Le ministère de la Défense fait de la presse "l'ennemi de l'intérieur" dans le conflit avec le LTTE

Reporters sans frontières condamne la campagne hostile du ministère de la Défense à l'encontre des médias indépendants, et plus particulièrement des journalistes spécialisés dans les affaires militaires. Le site Internet du ministère relaie notamment des attaques très violentes à l'encontre des journalistes critiques envers le gouvernement, accusés de pactiser avec "l'ennemi terroriste", c'est-à-dire les Tigres Tamouls. "Alors que le conflit fait chaque jour plus de victimes innocentes dans les deux communautés, le secrétaire à la Défense Gotabhaya Rajapakse s'attaque violemment à la presse qui ne s'aligne pas sur la propagande. Les déclarations du ministère menacent directement la sécurité des journalistes, accusés d'intelligence avec l'ennemi. Colombo a décidé d'ériger le manichéisme en doctrine d'Etat : ceux qui ne sont pas avec l'armée sont du côté des Tigres tamouls", a déclaré Reporters sans frontières. "Nous attendons du président Mahinda Rajapakse qu'il rétablisse la confiance et la sérénité dans les relations entre les autorités et la presse", a déclaré l'organisation. Le site Internet du ministère de la Défense a récemment publié deux longs articles intitulés "Stop Media treachery against armed forces members!" et "Deriding the war hereos for a living - the ugly face of Defence Analysts in Sri Lanka", pour dénoncer les médias qui osent contredire les communiqués officiels concernant les affrontements dans le nord du pays. Les textes exposent directement les journalistes à d'éventuelles représailles, alors qu'ils sont rendus responsables de l'échec des forces de sécurité à "éradiquer les terroristes du LTTE". "La liberté de la presse dans ce pays a été prise en otage par quelques sociopathes qui peuvent être trouvés dans n'importe quel bastion anti-sri lankais", est-il écrit sur le site. D'autre part, de nombreux médias, dont la chaîne privée Sirasa TV, le quotidien Daily Mirror et l'hebdomadaire Sunday Times, et l'organisation de défense de la liberté de la presse, Free Media Movement (FMM), sont explicitement accusés de semer le trouble au sein de l'armée à travers leurs articles et leurs déclarations. "Quiconque encourage les forces armées à s'opposer à l'ordre et à la discipline militaires se rend coupable de trahison", prévient le ministère. Le ministère de la Défense accuse d'autre part la presse de véhiculer de fausses informations, alors que l'armée a maintes fois essayé de minimiser ses pertes, notamment lors de l'un des plus violents affrontements de ces dernières années dans la péninsule de Jaffna, en avril dernier. Dans un climat marqué par les incursions répétées des forces de sécurité dans les zones contrôlées par le LTTE et les attentats meurtriers attribués aux Tigres Tamouls dans la région de Colombo, la pression s'accentue à l'encontre des médias indépendants. Le rédacteur en chef adjoint et chroniqueur militaire de l'hebdomadaire anglophone The Nation, Keith Noyahr, a été enlevé et passé à tabac, le 22 mai. L'attaque serait liée à certains de ses articles sur la guerre menée par le gouvernement. Quelques jours plus tard, le journaliste de télévision Paranirupasingam Devakumar et l'un de ses amis ont été assassinés, le 28 mai, dans une zone de la péninsule de Jaffna sous le contrôle des forces de sécurité. Aucun suspect n'a été appréhendé. De son côté, le journaliste spécialiste des affaires militaires, Iqbal Athas, a cessé depuis plusieurs semaines de faire paraître ses articles dans le Sunday Times. Il a fait l'objet de campagnes d'intimidation. Selon le Free Media Movement, Sirimevan Kasthuriarachchi, reporter spécialisé dans les affaires de Défense au journal Sinhala Divaina, a été menacé de représailles par un groupe d'inconnus qui ont fait irruption à son domicile, le 29 mai. De son côté, Frederica Jansz, directrice du mensuel Montage et collaboratrice de The Nation, a été suivie fin mai par des véhicules suspects à Colombo. Le cadavre d'un oiseau a été retrouvé devant son domicile, sans qu'il soit possible de déterminer s'il s'agissait d'un message de menaces. Enfin, les organisations qui défendent la liberté de la presse sont victimes d'intimidations. Des militaires se sont rendus le 27 mai au siège du Sri Lanka Press Institute (SLPI), à Colombo, avec l'intention de collecter les noms des employés de cette organisation respectée pour sa défense de la liberté de la presse. Depuis le 3 mai dernier, le secrétaire à la Défense Gotabhaya Rajapakse a été ajouté à la liste des "prédateurs de la liberté de la presse", établie par Reporters sans frontières.
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Mise à jour le 20.01.2016