L’ancienne rédactrice du quotidien kurde Azadiya Welat condamnée à 138 ans de prison

Reporters sans frontières apprend avec effroi la condamnation surréaliste d’Emine Demir, ancienne rédactrice d’Azadiya Welat, seul quotidien en langue kurde de Turquie, à une peine de 138 ans de prison pour « propagande en faveur des rebelles kurdes » et « appartenance à une organisation terroriste ». La journaliste peut encore faire appel de la sentence. Son avocat, Servet Osen, a demandé l’acquittement de sa cliente au nom de la liberté d’expression. Il a souligné qu’Emine Demir n’était pas aux ordres du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) et que ses articles devaient être considérés comme des reportages, et non comme des actes de propagande. La cour a émis un mandat d’arrêt contre la journaliste qui ne s’est pas présentée à l’audience. Emine Demir, âgée de 24 ans, est accusée d’avoir soutenu la cause du PKK, considéré comme une organisation terroriste par de nombreux Etats, dont la Turquie, l'Union européenne et les Etats-Unis. La rédactrice a été condamnée le 30 décembre 2010, en vertu de l’article 314 du code pénal turc et de l’article 7 alinéa 2 de la loi anti-terroriste (LAT), à un an et demi de prison par publication, pour 84 articles écrits entre 2008 et 2009. Reporters sans frontières réitère sa condamnation de l’usage abusif et insensé de la loi anti-terroriste par les autorités turques. Le journal Azadyia Welat a déjà été suspendu huit fois par la justice turque. Au moins neuf journalistes du quotidien sont actuellement en prison, dont deux autres anciens rédacteurs en chef, qui ont été inculpés pour les mêmes motifs qu’Emine Demir. Le 13 mai 2010, Vedat Kursun a été condamné à une peine de 166 ans de prison. Le 9 février 2010, Ozan Kilinç avait été condamné par contumace à 21 ans de prison. Il a également été privé de ses droits civiques. Ainsi, les trois anciens rédacteurs en chef totalisent pas moins de 325 ans d’emprisonnement. Ce véritable harcèlement judiciaire contre le seul journal en langue kurde du pays contraste avec les déclarations politiques en faveur de l’ouverture à la minorité kurde prononcées depuis 2009. La question kurde reste taboue et prétexte à la poursuite judiciaire de trop nombreux médias et journalistes en Turquie. Ainsi, le rédacteur en chef du journal Hawar et responsable des Editions Aram, Bedri Adanir, encourt 50 ans de prison pour la publication d’articles au sujet du PKK et l’édition de livres rassemblant les plaidoiries réalisées dans le cadre du procès du leader du PKK, Abdullah Öcalan, devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Le procès de Bedri Adanir, incarcéré depuis le 5 janvier 2010, se poursuivra le 3 mars 2011. La journaliste Berivan Eker, ancienne rédactrice en chef du Renge Heviya Jine, est également exposée à une peine de 21 ans de prison. Elle a été arrêtée le 5 décembre 2010 et inculpée pour “appartenance au PKK” et “propagande de cette organisation”. Elle doit comparaître le 25 janvier 2011. La procureur estime qu’elle a commis un délit au nom de cette organisation même si elle n’en fait pas concrètement partie. Ce qui illustre, une fois de plus, l’instrumentalisation de la loi anti-terroriste, dont les textes en eux-mêmes sont déjà condamnables. Cette partialité a d’ailleurs été avouée à demi-mot à travers la libération du journaliste Erdal Güler, ancien rédacteur en chef du quotidien Devrimci Demokrasi. Le 26 octobre 2010, la cour d’assises d’Istanbul a établi que la décision de sa condamnation prise en 2007 ne lui avait pas été annoncée conformément à la loi. Bien que cette libération soit largement motif de réjouissance, elle illustre les dissensions au sein de l’appareil judiciaire turc lorsque la loi est détournée au profit du politique. Reporters sans frontières appelle la cour d’assises de Diyarbakir à annuler le mandat d’arrêt contre Emine Demir et la cour d’appel à rejeter la condamnation inique et démesurée de la journaliste. L’organisation demande à nouveau la modification de la loi anti-terroriste et la libération de Berivan Eker, Bedri Adanir, Vedat Kursun, Ozan Kilinç et de tous les autres journalistes emprisonnés en vertu de cette loi et pour leur activité journalistique.
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Mise à jour le 20.01.2016