La France transpose le Paquet Télécom, un ensemble de mesures européennes, dans le droit français

Par l’ordonnance du 24 août 2011, publiée au journal officiel le 26 août, la France a transposé dans le droit français le Paquet Télécom, adopté en novembre 2009 par le parlement européen. “L’adoption du Paquet Télécom au niveau national a eu lieu sans aucun débat parlementaire alors que ce texte modifie la conception et la vision d’Internet en France. De nombreuses questions restent non résolues, et on ne peut que constater un manque flagrant d’engagement réel en faveur des consommateurs de la part du gouvernement”, a déclaré Reporters sans frontières. Quatre points restent particulièrement problématiques : l’absence de mesures contraignantes en terme de protection des données personnelles, l’obligation d’information des fournisseurs d’accès à Internet (FAI) sur les dangers du Web et leurs conséquences juridiques, l’utilisation des communications électroniques par l’Etat pour la sécurité et l’ordre public, et la remise en question partielle de la neutralité du Net. Neutralité du Net L’ordonnance reste très permissive concernant la neutralité du Net. L'article 3, qui prévoit que le ministre en charge des communications électroniques veille, avec l’Arcep, à "favoriser la capacité des utilisateurs finaux à accéder à l'information et à en diffuser (sic) ainsi qu'à accéder aux applications et services de leurs choix", n’a aucune valeur contraignante. L'article 33, qui décrit les informations devant figurer sur le contrat d’abonnement Internet, ne garantit pas non plus la neutralité du Net, mais se contente de l’encadrer, exigeant plus de transparence. Le contrat doit en effet informer les consommateurs des procédures qui pourront être mises en place "pour mesurer et orienter le trafic de manière à éviter de saturer ou sursaturer une ligne du réseau et sur leurs conséquences en matière de qualité du service". Une obligation qui entérine ces pratiques, alors qu’elles vont à l’encontre de la neutralité du Net. Cette disposition laisse craindre un bridage du débit ou des forfaits selon le volume de consommation, déjà évoqué par certains FAI. Utilisation des communications électroniques par l’Etat pour l’ordre public Plus grave encore, dans un contexte comme celui qu’à récemment connu l’Angleterre, le gouvernement pourra avoir recourt au brouillage des communications. L’article 40 précise en effet, que "tout dispositif destiné à rendre inopérants des appareils de communications électroniques", est autorisé “pour les besoins de l'ordre public". L’article 5, quant à lui, donne aux pouvoirs public la possibilité d’envoyer des mails ou SMS aux citoyens pour les avertir d’un “danger imminent”. L’absence de définition de ce terme reste problématique et risque d’avoir des effets pervers, déjà constatés dans les régimes autoritaires. Pendant la révolution en Egypte, le gouvernement avait ainsi envoyé des SMS à la population, pour appeler les citoyens à se joindre aux forces pro-Moubarak. Obligation d’information des fournisseurs d’accès à Internet sur les dangers du Web L’obligation faite aux FAI, par l'article 34, d’informer leurs abonnés sur “les conséquences juridiques de l'utilisation des services de communications électroniques pour se livrer à des activités illicites ou diffuser des contenus préjudiciables", est un premier pas vers la responsabilisation des hébergeurs. Reporters sans frontières s’inquiète également de l’absence de définition du terme “contenu préjudiciable”, qui peut potentiellement s’appliquer à toute information circulant sur le Web. Si l’organisation salue l’effort de transparence sur les “risques du Net”, elle rappelle que le rôle de surveillance ne doit pas revenir à des intermédiaires privés. Les attributions de l’Arcep sont elles aussi renforcées. L’organisme devient, avec cette ordonnance, un réel gendarme des opérateurs : il peut, entre autre, intervenir dans les différends entre opérateurs et acteurs d'Internet, et décider de la séparation fonctionnelle d’un opérateur (infrastructure d’un côté, services de l’autre). L'article 16, qui dispose que l'Arcep peut "fixer des exigences minimales de qualité de service", afin de "prévenir la dégradation du service et l’obstruction ou le ralentissement du trafic sur les réseaux", reste encourageant. Reporters sans frontières souligne cependant qu”une “exigence minimale” n’est pas une “exigence suffisante”, une nuance de taille dans le processus de garantie de l’accès à Internet pour tous. Données personnelles Reporters sans frontières salue le fait que les opérateurs sont désormais contraints de notifier les éventuelles violations de données personnelles aux abonnés. "La prospection directe au moyen de systèmes automatisés d'appel, d'un télécopieur ou de courriers électroniques" sera, entre autre, interdite. Cependant, le texte ne représente pas une avancée majeure en terme de protection des données personnelles. De plus, le texte permet également à la police et à certains auxiliaires de justice d’accéder à la liste des abonnées d’un opérateur. “La transposition du Paquet Télécom ne respecte pas l’engagement du gouvernement français de promouvoir au mieux la neutralité du Net, et le développement du Web, a déclaré Reporters sans frontières. Ce n’est pas la première rupture de promesse de ce gouvernement, qui a choisi de s’écarter de la ligne suivie par une quarantaine de pays en matière de libertés fondamentales sur Internet. Son ministre des affaires étrangères, Alain Juppé, a en effet refusé d’endosser la déclaration de l’ONU reconnaissant l’accès à Internet comme un droit fondamental, conditionnant sa signature à la reconnaissance de la propriété intellectuelle comme droit équivalent à la liberté d’expression”. L’ordonnance ne mentionne pas même l’avis du Conseil national numérique que le gouvernement avait sollicité, et qui critiquait l’obligation faite aux FAI d’informer leurs abonnées sur les dangers du net. La France fait désormais partie des pays sous surveillance dans la liste des ennemis d’Internet publiée par Reporters sans frontières le 12 mars.
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Updated on 20.01.2016