La mort du roi Bhumibol ne doit pas être un prétexte à l’usage massif du crime de lèse-majesté contre la presse

Alors que les autorités thaïlandaises ont annoncé la mort du roi Bhumibol Adulyadej, le 13 octobre 2016, Reporters sans frontières (RSF) appelle le Conseil national pour l’ordre et la paix (NCPO) à faire preuve de retenue en matière de contrôle de l'information et à ne pas se lancer dans une répression indiscriminée contre tous ceux, journalistes et net-citoyens, qui commenteraient la mort du roi et ses conséquences.

Alors que le roi est décédé, à l'âge de 88 ans, entraînant un deuil national pour les 70 millions de Thaïlandais qui ont vécu sous son règne, RSF s'inquiète des possibles représailles contre la presse locale et étrangère qui, au cours des prochains jours et des prochaines semaines, s'apprête à couvrir et à commenter les événements politiques liés au décès du roi et à sa succession.


"Nous mettons en garde le gouvernement du Premier ministre Prayut Chan-o-cha contre toute instrumentalisation du crime de lèse-majesté dans le but de faire taire les professionnels de l'information, ou la population, première concernée par ce décès, déclare Benjamin Ismaïl, responsable du bureau Asie-Pacifique à Reporters sans frontières. Même si le pays fait aujourd'hui face à de nombreuses incertitudes politiques, il apparait non seulement inévitable mais surtout indispensable que la presse et les réseaux sociaux s'emparent de tous les sujets politique y compris la monarchie et le régime politique en vigueur dans le pays. Limiter le débat public serait contraire au devoir de servir l'interet général qui échoue au gouvernement et au NCPO."


La monarchie, premier tabou thaïlandais


Les sujets tabous ne manquent pas en Thaïlande. Mais le crime de “lèse-majesté” (offense à la monarchie, punie de 3 à 15 ans de prison par l’article 112 du code pénal) est plus que jamais la bête noire de tous les journalistes, qui hésitent à relater les affaires judiciaires concernant l’offense à la monarchie, voire à rechercher sur leur navigateur web les mots-clés s’y rapportant.


Des centaines de personnes, y compris des journalistes, des intellectuels, des universitaires et des politiques ont été arrêtées pour crime de lèse-majesté. Et comme un simple appel anonyme suffit à lancer une enquête du Département des enquêtes spéciales, l’autocensure est la règle absolue. Somyot Prueksakasemsuk, rédacteur en chef du magazine Voice of Thaksin et l’un des trois journalistes emprisonnés en Thaïlande pour lèse-majesté, purge une peine de 11 ans de prison pour avoir publié en 2010 deux articles, dont il n’est pas l’auteur, jugés diffamatoires envers le roi et la monarchie. Le 18 novembre 2014, un tribunal militaire a condamné Kathawuth Bunphithak, présentateur d’une radio en ligne, à 5 ans de prison. Le journaliste-citoyen avait été accusé d’animer une émission de radio sur Internet traitant de sujets politiques, en violation de la loi sur la lèse-majesté. Le 24 novembre 2014, c’est au tour du rédacteur en chef du site d’information Thai E-News, Somsak Pakdeedech, d’être condamné à une peine de quatre ans et demi d’emprisonnement pour la publication en ligne d’un article dont il n'est même pas l'auteur.


Depuis le coup d’Etat militaire de mai 2014, la liberté de la presse est sévèrement réprimée en Thaïlande, classée 136e sur 180 pays au Classement mondial de la liberté de la presse 2016.


Le 12 novembre 2015, Reporters sans frontières a publié un rapport d’enquête dressant un état des lieux. Intitulé « Thaïlande : coup d’Etat permanent contre la presse», ce rapport appelle notamment les autorités thaïlandaises à cesser de recourir à des lois répressives, dans le but de museler les médias critiques et indépendants, à la censure du Net et à la surveillance des blogueurs et de tous ceux qui publient des informations “critiques” sur les réseau sociaux.


Publié le
Updated on 13.10.2016