La répression au nom de la création : "HADOPI 2" n'est qu'un toilettage d'HADOPI 1"

Le 15 septembre 2009, la nouvelle version du projet de loi relatif à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur Internet ("HADOPI 2") sera soumise au vote de l’Assemblée nationale. Le gouvernement, suivant la volonté du chef de l’Etat d’"aller jusqu’au bout", revient en urgence en cette rentrée parlementaire avec la suite de la loi "HADOPI 1", votée le 12 juin 2009. Son volet répressif avait été censuré par le Conseil constitutionnel, le 10 juin 2009, au motif que les sanctions, et notamment la coupure d’accès à Internet, ne pouvaient être ordonnées que par un juge. Etant donné que des solutions alternatives existent pour protéger la création littéraire et artistique, Reporters sans frontières attire l’attention sur le fait que la répression à outrance qui imprègne cette nouvelle mouture risque de mettre en péril l’accès à l’information. "Cette nouvelle mouture de la loi HADOPI, censée apporter des garanties aux internautes, est un simple toilettage des dispositions qui ont pourtant été censurées par le Conseil constitutionnel. Un nouveau texte présenté quelques jours seulement après la censure des Sages, des débats dans l’urgence, une procédure accélérée : tout est fait pour que les députés n’aient pas le temps de réfléchir et débattre d’un projet qui présente des risques pour le droit d’accès à Internet, pourtant reconnu comme droit fondamental par le Parlement européen. Or, là est bien l’enjeu, qu’il s’agisse de la technique informatique utilisée pour déceler le piratage et la personne coupable, de la procédure ou de la sanction prévue", a déclaré Reporters sans frontières. D’une part, la technique employée pour filtrer le flux internet à la recherche de fichiers piratés n’est pas déterminée. S’il s’agit d’un algorithme, il y a fort à craindre que celui-ci ne différencie pas une donnée légale d’une donnée illégale. Dés lors, il y a un risque qu’un échange électronique avec un ami sur un film avec moult précisions soit filtré. De même, comment prouver l’innocence de celui dont l’adresse IP a été piratée, pour télécharger des fichiers illégaux, sans laisser de traces ? Le domaine des libertés fondamentales fait partie de la compétence du législateur. Il serait donc important, pour évaluer l’étendue de ce contrôle et ses conséquences pour la liberté d’expression, que celui-ci fixe la technique à utiliser pour surveiller Internet. On peut également s’inquiéter du choix de la procédure pour l’application des sanctions. Parmi toutes celles offertes en procédure pénale, c’est la plus simple et la plus rapide qui a été choisie. Celle où un juge unique édicte une ordonnance pénale sans la présence du prévenu. D’autre part, il est prévu que les données téléchargées illégalement ne soient pas communiquées à l’accusé lors de l’ordonnance pénale. Reporters sans frontières s’interroge sur cette mesure rappelant les méthodes de censure antérieures à la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. En effet, le censeur était dispensé de rendre compte des motifs ou du contenu d’une censure à la personne concernée. Il s’agirait donc d’une violation des droits de la défense. Tels que définis par la Cour européenne des droits de l’homme dans le cadre du procès équitable, ces droits impliquent que soient communiqués aux parties tous les documents du procès et de l’accusation au nom de l’"égalité des armes" et du "principe d’impartialité" du juge. Ce retour partiel à la censure est contraire aux principes constitutionnels. Par ailleurs, selon le projet HADOPI 2, le simple fait d’aller sur une plateforme de téléchargement illégal rend coupable l’internaute qui n’a pourtant pas encore téléchargé. Cette mesure rappelle également la censure du XIXe siècle où le régime préventif limitait la liberté d’expression avant même qu’elle ne soit exercée. En l’espèce, l’internaute n’a pas encore commis d’illégalité sur le réseau qu’il est déjà sanctionné. L’internaute ne devrait donc être condamné que s’il a effectivement téléchargé des fichiers piratés. Enfin, la sanction prévue pour l’internaute coupable est manifestement disproportionnée et remet considérablement en cause la liberté d’expression. Le coupable voit son accès à Internet suspendu pour un an. Autrement dit, l’internaute coupable d’un "abus de la liberté d’expression" (tout piratage d’une œuvre protégée par des droits d’auteur est un "abus de la liberté de communication"), se voit condamné à une interdiction d’un an d’exercer son droit à la liberté d’expression et de communication via le média Internet. Interdiction de communiquer avec ses proches et amis par mail, msn, Twitter, Facebok, Skype, blogs et interdiction de recevoir des informations via Internet. Une telle sanction n’existe pourtant pas pour d’autres abus de la liberté d’expression. En effet, a-t-on jamais vu quelqu’un, condamné pour diffamation via la presse écrite, contraint de ne plus acheter de journaux, à ne plus en lire, et à ne plus s’exprimer par voie de presse écrite pendant un an ? Un abus de la liberté d’expression n’est pas sanctionné, en droit, par l’interdiction de cette liberté pour le coupable. Pourquoi le serait-elle pour Internet ? Le Parlement européen a déclaré l’accès à Internet comme un droit fondamental dans un amendement 138/46. Les autorités françaises s’étaient opposées à cette décision. Internet est certes un mode de communication révolutionnaire, mais la protection de la propriété littéraire et artistique ne doit pas être antinomique de la liberté d’expression. Celle-ci est la condition de la démocratie. Reporters sans frontières appelle donc les élus français à protéger ce droit fondamental.
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Updated on 20.01.2016