Le journaliste colombien Luis Carlos Cervantes abattu après le retrait de son escorte policière

Le journaliste Luis Carlos Cervantes, directeur de radio Morena basé dans la ville de Tarazá, département de Antioquia (Nord-ouest), a été assassiné le 12 août 2014. La garde policière dont il bénéficiait depuis 2012 lui avait été retirée deux semaines plus tôt.

Luis Carlos Cervantes avait la réputation d’être l’un des journalistes les plus menacés du département de Antioquia. Alors qu’il se déplaçait en moto, le directeur de radio Morena a été abattu par trois hommes armés. Selon certains des collègues de Luis Carlos Cervantes, il est possible que la bande criminelle “los Urabeños”, dérivée du groupe paramilitaire “Autodenfensas Unidas de Colombia”, soit responsable du crime.

Le journaliste avait réalisé de nombreux reportages traitant d’affaires de corruption dans les municipalités d’Antioquia, mettant notamment en lumière les liens entre les officiels locaux et le crime organisé. Suites à des menaces de plus en plus inquiétantes, l’Union nationale de protection (UNP), organisme gouvernemental chargé de la sécurité de personnes menacées à cause de leur profession (journalistes, défenseurs des droits de l’homme, avocats) lui a octroyé une escorte en juin 2012. Cette même institution a jugé il y a 15 jours que le journaliste ne se trouvait plus en situation de risque et lui avait retiré sa protection. Le 21 juillet dernier, Luis Carlos Cervantes avait pourtant alerté l’UNP d’une nouvelle menace de mort à son encontre. En 2014, l’UNP a retiré les mesures de protection à 14 professionnels de l’information, jugeant qu’ils n’étaient plus dans une situation à risque. Ces journalistes se montrent maintenant particulièrement inquiets pour leur sécurité.

L'issue tragique du retrait de la protection de Luis Carlos Cervantes démontre que les programmes de protection doivent être plus efficaces dans les études de risques et dans la mise en œuvre de mécanismes de protection adaptés pour les journalistes, déclare Camille Soulier, responsable du bureau des Amériques de l’organisation. Reporters sans frontières exhorte les autorités colombiennes à mener une enquête exhaustive sur l’assassinat de Luis Carlos Cervantes afin que cette affaire ne vienne pas compléter la longue liste de crimes contre les journaliste restés impunis en Colombie.”

Selon la Fondation pour la liberté de la presse en Colombie (Flip), 140 journalistes ont été assassinés entre 1977 et 2012. Parmi ces affaires, 62 ont déjà été prescrites et sont vouées l’impunité éternelle. Une des affaires les plus emblématiques dans le pays est celle du journaliste et humoriste Jaime Garzón, abattu il y a 15 ans jour pour jour, le 13 août 1999. Il jouissait d’une grande affection de la part de la population dû à son travail à la télévision. Après plus de 10 ans d’investigation, les progrès sur l’affaire se montrent toujours insuffisants. De récentes avancées, notamment constatées par le procès de l’ancien directeur du Département administratif de sécurité (DAS) de l’État, José Miguel Narváez, et l’arrestation du colonel retraité Jorge Eliécer Plazas Acevedo, démontre une reprise des efforts de la part de la justice. Le parquet général de la nation a annoncé aujourd’hui que 11 nouveaux militaires seraient amenés à témoigner.

Déçue par l’incapacité de l’État de poursuivre et sanctionner les responsables du crime dans un délai raisonnable, la famille de Jaime Garzón a déposé en juillet 2011 une plainte contre l’État colombien auprès de la Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH). Toujours sans réponse de la part de l’organisme international, la famille du journaliste a déposé une demande auprès du parquet afin que l’assassinat soit reconnu comme “crime de lèse humanité”. Cette qualification, octroyée entre autres à l’assassinat du fameux journaliste Guillermo Cano, rendrait l’affaire imprescriptible. Cependant, le Ministère des droits de l’homme de la Colombie a déclaré le 22 juillet dernier que l’assassinat du journaliste ne remplissait pas les critères nécessaires, une allégation contestée par Reporters sans frontières.

Nous soutenons la famille de Jaime Garzón dans sa demande pour la reconnaissance de l’assassinat du journaliste en tant que crime de lèse humanité, ajoute Camille Soulier. Son assassinat rempli les critères requis pour ce statut, puisqu'il s'inscrit dans la répression systématique menée contre les journalistes par les paramilitaires dans le contexte du conflit armé, et doit créer un précédent pour tous les journalistes tués à cause de leur profession dans le cadre du conflit armé.”

L’échec du processus de démobilisation des groupes paramilitaires ne laisse plus aucun doute, et ceux-ci continuent d’être la première source de danger pour les journalistes en Colombie. Le groupe paramilitaire dénommé “Los Urabeños” fait partie des prédateurs de la liberté de la presse de Reporters sans frontières et sont à l’origine de véritables campagnes de terreur contre les journalistes et défenseurs des droits humains dans les 337 municipalités du centre et de la côte caribéenne et en particulier dans les grandes conurbations de Cali et Medellín. La Colombie est 126ème sur 180 pays dans le Classement mondial de la liberté de la presse publié par Reporters sans frontières le 12 février dernier.

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Mise à jour le 25.07.2016