La fédéralisation des crimes contre la profession acquise au Sénat : “A quand les actes ?”

A l’unanimité de ses 95 membres, le Sénat fédéral a approuvé, le 13 mars 2012, la réforme de l’article 73 de la Constitution, laquelle permettra désormais aux autorités fédérales de reprendre sous leurs juridictions les crimes et délits portant atteinte à la liberté d’informer et à l’exercice du journalisme. La réforme avait déjà reçu l’approbation des députés fédéraux en novembre 2011. L’amendement constitutionnel dispose que : “Les autorités fédérales pourront avoir également connaissance les délits du fuero común (relevant des juridictions de chaque État – ndlr), lorsque ceux-ci présentent un lien avec des délits fédéraux ou des délits contre des journalistes, des personnes ou des structures, limitant, affectant ou dépréciant le droit à l’information ou les libertés d’expression et d’impression.” Conséquemment, le parquet fédéral spécialisé dans les atteintes à la liberté d’expression (FEADLE) disposera d’une plus grande latitude juridique. Sa nouvelle titulaire, Laura Angelina Borbolla Moreno, a reçu Reporters sans frontières à la veille du vote sénatorial. “Symboliquement, cette réforme exprime une prise de conscience et une volonté politique que nous saluons. Il aura tout de même fallu trois ans de débats avant de parvenir à son adoption au niveau fédéral, et son application reste suspendue à l’approbation d’au moins 17 des 32 États de la fédération mexicaine. Cette prochaine étape constitue également un test pour des autorités locales trop souvent impliquées dans les attaques envers les journalistes et les rédactions”, a rappelé Reporters sans frontières. “Cette réforme, tardive, ne peut faire oublier un bilan de 80 tués et 14 disparus au sein de la profession en une décennie. Un bilan encore aggravé, au cours du mandat présidentiel qui s’achève, par l’offensive fédérale contre le narcotrafic qui se chiffre à plus de 50 000 morts. Justice sera-t-elle rendue après tant d’années d’impunité et de souffrance ? Il reviendra à la future administration fédérale, sortie des urnes le 1er juillet 2012, de ne pas l’oublier. En mettant, notamment, de réels moyens d’enquête à disposition de la FEADLE”, a ajouté l’organisation. Répression et menaces
Classé à la 149e place (sur 179 pays) du dernier classement mondial de la liberté de la presse publié par Reporters sans frontières, le Mexique tient toujours son triste rang de pays le plus dangereux du continent pour les journalistes. Les attaques envers la profession commises ces dernières semaines ont été nombreuses. Le 6 mars dernier dans l’État d’Oaxaca, à Santa Cruz Xoxocotlá, un groupe de six journalistes – José de Jesús Cortés, correspondant de la chaine Cadena Tres ; Arturo Pérez Alonso, photographe de La Jornada ; Jesús Cruz, de l’agence Oaxaca Hoy ; Alejandro Villafañe, du journal El Imparcial ; Othon García, du quotidien Rotativo ; et Esteban Marcial, du journal Noticias – ont subi la forte répression policière dirigée contre des mouvements paysans, en contexte de conflit agraire. L’affaire a suscité de vives discussions au sein des pouvoirs publics locaux. Le cas Brad Will, toujours impuni, reste dans les mémoires. Reporters sans frontières s’inquiète également des récentes menaces de mort que nous a rapportées Marco Tulio Castro, directeur du magazine Diez4 à Tijuana, à la frontière des Etats-Unis. Une douzaine de messages, apparus le 6 mars parmi les commentaires édités sur le portail Internet de la revue, avertissaient que le journaliste et ses collaborateurs seraient bientôt “démembrés”. Marco Tulio Castro a confié à Reporters sans frontières que ces menaces pourraient être liés à la publication de deux récents articles : l’un, en date du 8 février, sur un “narcotunnel” aménagé sous la frontière avec les Etats-Unis, l’autre, de novembre 2011, sur le sort de migrants expulsés des États-Unis et employés dans des conditions douteuses par une entreprise dénommée Axiom Ventures. Les rédacteurs de Diez4 se sont vu contraints de changer de domicile après ces menaces et bénéficient désormais de certaines garanties de protection. Toujours à Tijuana, à la fin du mois de février, Adela Navarro, directrice de l’hebdomadaire Zeta, a été menacée par téléphone. L’interlocuteur a déclaré s’appeler “El Melvin” ou Melvin Gutiérrez Quiroz, redoutable tueur à la solde du cartel des Arellano Félix, mentionné dans un éditorial de la journaliste. En attendant la réponse d’Adela Navarro à nos demandes de contact, nous sollicitons pour elle une protection maximale compte tenu du danger.
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Updated on 20.01.2016