Le cercle infernal des journalistes disparus

Lire en arabe (بالعربية) Voilà un mois jour pour jour que les deux journalistes de la chaîne américaine Al-Hurra, Cüneyt Ünal et Bashar Fahmi Al-Kadumi, ont disparu à Alep, le 20 août 2012. Un seul a donné signe de vie, à son corps défendant. En effet, le cameraman turc Cüneyt Ünal est apparu le 27 août sur une vidéo diffusée par la chaîne pro-gouvernementale syrienne Al-Ikhbariya, épuisé, des ecchymoses sous les yeux. Sous la contrainte, le journaliste affirme avoir été capturé par des soldats de l’armée régulière. Il s’accuse d’avoir été accompagné lors des combats par des personnes d’origine étrangère "qui avaient tous une arme à la main". Fréquenter des hommes armés lors d’un conflit n’est pas d’une folle originalité ; pour un journaliste, cela ne signe certainement pas un crime. Son confrère jordanien, Bashar Fahmi Al-Kadumi, serait aussi, détenu par les forces pro-gouvernementales syriennes, selon son frère. Toutefois le 4 septembre dernier, le ministère syrien de l’Information a publié un communiqué affirmant que le journaliste n’était pas détenu par les autorités syriennes. Où est-il alors ? Dans cette affaire, quelqu’un ment. En temps de guerre, un classique, mais qui crée comme un trou noir. Austin Tice a lui aussi disparu depuis le 13 août dans ce Triangle des Bermudes que sont devenues les villes de Syrie pour les journalistes, alors qu’il couvrait les événements dans la banlieue de Damas pour le Washington Post, Al-Jazeera English et McClatchy. Selon l’ambassadeur de la République tchèque en Syrie, qui y représente les intérêts américains, ce journaliste serait détenu par des forces pro-gouvernementales syriennes. Mais ces dernières ne confirment pas, malgré les pressions du Département d’Etat. Après le temps des prises d’otages avec revendications, sommes-nous désormais à l’ère du kidnapping pur et simple des témoins ? Retire-t-on à Damas les journalistes des théâtres d’opérations comme à Moscou on découpait les photos pour en retirer certains personnages? Où sont d’ailleurs les 31 journalistes et citoyens-journalistes syriens qui croupissent actuellement dans les geôles du régime ? Leurs détentions arbitraires s’apparentent à des disparitions forcées. Où se trouvent notamment Mazen Darwich, directeur du Centre syrien pour les médias et la liberté d’expression (SCM), Hussein Ghreir, blogueur arrêté également lors du raid contre le SCM en février 2012, Ali Mahmoud Othman, responsable du Centre des médias de Bab Amr à Homs, arrêté le 28 mars dernier? Aucune nouvelle également depuis la mi-août d’Ahmed Sattouf, correspondant à Homs de la chaîne de télévision iranienne en langue arabe Al-Alam et de la chaîne pro-régime Al-Ikhbariya, ni de Talal Janbakeli, cameraman de la télévision officielle syrienne, kidnappé à Damas par une katiba de l’Armée syrienne libre le 5 août dernier. Le régime de Bachar Al-Assad, comme l’Armée syrienne libre et les autres composantes de l’opposition, doivent savoir qu’il ne sert à rien de faire disparaître des journalistes si l’on veut occulter la réalité. Au contraire, ces méthodes jettent une lumière plus crue encore sur toutes ces disparitions d’hommes, de femmes et d’enfants sous le feu d’armes de guerre.
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Updated on 20.01.2016