Le BND met fin au stockage illégal de données après une saisie du tribunal par RSF Allemagne

A la suite d’une longue bataille judiciaire avec la section allemande de Reporters sans frontières (RSF Allemagne), l'agence de renseignement allemande BND a officieusement déclaré qu'elle mettait fin à son analyse illégale des métadonnées d’enregistrements des détails d’appels. En décembre 2017, le Tribunal administratif fédéral de Leipzig avait déjà interdit au BND de stocker les données de RSF Allemagne en utilisant son « système d’analyse de trafic » (VerAS).

L’utilisation depuis 2002 par le BND du système VerAS avait été révélée dans le cadre d’une enquête parlementaire initiée à la suite des révélations d’Edward Snowden. Le public allemand avait alors découvert que l’agence de renseignement du pays utilisait un “système d’analyse de trafic” qui interconnectait les utilisateurs en créant un réseau toujours plus large de personnes surveillées : même un utilisateur situé à un sixième niveau de proximité avec une personne identifiée comme étant potentiellement liée avec le terrorisme pouvait être ciblé : un utilisateur infiniment éloigné d’un suspect réel pouvait donc attirer l’oeil du système VerAS, qui enclenchait la surveillance du citoyen en question ainsi que le stockage des métadonnées de ses conversations.


C’est surtout les journalistes qui ont été mis en péril par l’utilisation pendant des années de ce système, déclaré illégal en décembre 2017 : toute enquête sur des sujets sécuritaires pouvait légèrement être une excuse pour associer un journaliste et ses sources à un “réseau de contact” créé autour d’un terroriste potentiel par le système VerAS, ce qui entraînait la surveillance et le stockage par le BND de données extrêmement sensibles. S’inquiétant de la confidentialité de ses propres échanges avec des journalistes en danger ainsi que de la sécurité des sources de ces derniers, RSF Allemagne a saisi la justice en 2015, pour contraindre le BND à cesser de stocker les métadonnées des conversations de l’organisation, avec le but ambitieux de renforcer les droits de tous ceux qui étaient concernés par les actions illégales du BND.



Un jugement décisif pour une meilleure protection légale


Le Tribunal administratif fédéral de Leipzig a rendu son jugement en décembre dernier. Selon les juges, il n’existait pas de base légale pour justifier le stockage des données de RSF Allemagne, que l’agence de renseignement a été contrainte de cesser immédiatement.


Seul souci : ce jugement ne s’appliquait directement qu’aux communications de RSF Allemagne, que le BND n’avait plus le droit de surveiller suite à leur identification possible par le système VerAS. Le droit allemand permettant néanmoins dans ce cas la revendication directe - sans devoir passer par la justice - par tous les citoyens du même droit dont disposait désormais la section allemande de RSF, l’organisation a décidé de la création d’un outil en ligne, le "BND-Generator", permettant à quiconque de se retirer de la base de données générée par le système VerAS par un simple clic de souris.


L’utilisateur n’avait qu’à entrer son nom et son adresse postale dans le « Bitte-Nicht-Durchleuten-Generator » (« le générateur-ne-pas-surveiller-s’il-vous-plaît) pour demander au BND de vérifier et ensuite confirmer que l’utilisateur avait bien été supprimé de sa base de données suite à une identification possible par le système VerAS. Une fois cette tâche accomplie, le générateur créait automatiquement une lettre de demande d’arrêter de « stocker ou utiliser les métadonnées du trafic de mes télécommunications dans les dossiers VerAS ». A la suite de l’envoi de cette lettre, le BND avait dix jours pour confirmer la suppression de ces données.



Le « Générateur BND » force l’agence de renseignement à capituler


A peine quelques jours après le début du fonctionnement de l’outil, le BND avait reçu plus de 2000 demandes de suppression. Face à cette explosion d’intérêt pour le “BND-Generator”, l’agence de renseignement a capitulé: dans une lettre envoyée à RSF Allemagne, le BND s’est officieusement engagé à restructurer le système VerAS pour empêcher la violation des droits des citoyens – non seulement pour ceux qui avaient envoyé une demande via l’outil mis en ligne par RSF Allemagne, mais pour le système entier.


« Avec cette déclaration du BND, nous avons accompli notre mission : nous avons mis fin à l’analyse illégale des métadonnées téléphoniques – non seulement pour nous, mais également pour tous ceux concernés par la surveillance du BND, déclare le directeur exécutif de RSF Allemagne Christian Mihr. Ce succès montre que la société peut exercer un contrôle sur ses services secrets par le biais d’instruments légaux et ne doit pas tolérer leurs activités illégales. Grâce au soutien de plus de 2000 personnes, les droits de tous ont été renforcés. »


Le jeudi 17 mai dernier, RSF Allemagne a informé tous les utilisateurs du succès fracassant du “Generator” et par conséquent de la fermeture de l’outil.



Le combat continue à Karlsruhe et à Strasbourg


La surveillance indiscriminée par le BND dont sont victimes les journalistes fait l’objet de deux autres actions en justice. Après avoir saisi la Cour européenne des droits de l’homme à Strasbourg en fin 2017, RSF Allemagne et d’autres organisations ont aussi déposé une plainte constitutionnelle auprès du Tribunal constitutionnel fédéral allemand à Karlsruhe, dans les deux cas contre une nouvelle loi sur le BND qui autorise ouvertement la surveillance des journalistes par l’agence.


L’Allemagne est située à la 15e place du classement de la liberté de la presse de RSF de 2018. Plus d’informations sont disponibles sur www.reporter-ohne-grenzen.de/deutschland.

Publié le
Updated on 24.05.2018

Europe - Asie centrale

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