Le journalisme, un métier à haut risque

Les élections législatives du 30 avril dernier se sont déroulées dans un climat de tensions qui pèsent sur le travail des professionnels de l’information en Irak, cibles de menaces, d’agressions, voire d’assassinats. Il s’agissait du premier scrutin parlementaire depuis le retrait des troupes américaines fin 2011, organisé dans un climat sécuritaire particulièrement tendu, marqué par des menaces de groupes djihadistes, mais également de tensions communautaires politico-confessionnelles. “Reporters sans frontières‬ est vivement préoccupée par la multiplication des exactions dont sont victimes les professionnels de l’information en Irak, de la part des forces de sécurité, mais également de groupes armés. Nous appelons les autorités à prendre les mesures adéquates pour garantir leur sécurité”, déclare Lucie Morillon, directrice de la Recherche de l’organisation. Ces attaques contre les médias interviennent dans un climat d’impunité totale . Les autorités irakiennes ne prennent pas de réelles mesures afin de garantir la sécurité des journalistes, malgré les demandes répétées de nombreuses organisations locales et internationales . Les Nations unies ont ainsi exprimé, à l’occasion de la Journée internationale de la liberté de la presse, leur “vive inquiétude” quant à la situation sécuritaires des journalistes dans le pays. Attaques et obstructions lors des élections Le 28 avril 2014, une charge explosive placée dans un bus transportant plusieurs journalistes venus couvrir les élections à Al-Mawsal (400 km au nord de Bagdad) a fait au moins quatre blessés parmi les professionnels des médias. Blessé à l’épaule et à la jambe, Ahmed Hiali, correspondant de Radio Siwa a déclaré au Doha Centre for Media Freedom depuis son lit d’hôpital que “les forces de l’ordre ne nous ont fournis aucune protection lors de notre déplacement pour couvrir les élections à Al-Mawsla. Elles se sont contentées de nous transporter à l’hôpital après l’explosion”. Dans la même journée, les forces de l’ordre ont empêché une équipe de Al-Baghdadiya TV de pénétrer dans les bureaux de votes à Al-Anbar, à 100 km à l’ouest de Bagdad. Déjà en janvier dernier, les autorités avaient imposé un véritable black-out de l’information sur l’offensive de l’armée irakienne contre les insurgés sunnites dans la région, notamment dans les villes de Falloujah et Al-Ramadi. Quelques jours plus tôt, le 24 avril, une équipe de la chaîne Al-Hurra a été empêchée, par des inconnus de couvrir une manifestation à Kerbala qui visait à dénoncer les abus de pouvoir contre le corps enseignant de cette région. Dans un communiqué de presse, Iman Bilal, correspondante de la chaîne, a déclaré avoir été “agressée, insultée et empêchée de couvrir la manifestation par un groupe qui se tenait à proximité”. Un climat sécuritaire tendu fatal aux journalistes Dans la ligne de mire de groupes djihadistes comme l’Etat islamique d’Irak et du Levant (ISIS), mais aussi des autorités irakiennes, les exactions commises à l’encontre des journalistes connaissent une évolution inquiétante. "Les tensions politiques, l'instabilité, la guerre en Syrie et l'inefficacité des autorités et des forces de sécurité sont autant de facteurs négatifs et ont un impact sur la sécurité des journalistes et l'indépendance des médias en Irak", a déploré l'Unesco dans un communiqué publié le 30 avril dernier. Les exactions contre les journalistes vont de l’arrestation arbitraire aux assassinats. Quinze journalistes irakiens ont ainsi trouvé la mort au cours des six derniers mois. Parmi eux, sept étaient personnellement visés, cinq sont morts dans une attaque contre les locaux de la chaîne Salaheddine en décembre dernier, et trois sont des victimes collatérales d’attentats suicides ou à la voiture piégée. Par ailleurs, Raji Hamadallah, journaliste pour la radio Babel, a été grièvement blessé, le 23 mars dernier, par des individus armés qui ont tiré plusieurs coups de feu dans sa direction avant de prendre la fuite Saeed Abdulhady, directeur de la rédaction du journal Al-Mootamar, a quant à lui été interpellé le 15 avril 2014, de manière humiliante par des militaires devant l’université de Bagdad, sans mandat ni explication. En outre, un mandat d’arrêt a été émis, le 4 mars, à l’encontre de Aoun Al-Khashlouk, directeur d’Al-Baghdadiya TV, et du présentateur de l’émission “Le neuvième studio”, Anouar Al-Hamdani, tous deux accusés de “trouble à l’ordre public”, d’ “incitation au chaos et à la violence inter-communautaire”. Cette émission a consacré une bonne partie de ses programmes à des révélations sur des pratiques de corruption impliquant de hauts dignitaires du régime. Ces derniers vivant en Egypte, ils n’ont pas été arrêtés. Le Journalistic Freedoms Observatory (JFO) , organisation partenaire de Reporters sans frontières en Irak, a recensé 328 cas d’exactions commises contre les acteurs de l’information en Irak pour l’année 2013. Au cours de l’année écoulée, 103 journalistes ont été arrêtés ou interpellés; 162 se sont vus entravés dans leur accès à l’information ; 63 ont été agressés; 4 ont été attaqués par des groupes armés. Par ailleurs, 71 plaintes contre des médias et journalistes ont été déposées, et 4 cas de suspension de médias enregistrés. Lire les observations et recommandations formulées par Reporters sans frontières sur la situation de la liberté d’information en Irak à l’occasion de l’Examen périodique universel de la vingtième session du Conseil des droits de l’homme en novembre 2013.
Publié le
Mise à jour le 20.01.2016