Le photographe indépendant Ryan Libre parle du difficile accès à l'information dans l'Etat du Kachin

Le 7 décembre 2012 les Nations-Unies ont fait part de leur « grande inquiétude » concernant les déplacés de l’Etat de Kachin dans les zones où l’accès lui est interdit. Situé entre la Birmanie, la Chine et l’Inde, cet Etat regorge de jade, diamants, rubis, or et bois précieux. Il est également devenu une précieuse ressource pour le pouvoir hydroélectrique. Mais un conflit fait rage entre l’organisation indépendante du Kachin (KIO) et les autorités birmanes depuis qu’un cessez-le-feu vieux de dix-sept ans a été rompu en juin 2011. Depuis lors, quelque 75 000 personnes originaires des Etats de Kachin et de Shan ont dû fuir leur territoire pour trouver refuge à la frontière chinoise. Ryan Libre photographie la situation depuis cinq ans. Il a aujourd’hui près de 50 000 clichés d’un Etat « à zones d’ombre ». C’est en 2007 qu’une amie de ses voisins à Bangkok lui confiait : « Je ne suis par Birmane. Je suis Kachin ». Ce fut la première fois qu’il entendit ce nom. A cette époque, il existait peu d’informations sur l’Etat. “La BBC n’avait aucun article dessus et je n’ai pu trouver que des mentions très vieilles sur le New York Times », se souvient-il. Après son premier voyage sur ces terres la même année, personne ne s’intéressait à son travail, ce qui l’a poussé à persévérer dans la photo afin de publier ses clichés pour alerter l’opinion internationale sur la situation des Kachin. En 2008, il a lancé un projet pour former de jeunes photographes sur place afin qu’ils apprennent à documenter leur monde et leur culture. La correspondante de Reporters sans frontières au Cambodge l’a rencontré lors du festival photo d’Angkor, à Siem reap, afin de discuter de la liberté d’information dans cet Etat. Reporters sans frontières : Comment vous rendez-vous dans l’Etat de Kachin ? Ryan Libre : Je passe toujours pas la Chine car l’accès est interdit depuis la Birmanie, qui, depuis le début du conflit, a installé plus d’une vingtaine de barrages sur la route de l’Etat et détruit les ponts qui permettent d’y accéder. Il est donc beaucoup plus compliqué d’entrer par-là, de manière légale ou illégale. L’accès officiel est encore très difficile. Par exemple, les Nations-Unies n’ont eu accès à un camp de réfugiés pratiquement qu'un an après que la crise humanitaire n’aie commencé. Aucun membre étranger du personnel ne pouvait s’y rendre ; seulement des Birmans. Le plus éprouvant pour moi était en 2007, quand j’ai passé la frontière pour la première fois. Je ne savais pas à quoi m’attendre. Et qu’avez-vous découvert ? Les rapports de Human Rights Watch à disposition du public dans les régions indépendantistes de l’état de Kachin. ©Ryan Libre C’était une région assez libre. J’étais très surpris d’y trouver une ville agréable à vivre avec une infrastructure bien meilleure qu’ailleurs en Birmanie. Il y avait moins de censure également. Quelques journaux étaient disponibles en langue originale et les Kachins disposaient de leur propre système satellite, qui permettait d’accéder la BBC et Al Jazeera entre autres ! L’Etat disposait également de deux stations d’information et il était même possible de trouver des rapports de Human Rights Watch à la bibliothèque. Aujourd’hui, la situation est toujours relativement libre mais l’accès à l’information est plus limité. Le conflit a couté la vie à certains services car beaucoup de programmes ont dû être arrêtés pour permettre au gouvernement du KIO de gérer la crise des réfugiés. Je pense aussi que les articles publiés par les canaux d’information birmans étaient biaisés et cette désinformation a joué un rôle dans l’escalade du conflit, qui n’est toujours pas résolu. Quelle est la situation pour les journalistes? Rowan Jacobson en reportage dans l’Etat de Kachin pour Outside magazine. ©Ryan Libre Quand je suis arrivé, les habitants et les autorités étaient ravis de me voir là et faisaient en sorte que je puisse accéder à tout ce dont j’avais besoin. Cela a duré des années mais quand le conflit a commencé, beaucoup de journalistes sont venus pour le couvrir ainsi que la situation pour les réfugiés. Les autorités sont en général assez ouvertes quand il s’agit de montrer la situation de l’Etat. Cependant, elles manquent de ressources humaines (traducteurs par exemple) et tout prend donc du temps. L’Etat a donc du mal à gérer l’afflux de journalistes alors qu’il doit déjà gérer une crise humanitaire sans aide internationale. C’est en partie la raison pour laquelle certains journalistes pensent que les autorités ne sont pas très ouvertes. Quelle est votre opinion sur la liberté d’information dans l’état de Kachin ? L’accès à internet est très limité et les habitants utilisent des cartes chinoises pour y accéder. Mais la liberté d’expression existe bel et bien. Toutefois, le problème de l’accès à l’information provient du fait que les médias internationaux ne payent pas assez attention à ce qui s’y passe. Par exemple, la majorité des rédacteurs en chef ne connaissent toujours pas cet Etat. C’est mieux qu’il y a un an ; il était alors très rare de trouver une publication qui abordait le sujet. Mais même quand on les trouve, les reportages sont assez superficiels. Il devrait y avoir plus d’enquête de profondeur, comme sur leur système éducatif par exemple. Un journaliste pourrait venir et comparer le système kachin des années 1960 et le système actuel imposé par la « Birmanisation » de ce peuple. Le manque d’information est également valable pour les médias thais et birmans qui ne connaissent pas non plus la situation malgré leur proximité géographique. La Chine a-t-elle un impact sur cet Etat? Tours chinoises d’opérateurs téléphoniques derrière Laiza, ville principale de l’Etat. ©Ryan Libre En ce qui concerne l’accès à l’Etat, il y a beaucoup de pression venant de la Chine bien sûr. Mais le Kachin a plutôt de bonnes relations avec la Chine de manière plus générale. L’Etat doit donc jongler entre la volonté des journalistes de couvrir la situation et celle de la Chine de contrôler l’information. Ces bons rapports entre les Etats viennent du fait que les Chinois ont des intérêts principalement économiques, ce qui rend la chose plus facile qu’avec d’autres pays. Par exemple, il n’existe pas de relation avec l’Inde, qui est pourtant la plus grande démocratie au monde. L’Inde ne cherche pas à instaurer un rapport avec le Kachin car ce n’est pas un gouvernement reconnu par la Birmanie. Les Chinois leur donnent donc beaucoup plus de libertés. Il est possible de voyager en Chine avec une carte d’identité du Kachin pour seul laisser-passer. Mais attention, il y a deux Chines ; celle de la région du Yunnan, plutôt flexible, et celle de Pékin, beaucoup moins tolérante. Les Kachin attendent-ils quelque chose d’Aung Sang Suu Kyi ? Ils aimeraient que quelque chose vienne d’elle mais ils ne l’attendent pas pour régler leurs problèmes. Mais cela les aiderait sans aucun doute si elle voulait parler publiquement de la situation. Son père est en partie responsable de la situation actuelle en leur promettant l’égalité. Les Kachins voudraient qu’elle tienne cette promesse. Malheureusement, je ne crois pas qu’une stabilité y est possible si leurs droits ne sont pas respectés. C’est pour cette raison que le sujet de « L’Union de la Birmanie » et de l’accord de Panglong doivent être soulevé dans le pays. Interview menée par la correspondante au Cambodge de Reporters sans frontières, Clothilde Le Coz.
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Mise à jour le 20.01.2016