Le Parlement sur le point d'adopter un projet de loi réactionnaire sur la presse

Reporters sans frontières exprime son inquiétude alors qu'un projet de loi sur la presse est actuellement en discussion au Parlement kenyan, craignant un recul de la liberté de la presse dans un pays pourtant connu pour la diversité de ses médias et leur liberté de ton. Le "Kenya Communications Amendment Bill 2008", ou "ICT Bill", prévoit notamment un renforcement du contrôle du gouvernement, en premier lieu du ministre de l'Information, sur les entreprises de presse et le contenu des informations. “Il est particulièrement choquant que la classe politique fasse consensus autour du ICT Bill, alors même que les professionnels des médias condamnent unanimement ce projet de loi comme un recul pour la liberté d'expression et s'accordent sur son caractère réactionnaire. Nous exhortons les autorités à respecter et renforcer les organes de régulation indépendants, et à ne pas leur préférer le jugement discrétionnaire d'un ministre. Ce projet de loi ne peut être adopté en l'état. Nous demandons qu'il soit retiré et réexaminé, en concertation avec les professionnels des médias", a déclaré l'organisation. Le ICT Bill, actuellement en troisième lecture au Parlement, dernière étape avant son adoption par le président Mwai Kibaki, prévoit de lourdes amendes et des peines de prison pour les délits de presse. Il prévoit également la création d'une "commission sur les communications", nommée directement par le gouvernement et chargée d'accorder les licences de diffusion. Le ministre de l'Information est autorisé à "donner des orientations" à cette commission, pourtant qualifiée d'"indépendante". L'article 86 du projet de loi confère au ministre de l'Information le droit d'interrompre des émissions, de démanteler les organes de diffusion et de procéder à des écoutes téléphoniques, tandis que le ministre de l'Intérieur est, lui, autorisé à ordonner, sur sa simple et unique décision, la saisie des équipements d'une radio. Par ailleurs, si le ICT Bill était adopté, le ministre de l'Information détiendrait un pouvoir de contrôle sur le contenu même des informations, la commission nommée par ses soins devant s'assurer que les programmes sont "de bon goût". "Les sociétés culturellement diverses comme celle du Kenya n'ont pas une lecture universelle de ce qui est bon ou non. Le jugement du rédacteur en chef, guidé par l'éthique professionnelle et les lois en vigueur sur la moralité et les nuisances publiques est, de notre point de vue, suffisant", a déclaré David Makali, directeur du Media Institue à Nairobi. Le vice-président kenyan, Kalonzo Musyoka, a pour sa part déclaré, le 28 novembre, que le ICT Bill "renforcerait le professionnalisme" des médias. Le projet de loi a suscité une levée de boucliers de la part des professionnels des médias au Kenya et de la communauté internationale. Le 1er décembre, le Media Institute et l'Association des rédacteurs en chef kenyans ont publiquement demandé son retrait et l'ouverture de nouvelles négociations. Si la loi était adoptée en l'état, le Media Institute a menacé de faire examiner sa conformité avec la Constitution kenyane. "La régulation du contenu éditorial devrait être laissée à des organismes professionnels comme le Media Council. Etant donné les relations entretenues par le gouvernement avec la presse au cours de ces six dernières années, nous avons de sérieuses raisons d'être inquiets pour la liberté d'expression", a déclaré David Makali. Reporters sans frontières rappelle que, dans un rapport publié le 6 mars 2008, intitulé "'L'Expérience des limites' : les médias dans la tourmente d'une élection gâchée", elle avait demandé aux autorités kenyanes d'adopter une attitude moins méfiante et moins hostile envers la presse, et d'aider la presse à renforcer ses capacités en termes d'autorégulation, de concertation et de formation.
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Updated on 20.01.2016