Le pardon de Rafael Correa à ses détracteurs effacera-t-il un an de controverse et de polarisation extrêmes ?

La bataille judiciaire qui opposait Rafael Correa au quotidien El Universo et à ses représentants a pris fin, le 27 février 2012, sur une grâce présidentielle. Dans une allocution officielle télévisée, le chef de l’État a déclaré “pardonner aux accusés et leur concéder la rémission après une condamnation méritée”. Il a également annoncé retirer les poursuites engagées contre les deux auteurs du livre “El Gran Hermano” (le grand frère), condamnés en première instance. “Rafael Correa a fait preuve de sagesse en décidant de lui-même de renoncer, dans ces deux affaires, à des sanctions aux conséquences redoutables pour la liberté d’expression. Nous voulons bien croire que le chef de l’État, ainsi qu’il l’a affirmé aujourd’hui, n’ait jamais souhaité envoyer personne en prison. Était-il néanmoins besoin, dans le dossier El Universo, d’attendre une issue judiciaire de cette ampleur pour, en fin de compte, faire le choix de la mansuétude ? Un an de procédure a malheureusement permis à la polémique d’enfler, à la polarisation de s’aggraver. Nous espérons que ce climat s’apaisera à la faveur du pardon présidentiel et que les délits de presse seront bientôt dépénalisés”, a déclaré Reporters sans frontières. “Ce dénouement doit également inciter certains médias à prendre davantage la mesure de ce qu’ils décident de publier ou diffuser. Leur responsabilité propre existe et nous l’avons rappelé depuis le début. Des mots aussi lourds de sens que ‘dictateur’ ou ‘crime contre l’humanité’ ne se prononcent pas à la légère. Le vrai débat critique doit désormais l’emporter sur l’invective, l’insulte et l’intransigeance”, a conclu l’organisation. _______________ 16.02.12 - Condamnation d’El Universo en cassation : un revers catastrophique pour la liberté d’expression La Cour nationale de Justice (CNJ) a donc validé, le 15 février 2012 à Quito, les peines prononcées en première et seconde instances pour “injure calomnieuse” contre le quotidien El Universo et ses trois représentants. Plus rien ne s’oppose juridiquement au placement en détention - pour une durée de trois ans - des frères Carlos, César et Nicolás Pérez, respectivement directeur et directeurs adjoints du journal, ni au versement par la société éditrice de 40 millions de dollars au président Rafael Correa à titre d’indemnisation. Les avocats d’El Universo ont annoncé leur intention de se pourvoir devant la Commission interaméricaine de droits de l’homme (CIDH). “Les conséquences d’une telle décision dépassent, et de loin, le cas particulier d’El Universo. La CNJ vient d’entériner une véritable prime à l’autocensure qui pourrait très bien affecter, demain, d’autres médias quelle que soit leur tendance et quel que soit le gouvernement en place. Même si Rafael Correa a déposé plainte à titre individuel et non en tant que chef de l’État, difficile de ne pas voir dans une sanction aussi exorbitante la réhabilitation du ‘lèse-majesté’, qui ne cadre guère avec les principes de l’État de droit, où l’acceptation de la critique, même la plus virulente, même la plus injuste, incombe à un pouvoir démocratiquement élu. La polarisation ne peut que s’aggraver, quitte à compromettre le débat sur la loi de communication, dont nous approuvons certaines dispositions. Un gâchis”, a déploré Reporters sans frontières. L’organisation ne pourra répondre favorablement à l’invitation du gouvernement en cas de détention effective des représentants d’El Universo ou de l’un d’entre eux. César et Nicolás Pérez se trouvent actuellement à Miami. Les scènes de violences constatées devant les locaux de la CNJ, au moment de l’audience, soulignent également le degré de polarisation qui sévit aujourd’hui au sein de la société équatorienne. Nous condamnons les agressions subies en cette occasion par Diógenes Baldeón, photographe d’El Universo et Romel Iza, cameraman de la chaîne RTU, attribuées à des militants du parti majoritaire Alianza País. Ces incidents démontrent que les conditions d’un débat judiciaire serein n’étaient pas réunies. ______________ 15.02.12 - Épilogue attendu à la Cour suprême dans l’affaire El Universo : “Un moment crucial pour la liberté d’expression” La Cour nationale de Justice (CNJ) doit se prononcer, à partir d'aujourd’hui 15 février, sur une éventuelle cassation du jugement rendu en appel dans l’affaire El Universo. Reporters sans frontières estime le moment déterminant pour l’avenir de la liberté éditoriale. Saisie officiellement de la procédure et non du fond du dossier, la plus haute juridiction du pays n’en aura pas moins à décider de la validation des peines de trois ans de prison infligées au directeur du journal, Carlos Pérez, ainsi qu’à ses deux frères et sous-directeurs de la publication, César et Nicolás Pérez, peines assorties d’une indemnisation de 40 millions de dollars à verser au président Rafael Correa pour “injure calomnieuse”. Le pourvoi en cassation de l’éditorialiste à l’origine de la plainte présidentielle, Emilio Palacio – aujourd’hui en exil à Miami –, a déjà été rejeté. Son cas individuel n’entre donc pas dans le cadre de cette nouvelle audience. “Peut-on sanctionner si sévèrement les opinions, mêmes les plus infâmantes ? La décision de la CNJ apportera, en définitive, la réponse à la seule question qui vaille selon nous. Tout en soulignant, depuis le début, le caractère extrême des propos tenus contre le président Rafael Correa dans les colonnes d’El Universo, nous redoutons, à l’issue d’une longue bataille judiciaire, un épilogue ravageur à la fois pour le droit d’expression individuelle et la survie d’un support de presse, à rebours des principes de la convention américaine des droits de l’homme dont l’Équateur est signataire. Nous plaidons, une nouvelle fois, pour la dépénalisation des délits de presse à l’appui de la jurisprudence continentale. Nous estimons, enfin, qu’une condamnation définitive d’El Universo sous cette forme hypothèquerait un consensus souhaitable autour de la nouvelle loi de communication, consensus que fragilise également le précédent “El Gran Hermano” ", a déclaré Reporters sans frontières. En plus de susciter l’inquiétude, l’audience de la CNJ souffre d’une nouvelle controverse dans son principe même. Après une tentative infructueuse pour que soient récusés trois des neufs juges de la CNJ, les défenseurs d’El Universo ont directement mis en cause leur collègue de la partie adverse, Gutemberg Vera. Se fondant sur le témoignage écrit d’une juge, Mónica Encalada, rendu public le 14 février et publié le même jour par le quotidien El Comercio, l’avocat du journal Joffre Campaña a soutenu que le jugement rendu contre El Universo et ses représentants aurait en fait été rédigé par son confrère chargé de plaider la cause du président Rafael Correa. “Reporters sans frontières conserve toute la prudence requise face à des allégations qui, bien que tardives, seraient de nature à mettre en cause l’indépendance de l’autorité judiciaire. Cet élément nouveau doit néanmoins être pris en compte lors de l’audience de la CNJ, afin d’en vérifier l’authenticité et la véracité”, a conclu l’organisation.
Publié le
Updated on 20.01.2016