La survie du Feral Tribune menacée par de lourdes amendes

Dans une lettre adressée à Ivica Racan, Premier ministre de Croatie, Reporters sans frontières (RSF) s'est étonnée de la sévérité des condamnations infligées au Feral Tribune, d'autant qu'elles menacent la survie de l'hebdomadaire satirique. "Jusqu'ici, le Feral Tribune, qui a toujours été très critique envers les autorités, n'avait jamais été condamné à des amendes aussi lourdes. Ces condamnations, qui concernent des articles parus il y a plus de cinq ans, déçoivent les espoirs placés dans l'après-Tudjman pour la liberté d'expression en Croatie", a déclaré Robert Ménard, secrétaire général de l'organisation. "Nous vous demandons de tout mettre en œuvre afin de permettre au Feral Tribune de continuer à exercer son droit d'informer et de veiller à ce que les attaques lancées contre les médias par l'ancien président ou par ses proches ne soient plus recevables", a rajouté Robert Ménard. Selon les informations recueillies par RSF, le compte bancaire de l'hebdomadaire satirique Feral Tribune a été bloqué, le 1er mars 2002, suite à des condamnations par la Cour régionale de Zagreb, à des amendes d'un montant total de 200 000 kuna (27 183 euros) pour "préjudice moral" et pour "opinions et vues cosmopolites". Le blocage du compte bancaire et le montant des amendes remettent en question la possibilité pour le Feral Tribune d'assurer sa publication dans le futur. La première condamnation se base sur un article écrit en 1993 par l'historien d'art Zvonko Makovic, dans lequel il analysait l'incompétence de Marica Mestrovic dans sa gestion de la Fondation Mestrovic. Si l'analyse de l'auteur a été considérée comme une forme de critique publique acceptable, le magazine s'est vu, quant à lui, lourdement condamné pour l'avoir publiée. La seconde condamnation se réfère à un article écrit en 1996 par Viktor Ivancic, qui critiquait des propos antisémites et profascistes de Zeljko Olujic, un avocat proche de l'ancien président Franjo Tudjman. Ce dernier assure par ailleurs la défense de Marica Mestrovic. La Cour, qui a confirmé le verdict de première instance, a jugé Viktor Ivancic coupable d'avoir exprimé des "opinions et des vues cosmopolites" et condamné le Feral Tribune à payer à Zeljko Olujic des dommages et intérêts conséquents. RSF précise que le terme "opinions et vues cosmopolites" est inconnu des juristes croates interrogés et s'étonne qu'il puisse justifier une condamnation. Dans un entretien avec RSF, Predrag Lucic, rédacteur en chef adjoint de l'hebdomadaire, a précisé que le journal avait fait appel des deux condamnations prononcées en octobre 2001, mais que le blocage du compte bancaire avait été ordonné avant leur examen. La prochaine édition du Feral Tribune devrait publier à nouveau les articles incriminés. RSF rappelle qu'en mai 2000, la Cour constitutionnelle avait déclaré inconstitutionnel l'article du code pénal qui permettait de poursuivre les opposants à l'ancien Président. Les dispositions relatives à l'offense, à la diffamation, à l'accès à l'information, à la protection des secrets d'Etat et militaires, ainsi que la surveillance des services de renseignement continuent de peser sur les conditions d'exercice du métier de journaliste en Croatie.
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Mise à jour le 20.01.2016