière de diffamation, le journaliste soit présumé avoir agi de mauvaise foi et qu'il lui appartienne de se justifier. Cet exemple montre la méfiance a priori qui se manifeste à l'égard de la presse. Les idées contenues dans les arrêts de la Cour européenne imprègnent peu à peu l'interprétation par les juges des textes sur la presse. Il est désormais fait référence à l'article 10 de la Convention européenne dans presque toutes les affaires de presse soumises aux tribunaux français. Mais les juges en font parfois une interprétation a minima, estimant que les limitations à la liberté d'expression qui justifient les poursuites dirigées contre des journalistes sont nécessaires dans une société démocratique, et proportionnées au but poursuivi. C'est pourquoi Reporters sans frontières considère qu'il faut aller plus loin que la référence aux principes de la jurisprudence de la Cour européenne, qui ne garantit pas une véritable sécurité juridique. D'autant plus que les juridictions françaises n'ont pas l'obligation de se conformer à ce qu'a décidé la Cour et que la Cour de cassation a montré, il y a quelque temps déjà, que la condamnation d'une pratique jurisprudentielle française par la Cour européenne ne l'empêchait pas de confirmer une telle pratique (cf. affaire du Canard Enchaîné). Il est donc nécessaire de modifier les lois qui ont été jugées non conformes à l'article 10. Dans l'arrêt qu'elle a rendu le 3 octobre 2000, concernant un article paru dans l'Evénement du Jeudi et traitant de procédures opposant anciens et nouveaux dirigeants de la SONACOTRA, la Cour européenne a relevé que rien ne justifiait le traitement particulier des informations contenues dans des plaintes avec constitution de partie civile. La Cour de cassation a même fait un revirement de jurisprudence pour suivre la Cour européenne en affirmant que « l'article 2 de la loi du 2 juillet 1931, par l'interdiction générale et absolue qu'il édicte, instaure une restriction à la liberté d'expression qui n'est pas nécessaire à la protection des intérêts légitimes énumérés par l'article 10-2 de la Convention ». La Cour européenne a sanctionné une autre disposition législative : l'article 14 de la loi sur la presse de 1881, qui permet au ministre de l'Intérieur d'interdire la circulation, la distribution, la mise en vente en France de publications en langue étrangère ou de publications en provenance de l'étranger rédigées en français, qu'elles soient imprimées en France ou hors de France. Le 17 juillet 2001, la Cour européenne, à l'unanimité, a condamné la France. La juridiction de Strasbourg a constaté que l'article 14 de la loi de 1881 instaure, pour les publications étrangères, un régime dérogatoire du droit commun et constitue une ingérence qui ne peut être considérée comme nécessaire dans une société démocratique. Moins d'un an après cet arrêt, la Cour européenne a de nouveau condamné la France le 25 juin 2002 au sujet de l'application de l'article 36 de la loi de 1881 sur l'offense à chef d'Etat étranger. Un article du Monde de 1995 avait mis en cause l'entourage du roi du Maroc dans la production et le trafic de drogues dans ce pays. Le roi Hassan II poursuivit le quotidien et, après avoir perdu en première instance, gagna devant la cour d'appel et la Cour de cassation. La Cour européenne a donné tort aux juridictions nationales. Elle a relevé en particulier que le délit d'offense à un chef d'Etat étranger ne permet pas aux journalistes de rapporter la preuve de leurs allégations, ce qui constitue une mesure excessive pour protéger la réputation ou les droits d'une personne, même s'il s'agit d'un chef d'Etat ou de gouvernement. La Cour analyse ce délit comme un moyen de donner aux chefs d'Etat un statut exorbitant du droit commun qui n'est plus en accord avec la pratique et les conceptions politiques actuelles. Malheureusement, quelques jours après l'arrêt de la Cour européenne, le 3 juillet 2002, la cour d'appel de Paris a réformé ce jugement en proclamant la légitimité de ce délit d'offense tout en relaxant les prévenus. Ce dernier arrêt crée une incertitude juridique. Il est donc impérieux que l'article 36 soit abrogé. La Cour européenne considère que la loi doit s'entendre comme comprenant non seulement son texte écrit mais également son interprétation jurisprudentielle. Mais la loi, dit la Cour européenne elle-même, a besoin de prévisibilité et d'accessibilité. Elle doit être lisible et l'on comprendrait mal que la loi existe contre le texte écrit. Celui qui use de sa liberté de « parler », dont le préambule de la Déclaration universelle des droits de l'homme faisait une des plus hautes aspirations de l'homme, a besoin de connaître les limites qui déterminent les abus qu'il pourrait commettre.
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Mise à jour le 20.01.2016