La loi sur la cybercriminalité, une menace pour la liberté de l’information

Le 9 octobre 2012, la Cour suprême des Philippines a suspendu l’application du “Cybercrime Prevention Act 2012” (Republic Act n° 10175), par un vote unanime, après avoir reçu une quinzaine de pétitions lui demandant de se prononcer sur la validité de la loi. Reporters sans frontières estime que des amendements, à l'étude depuis la suspension de la loi, ne suffiraient pas, et demande son abrogation pure et simple. Sous couvert de la lutte légitime contre la cybercriminalité, ce texte présente une véritable menace pour la liberté de l’information. En effet, la loi a notamment intégré à la dernière minute la diffamation sur Internet parmi les “cybercrimes”. L’organisation regrette que les autorités aient manqué de transparence et n’aient pas suffisamment consulté la société civile dans la procédure d’élaboration de ce texte. L’injonction de retrait provisoire (temporary restraining order) rendue par la Cour est limitée à 120 jours. Les premières audiences destinées à examiner si certaines dispositions de la loi violent les libertés civiles, auront lieu à partir du 15 janvier 2013. Le 9 octobre, des manifestants se sont réunis devant la Cour et des appels à un boycott d’Internet ont été lancés en signe de protestation conte la loi. Depuis avril 2012, des activistes locaux ainsi que des groupes de médias expriment leurs craintes concernant les libertés en ligne, et mènent des campagnes de mobilisation. Reporters sans frontières exprime son inquiétude quant au flou entourant la définition de la diffamation à Internet, qui rend tout internaute potentiellement passible de poursuites. De nombreuses questions se posent : - Un simple “like” sur Facebook ou un commentaire en ligne d’un contenu jugé diffamatoire pourra-t-il valoir des poursuites ? Tout comme le fait de retweeter ce type de contenus ? - Un commentaire diffamatoire déposé sur un blog par un visiteur engagera-t-il la responsabilité de l’auteur du blog ? - En cas d’auteur anonyme, les fournisseurs d’accès et intermédiaires techniques seront-ils jugés responsables des contenus incriminés, comme on l’a vu récemment au Brésil ? Seront-ils contraints de prendre des mesures de surveillance intrusives afin d’identifier les internautes poursuivis ? Aux Philippines, la diffamation est considérée comme un crime, relevant de la responsabilité pénale, et passible d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à quatre ans et d’une amende allant de 200 à 6 000 pesos (article 355 du Nouveau Code pénal du 8 décembre 1930 (RPC)). Appliqué à Internet, les peines peuvent aller jusqu’à douze ans d’emprisonnement et 1 000 000 de pesos (18 600 euros) d’amende (Chap. III sec. 8, Republic Act n°10175). Les craintes d’un risque d’abus paraissent justifiées au regard des pratiques de certains hommes politiques ou autres figures publiques, qui ont, de manière régulière, poursuivi des journalistes et des médias en diffamation ces dernières années, afin de les inciter à s’auto-censurer. Promulgué par le Président Benigno Aquino III le 12 septembre 2012, le “Cybercrime Prevention Act 2012” a pour but d’“encourager l’usage du cyberespace”, en “protégeant les utilisateurs des abus et mauvais usages”, affirme l’un des fervants défenseurs de la loi, le sénateur Edgardo Angara. Pourtant, selon des internautes cités par Global Voices, l’inclusion de la diffamation sur Internet relève d’un “copier-coller absurde” qui ne s’adapte pas du tout à Internet, et qui pourrait ouvrir la porte à des abus. Les articles reprennent quasiment mot pour mot la définition de la diffamation de l’article 353 du nouveau Code pénal, en ajoutant que le crime peut être commis par des moyens électroniques. Les Philippines, théâtre du premier meurtre de journaliste en 2012 en Asie, demeure un des pays les plus dangereux pour les professionnels des médias, et se situe à la 140ème place, sur 179 pays recensés, dans le classement mondial de la liberté de la presse 2011-2012 de Reporters sans frontières. Photo : Tudla Productions
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Mise à jour le 20.01.2016