La presse locale objet de pressions

« Les textes qui permettent de poursuivre tout discours sortant du cadre de l'idéologie nationale officielle doivent être abolis. Ils perpétuent une conception dépassée et archaïque de la Turquie, et sont responsables d'injustices », selon Reporters sans frontières.

« Les pressions exercées continuellement sur les médias en Turquie montrent qu'il est urgent de fournir des efforts conséquents, pour que les lois et les pratiques judiciaires soient conformes aux standards démocratiques », a déclaré Reporters sans frontières. « Les textes qui permettent de poursuivre tout discours sortant du cadre de l'idéologie nationale officielle doivent être abolis. Ils perpétuent une conception dépassée et archaïque de la Turquie, et sont responsables d'injustices », a poursuivi l'organisation. Deux journalistes du sud-est anatolien risquent aujourd'hui la prison. Yasin Yetisgen, rédacteur en chef de l'hebdomadaire régional Coban Atesi, est passible de 7 ans et demi de prison en vertu de l'article 318 du code pénal turc et de la Loi 5816, de 1951, relative aux délits à l'encontre d'Atatürk. On lui reproche d'avoir publié, le 8 novembre 2007, un éditorial intitulé "Ne m'envoie pas à l'armée maman", rédigé par Berkant Coskun et ayant déjà fait l'objet de saisie, le 9 novembre dernier. Yasin Yetisgen comparaîtra le 9 mai 2008 devant le tribunal correctionnel de Gaziantep. Haci Bogatekin, propriétaire du journal Gerger Firat, a été interpellé, le 8 janvier 2008, sur décision du procureur de la sous-préfecture de Gerger à Adiyaman (sud-est du pays), Sadullah Ovacikli, en raison d'un éditorial intitulé "Feto et Apo", paru le 4 janvier. Il est accusé d'avoir "fait la propagande" et "l'éloge du PKK", délits respectivement passibles de trois ans et de 7 ans et demi de prison. "Feto" est le surnom donné à Fethullah Gülen, l'influent chef d'une communauté musulmane vivant aux Etats-Unis. « Apo » est celui du leader du PKK, Abdullah Öcalan, actuellement détenu sur l'île prison d'Imrali (au nord-ouest de la Turquie) et condamné à la prison à perpétuité. Le procureur Ovacikli a apostrophé Haci Bogatekin, lui demandant : "Comment oses-tu appeler “Feto”, notre maître Fethullah Gülen, le bien-aimé de millions de gens ? ». Il a ajouté : « Soit tu t'excuseras au prochain numéro ou alors, ça se passera mal pour toi! ». Le journaliste a refusé de faire sa déposition devant Sadullah Ovacikli et a fait jouer son droit de garder le silence. Peu après, il a expliqué au parquet de Gerger, la raison pour laquelle il avait écrit cet article. Selon lui, le péril le plus grand encouru par la République turque est celui de l'islam radical. Haci Bogatekin affirme également que les forces de l'intégrisme religieux et du terrorisme kurde s'affrontent et que "ce combat se répand en particulier dans les régions kurdes de la Turquie mais aussi à l'étranger". Il affirme que le Parti de la Justice et du Développement (AKP) a remporté les élections du 22 juillet 2007 grâce à Fethullah Gülen et que leur projet consiste à orienter "le combat pour la libération des Kurdes " vers le radicalisme islamique. Le journaliste accuse également l'armée turque, perçue comme le gardien de l'ordre laïc, d'abandonner les villes aux sectes et d'aller poursuivre les militants du PKK dans les montagnes. Il appelle à la fin du conflit entre l'armée et le PKK. Lorsque le journaliste a été remis en liberté par le parquet, le procureur Ovacikli a immédiatement fait appel de cette décision. Le parquet d'Adiyaman, auquel le dossier a été transmis, doit décider du sort du journaliste. Ce dernier a saisi le Haut Conseil de la magistrature (HSYK) pour dénoncer l'attitude du procureur Ovacikli. Par ailleurs, plusieurs médias kurdes se sont récemment trouvés dans la ligne de mire des autorités. Les employés du quotidien prokurde Gündem (Agenda) ont décidé de ne plus publier le journal en signe de protestation contre les pressions politico-judiciaires subies les derniers mois. Ces derniers ont manifesté, le 16 décembre 2007, sur la petite place de Galatasaray, du district de Beyoglu sur la rive européenne d'Istanbul, et protesté contre "les pressions constantes à l'encontre de la liberté de la presse". Cependant, la police n'a pas autorisé les collaborateurs du journal à distribuer le dernier numéro. Selon les chiffres fournis par le journal, depuis le mois d'août 2006, huit journaux pro-kurdes ont été suspendus à dix-huit reprises pour des durées allant jusqu'à un mois. Le quotidien Gündem, apparu le 17 janvier 2007, a ainsi été suspendu six fois, le journal Güncel (Ordre du jour), mis en vente le 19 mars, à trois reprises, et Ülkede Özgür Gündem (Libre Agenda au Pays), présent en kiosques depuis le 1er mars 2004, à deux reprises. D'autres titres ont fait l'objet de décisions similaires. Parmi eux, Gerçek Demokrasi et Yedinci Gün suspendus à deux reprises, Haftaya Bakis (Regard sur la Semaine) une fois, ainsi que Azadiya Welat , le seul quotidien publié en kurde, lui aussi suspendu une fois L'article 318 du code pénal n'a pas été modifié à l'issue des réformes menées depuis 2002, en voie d'un rapprochement avec l'Union européenne. Il prévoit de six mois à deux ans d'emprisonnement pour quiconque diffuse de la propagande, mais aussi encourage des activités pouvant détourner la population du service militaire. Cette peine est augmentée de moitié quand les coupables sont des médias ou des journalistes. De même, le gouvernement n'a pas touché à la loi 5816 qui punit d'un à trois ans de prison, toute insulte ou injure à l'encontre d‘Atatürk. Les peines prévues sont, là aussi, augmentées de moitié dans le cas où les médias sont impliqués.
Publié le
Updated on 20.01.2016