Le Conseil suprême des forces armées, nouveau prédateur de la liberté de la presse ?

Reporters sans frontières est particulièrement préoccupée par la décision prise par le ministre de l’Information, Ossama Heikal, le 7 septembre 2011, après consultation du Conseil suprême des forces armées (CFSA), de geler, temporairement, l’octroi de licences pour les chaînes de télévision satellitaires qui en ont fait récemment la demande. Sans pour autant préciser la durée de cette décision. Il a également menacé d’autres canaux audiovisuels, les accusant d’ "indiscipline", déclarant charger "l’autorité des investissements de prendre des mesures légales contre les chaînes satellitaires qui nuisent à la stabilité et à la sécurité". Le ministre justifie cette mesure par la nécessité de mettre de l’ordre dans ce qu’il qualifie de "panorama médiatique chaotique grandissant", n’hésitant pas à inciter à la violence. Ces déclarations et les mesures prises constituent une véritable déclaration de guerre contre les médias audiovisuels de manière générale, et contre les chaînes satellitaires indépendantes en particulier qui osent critiquer la politique menée par le CSFA. Il est très inquiétant en que le Conseil considère les médias comme des sources de "nuisance pour la sécurité et la stabilité du pays". Il s’agit d’un véritable retour en arrière, rappelant tristement l’ère de l’ancien raïs, aujourd’hui déchu. Depuis son arrivée au pouvoir après la chute d’Hosni Moubarak, le CFSA n’a cessé de multiplier les prises de position qui constituent autant de régression de la liberté de la presse en Egypte, mettant à mal ce pour quoi les Egyptiens se sont battus pendant les dix-huit jours de cette révolution. Ce même 7 septembre, la condamnation du blogueur Kareem Reda (du blog Sarkha, Criez) à une amende de 20 000 LE (environ 2500 euros) a été confirmée en appel. Le blogueur était poursuivi, par le directeur du Comité exécutif de Petrograde (compagnie qui exporte du gaz vers Israël) pour "diffamation", "insulte", "atteinte aux intérêts de la compagnie", et "incitation à nuire à l’économie nationale". Ceci fait suite au lancement, par le blogueur, d’une page Facebook qui appelle au boycott de cette entreprise en ne payant pas ses factures, et ce tant que Petrograde continuerait à exporter du gaz vers Israël à des tarifs en deçà des prix du marché. Par ailleurs, si l’armée était déjà un sujet tabou en Egypte avant la révolution, la mise en place du Conseil suprême des forces armées au lendemain du départ d’Hosni Moubarak n’a fait que renforcer la sacralisation de cette institution. De nombreux journalistes et blogueurs cherchant à dénoncer les exactions commises par certains éléments de l'armée ou de la police militaire au cours du soulèvement pro-démocratique sont poursuivis devant des juridictions militaires. La liste des cas ne cesse de s’allonger… Ainsi, le blogueur Maikel Nabil Sanad a été condamné le 10 avril 2011, à trois ans de prison ferme. Cette condamnation a fait de lui le premier prisonnier d’opinion en Egypte depuis la révolution. Maikel Nabil Sanad, objecteur de conscience, est accusé d’“insulte à l’institution militaire”, “publication de fausses nouvelles” et “trouble à l’ordre public”, pour avoir publié un rapport, sur son blog, remettant en cause l’apparente neutralité de l’armée lors des manifestations de janvier et février 2011. Le rapport stipule que des militaires ont pris part aux arrestations, détentions, et torture de manifestants. Il a entamé une grève de la faim le 23 août dernier. Après plusieurs malaises après avoir arrêté de s’hydrater, il a été transféré à l’hôpital de la prison d’Al-Marg. Le blogueur, souffrant de problèmes cardiaques, a affirmé qu’il reprendrait sa grève de la faim quoiqu’il lui en coûte. Par ailleurs, la blogueuse Botheina Kamel avait été convoquée devant la Cour militaire le 15 mai 2011, peu de temps après avoir critiqué l’institution dans une émission de la chaîne Nile TV. Le 31 mai, le blogueur Hossam Al-Hamalawy et les journalistes Rim Magued et Nabil Sharaf Al-Din avaient, quant à eux, été interrogés pendant près de trois heures à propos de leur intervention sur la chaîne ON-TV. Invité de l’émission de Rim Magued le 26 mai, Hossan Al-Hamalawy avait accusé la police militaire d’avoir violé les droits de l’homme. Nabil Sharaf Al-Din avait, le lendemain, évoqué la possibilité d’une alliance entre les Frères musulmans et l’armée en vue d’une passation de pouvoir. Le 19 juin, Racha Azab, journaliste du journal Al-Fajr, étaient poursuivie pour “publication de fausses informations pouvant troubler la sécurité publique”. Elle risque une peine de prison ferme. Adel Hammouda, son rédacteur en chef, est, quant à lui, poursuivi pour “négligence dans l’exécution de ses fonctions de rédacteur en chef”. Il encourt une amende. En cause : un article, publié le 12 juin dernier dans le numéro 309 d’Al-Fajr, dans lequel la journaliste évoque une rencontre entre le général Hassan Al-Ruwaini, commandant militaire du Caire et membre du Conseil suprême des forces armées, et des militants membres du groupe “Pas de tribunaux militaires pour les civils”, à propos d’actes de tortures commis par la police militaire à l’encontre de manifestants. La journaliste a retranscrit une partie des propos que le haut gradé aurait tenu, à savoir des excuses à l’égard d’une manifestante présente. Le général Hassan Al-Ruwaini déclare pour sa part que les informations publiées par l’hebdomadaire étaient fausses. Le 25 juillet, Dina Abd-Al Rahman, présentatrice du programme Sabah dream sur la chaîne Dream TV a été licenciée suite à une altercation en direct avec l’ex officier de l’armée de l’air. Le 14 août, le Conseil supérieur des forces armées égyptien avait décidé de poursuivre la blogueuse Asmaa Mahfouz pour “incitation à la violence”, “trouble à l’ordre public”, “diffusion de fausses informations” et “diffamation envers le conseil suprême des forces armées”, pour plusieurs messages publiés sur Internet. Devant le tollé de cette annonce, le Conseil est revenu sur sa décision quelques jours plus tard. Alors que le procès de l’ancien leader Hosni Moubarak s’est ouvert début août dernier, l’armée conserve les anciennes méthodes de censure et d’intimidation, en affirmant qu’il n’y aurait “aucune tolérance face aux insultes lancées contre (elle)”. L’ancien directeur du bureau d’ABC au Caire, et ancien officier de l’armée égyptienne, Hassan Bahgat, 70 ans, a été condamné, le 17 août, par un tribunal militaire à une peine de six mois de prison, pour avoir "scandé des slogans hostiles à l’armée conduisant à nuire à la dignité des forces armées", le 6 août 2011, à une heure du matin, sur la place Tahrir. Si l’application de la peine a été gelée, elle reste en suspens. Et le 5 septembre dernier, Imad Bazzi (@TrellaLB), auteur du blog Trella.org depuis 1998 et directeur exécutif de l’organisation CyberACT, s’est vu interdire l’entrée sur le territoire égyptien à son arrivée à l’aéroport international du Caire, et a été renvoyé à Beyrouth par le premier avion. Il a déclaré qu’avant d’être expulsé, il avait été interrogé par trois hommes en civil, cherchant à en savoir davantage sur son activisme en ligne. Par ailleurs, une importante campagne de diffamation a été lancée dans les médias gouvernementaux contre les ONG égyptiennes recevant des subventions provenant des Etats-Unis… qui ne vise que celles qui ont formulé des critiques à l’égard du CSFA. Cette campagne met en péril l’avenir de nombreuses associations nationales de défense des droits de l’homme.
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Updated on 20.01.2016