Le fixeur cambodgien Rath Rott Mony condamné à deux ans de prison au terme d’une machination judiciaire

Compte tenu de l'inconsistance du dossier, Reporters sans frontières (RSF) exige l'abandon des charges qui pèsent contre ce fixeur cambodgien, dont le seul crime est d’avoir servi de guide à une équipe de Russia Today (RT), venue au Cambodge tourner un documentaire sur la prostitution des mineures.

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Actualisation

Le jugement est tombé comme une couperet : Rath Rott Mony a été condamné le 26 juin 2019 à deux ans de prison pour “incitation à la discrimination”. RSF condamne ce verdict inique rendu à l’issue d’une parodie de procédure judiciaire, et demande que les charges qui le visent, compte tenu de leur inconsistance, soient abandonnées en seconde instance. 

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Le verdict est attendu dans une semaine, le mercredi 26 juin. Après avoir croupi plus de six mois en prison, Rath Rott Mony saura si la justice cambodgienne le reconnaît ou non coupable d’avoir “terni la réputation du Cambodge”, pour reprendre les termes du Parquet. Son seul crime a été de travailler comme fixeur sur le tournage de “Ma mère m’a vendue”, un documentaire produit par la chaîne russe RT consacré au phénomène de la prostitution des mineures.


Diffusé en octobre 2018, le film a suscité l’ire du gouvernement, au point que Rath Rott Mony s’est résolu à se rendre en Thaïlande pour demander l’asile politique dans un pays tiers. Arrêté à Bangkok par la police thaïlandaise le 7 décembre dernier, il a été remis aux autorités cambodgiennes cinq jours après.


Le désignant comme co-réalisateur du film, le ministère de l’Intérieur l’accuse, par la voix de son porte-parole Khieu Sopheak, d’avoir acheté des témoignages et diffusé des “fake news offensant la nation [cambodgienne]”. Le fixeur risque un à trois ans de prison au pénal, et jusqu’à 50.000 dollars de dommages et intérêts à verser aux plaignants présentés par l’accusation.


“Mascarade judiciaire”


“La décision du juge Koy Sao, qui doit statuer sur le sort de Rath Rott Mony, sera lourde de conséquences quant à la crédibilité de la justice cambodgienne, avertit Daniel Bastard, responsable du bureau Asie-Pacifique de RSF. Manipulations des témoins par la police, mépris des éléments apportés par la défense… Depuis le début de l’affaire, l’instruction a été menée uniquement à charge. Il est temps de mettre un terme à cette mascarade judiciaire et laisser Rath Rott Mony recouvrer la liberté. Son seul crime a été d’aider à faire la lumière sur une question d’intérêt public.”


L'épouse du fixeur, Long Kim Heang (gauche), a affirmé à RSF que son mari sert de bouc-émissaire pour intimider toute la profession des journalistes (photo : Kann Vichelka / VOA Khmer).


Au cœur du dossier monté par le bureau du procureur se trouve les témoignages de cinq plaignantes apparaissant dans le film, lesquelles affirment que le fixeur les auraient achetées. Sauf que ces témoignages n’existent que sous forme écrite, sur des documents constitués et produits par la police. Jusqu’à l’audience de clôture, le 12 juin 2019, aucune de ces témoins-clés n’était venue s’exprimer en personne devant la cour.


Interrogée par RSF, l’épouse de Rath Rott Mony, Long Kim Heang, ne se fait guère d’illusion : “Pour moi, il ne fait aucun doute que les personnes qui ont porté plainte contre mon mari ont subi des pressions ou des menaces pour le faire. Son arrestation et les accusations portées contre lui sont juste un moyen, pour le gouvernement, d’intimider les autres médias afin qu’ils ne parlent pas des sujets indésirables.”


Les “invisibles du reportage”


Autre inconsistance de l’instruction : le fixeur est, depuis le début, considéré comme co-réalisateur du documentaire. Une version constamment remise en cause par le diffuseur, RT : dans un récent courrier transmis à l'ambassade du Cambodge a Moscou, la responsable de l’unité documentaire de la chaîne, Ekaterina Yakovleva, réaffirme que Ratt Roth Mony n’a été embauché par l’équipe de réalisation qu’au seul titre de “fixeur et interprète”, et qu’il n’avait aucun pouvoir sur le fond et le récit du film. La productrice assure tenir à disposition toutes les autorisations écrites signées par chacun des personnages qui apparaissent dans le documentaire.


Ce n’est pas la première fois que le gouvernement du Premier ministre Hun Sen fait taire ceux qui tentent de relayer la question de la prostitution des mineurs au Cambodge. En août 2017, l’organisation non gouvernementale Agape Int’l Missions, avait été bannie du pays après la diffusion, le mois précédent, d’un documentaire réalisé sur ce sujet par CNN. Un représentant de l’ONG avait servi de fixeur à l’équipe de réalisation.


RSF avait documenté, en octobre 2017, le rôle absolument crucial des fixeurs, ces “invisibles du reportage” qui permettent aux journalistes d’aller au plus près de l’information dans le monde entier.  


Le Cambodge se situe à la 143e place sur 180 pays dans le Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2018.

Publié le
Mise à jour le 26.06.2019