Le cybertagueur de Tunis est tombé

Pourquoi Ben Ali, dix jours après avoir arraché les pouvoirs suprêmes des mains du peuple, perd la boule et s'en prend – parmi la cohorte des résistants tunisiens – au seul Zouhaïr Yahyaoui, alias " Ettounsi ", fondateur du webmagazine Tunezine.com ? Un hasard, dites-vous ? Dans la bataille du référendum, ce môme de 34 ans a manœuvré comme un as. Il n'avait qu'une cible : le projet de réforme constitutionnelle qui ouvre la voie à une présidence à vie. Et, à chaque coup, il fait mouche et s'enfuit dans la nuit. Son principal atout est sa taille microscopique. Il n'a aucun bien, même pas une réputation à perdre. " Rien à glander ! ", assène-t-il. Il se contentait de rendre compte de l'actualité. C'est lui, dès lors, qui la fait. Le Monde, l'un des cinq grands épicentres de l'information de la planète, ne lui-a-elle pas réservé sa " Une " ? Les hackers du globe ne sont-ils pas sur le qui-vive et ne menaceraient-ils pas de foutre la gabegie, si leur bandit d'honneur n'est pas relâché fissa ? Human Rights Watch l'a promu 1er cyber résistant… Pendant des mois, la cyberpolice a traqué ce fameux tagueur fou de Ben Arous, une banlieue poubelle de Tunis-city. Ce cybergraphiteur furieux aurait ainsi, selon les gardiens de la moralité publique, dégueulassé plus de trois cents " toiles " avec sa signature. Lui ne revendique modestement que douze cybertags. Mais son tableau de chasse est si impressionnant qu'on lui suppose des complices : Sophie la louve, Omar Khayyam, Fouad Najem… La cyberpolice est donc aux aguets et ne désespère pas d'opérer un coup de filet qui enverra toute la bande devant le juge. Le 4 juin, le premier cyber maquisard est donc tombé. Il comparaîtra le 20 juin devant le tribunal de première instance de Tunis pour " diffusion de fausses nouvelles " et " détournement de lignes téléphoniques ". Ces deux délits pourraient entraîner son incarcération pendant dix longues années. Rien que ça. Malgré son air de moineau trempé jusqu'aux os, Zouhaïr n'est ni un journaliste ni un rédacteur en chef. Il se dit " un faiseur de vacarme ", la voix des va-nu-pieds. Il tient une rubrique régulière (au style bricolé dans un arabe dialectal impitoyable), la plus poissarde du tunezine.com. Il a compris que les internautes n'avaient que faire d'un journalisme avisé, responsable ou même exact. Il vomit le style " bien léché " des autres bulletins d'info sur le net comme Alternatives citoyennes ou Perspectives. Il offre l'impertinence, le rire… l'insulte. " Il toise Ben Ali, comme moi je toise mon chien ", dit Zeineb F., une fan. Qui oserait écrire aujourd'hui de Ben Ali " Zaba empereur d'outre-merde " ? Et, on oserait dire que la critique, en Tunisie, est mollassonne ? On est emporté dans la lecture de ces bulles. On ne les lâche pas. On bout de rage. On est vengé des Abdelwaheb Abdallah, le Raspoutine tunisien, des Moncef Gouja, le directeur de La Presse de Tunisie, dont " la diarrhée gâteuse " pollue nos paysages. On est vengé des rentiers, ces cadavres avinés qui défendent " leur trou du cul ". Taoufik Ben Brik (en photo)
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Mise à jour le 20.01.2016