La justice slovène sanctionne les journalistes dans un contexte politique délétère envers les médias

En 2008, le parti SDS a fait un pas en arrière en faisant voter un nouveau code pénal qui supprime des dispositions qui autorisaient la publication d’information classifiées lorsqu’elles relevaient de l’“intérêt public”. Quatre journalistes sont aujourd’hui inquiétés par la justice pour avoir révélé des documents classifiés.

Dans trois affaires similaires, des journalistes ont révélé des documents classifiés dont la fuite a été orchestrée par un groupe cherchant à affaiblir son opposant sur la scène politique slovène. Ces journalistes sont depuis la cible de poursuites engagées par l’entité victime des révélations.

Les journalistes manipulés par des opposants politiques

Deux journalistes du quotidien Dnevnik, Meta Roglič et Peter Lovšin, font l’objet d’une enquête pour avoir publié un article en mars 2013 sur la crise interne que traverserait l’agence de renseignements et de sécurité slovène (Sova), un sujet relevant clairement de l’intérêt général. Le service de renseignement a depuis engagé des poursuites pénales contre eux et les journalistes ont été interrogés par la police dans le cadre d’une instruction. Les informations détenues par les journalistes avaient manifestement été fournies par des sources au sein de l’agence de renseignement, où deux clans politiques s’affrontent - l’un représenté à droite par l’ancien chef du gouvernement Janez Jansa, l’autre à gauche soutenu par l’homme d’affaire Bojan Petan. Pendant la campagne pour les élections parlementaires de 2011, Anuska Delic, journaliste pour le journal Delo, a elle révélé l’existence de liens entre le Parti démocrate slovène (SDS), mené par Janez Jansa, et le groupe d’extrême droite “Sang et Honneur”. La journaliste est accusée d’avoir obtenu illégalement des informations secrètes et de les avoir rendues publiques. Le procureur a mis en avant le fait qu’après la publication de ces documents, l’agence de renseignements et de sécurité n’avait pas pu continuer de rassembler des informations sur l’extrême droite slovène, et avait dû arrêter d’enregistrer certaines conversations téléphonique. Par ailleurs, certaines cibles des services secrets avaient été avertis, grâce à l’article, qu’ils étaient sur surveillance. Pour Delic, les poursuites judiciaires suivent un agenda politique. L’enquête contre la journaliste a été ouverte deux semaines après la nomination du nouveau directeur de Sova, Damir Crncec. “C’est une revanche de sa part, car j’ai publié un article, juste avant les élections parlementaires, sur les connexions du parti SDS avec l’extrême droite, explique Delic. C’est une politisation de l’affaire et une attaque contre les journalistes et les médias”. Le SDS, mené par Jansa, est arrivé au gouvernement en 2012. Le directeur de Sova a été immédiatement remplacé par le SDS, et Damir Črnčec a été nommé à cette position. Il est connu pour avoir organisé des manifestations devant la Cour de justice après la condamnation de Janez Jansa pour corruption. Pendant le procès contre Anuška Delić, l’ancien directeur de Sova Sebastjan Selan est mis en accusation par le procureur pour ne pas avoir demandé l’ouverture d’une enquête sur la fuite au sein de Sova.

Un journaliste pris pour cible par l’ancien Premier ministre

Le journaliste Erik Valenčič, du service de télévision publique slovène, a été convoqué à une audition par un procureur mercredi 28 janvier 2015. Il a refusé de répondre aux questions pendant son interrogatoire. Il est accusé d’avoir divulgué des informations classifiées : en janvier 2014, il avait rendu public un rapport de Sova sur l’extrême droite slovène dans un documentaire télévisé. D’après le journaliste, le document, commandé à Sova par un comité parlementaire en septembre 2012, ne contenait pas d’informations vraiment sensibles. Le journaliste avait par ailleurs enlevé ou caché les informations qu’il considérait comme telles. Janez Jansa, président du gouvernement slovène jusqu’en 2013, a twitté à son sujet le mardi 27 janvier 2015, l’accusant d’être un “terroriste potentiel”. Le ministère des Affaires étrangères israélien, ainsi que la CIA et la sécurité des aéroports étaient taggés dans ce tweet, accompagné de trois photographies d’Erik Valenčič, récupérées dans ses archives personnelles. Une des photographies représente le journaliste avec une Kalasnikov en 2006, dans une chambre d’hôtel en Irak où il était alors correspondant de guerre. Un tweet qui vise clairement le journaliste et sa crédibilité, en plus de lui assurer des difficultés pour voyager à l’étranger dans le futur.

Les freins à la liberté de la presse

En 2008, le parti SDS de Jansa a fait prendre une direction autoritaire à la politique slovène, notamment en matière de liberté de la presse. Le nouveau code pénal slovène, voté au Parlement la même année, introduit des dispositions dangereuses pour la liberté d’information. Depuis cette date, plusieurs journalistes ont manifestement été utilisés par Sova et les acteurs politiques. Avant 2008, le code criminel comprenait un article sur la “divulgation d’informations classifiées”, qui autorisait la publication d’informations sensibles si elles étaient publiées afin de rendre public des irrégularités. Ce paragraphe, qui assurait une forme de protection aux journalistes, a été enlevé du code criminel en 2008. Il paraît aujourd’hui essentiel de réintroduire ce paragraphe dans le code pénal, et d’introduire une nouvelle disposition qui décriminaliserait les crimes dits d’honneur, toujours punis par la loi slovène. L’interconnexion entre grands magnats des médias et services secrets est un frein réel au journalisme d’investigation slovène. En 2012, l’ancien chef de Sova Sebastjan Selan est devenu administrateur de Marina Portorož, puis directeur de Terme Čatež en 2013, deux entreprises dont l’oligarque et homme d’affaire Bojan Petan est propriétaire. Ce dernier est poursuivi en justice pour “abus de position et abus de confiance dans le cadre d’activités commerciales”. Avec l’homme d’affaire et lobbyiste Franci Zavrl, il aurait détourné 26 millions d’euros et causé 54 millions d’euros de dommages aux entreprises Marina Portoroz et Terme Čatež, dont Selan est aussi l’administrateur. Bojan Petan est aussi le propriétaire du journal Dnevnik. Il fait l’objet d’une enquête des autorités bosniaques pour crime organisé et blanchiment de fonds. Dnevnik n’a pas couvert les poursuites visant son propriétaire et n’a pas parlé de l’enquête de police sur les allégations de crime organisé et de blanchiment d’argent portées contre Bojan Petan. Même lorsque les maisons de Franci Zavrl and Bojan Petan ont été fouillées, seul le nom de Zavrl a été cité sur le site internet de Dnevnik et dans ses articles. Petan a finalement été cité par le journal avec plusieurs heures de retard sur les autres médias. La Slovénie figure à la 35ème place sur 180 pays au Classement mondial de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières pour l’année 2015.
Publié le
Updated on 20.01.2016