La couverture des négociations avec les FARC sous haute surveillance

Devant les révélations d’une nouvelle affaire d’espionnage de journalistes, Reporters sans frontières en appelle au gouvernement de Juan Manuel Santos et aux membres des forces militaires en exercice comme à la retraite à respecter inconditionnellement le travail des professionnels des médias. La chaîne de télévision Univision a révélé le 8 février 2014 que plus de 2600 e-mails entre les porte-paroles des Forces Armées Révolutionnaires de Colombie (FARC) et des journalistes internationaux ont été interceptés par une cellule de surveillance numérique vraisemblablement dirigée par le gouvernement colombien, depuis les négociations de janvier 2014 entre les autorités et les forces militaires à la Havane. De nombreuses agences de presse, dont l’Agence France-Presse (AFP), l’Associated Press (AP), l’agence espagnole EFE, Reuters ou la Deutsche Presse-Agentur (DPA), mais aussi des médias colombiens comme Radio Caracol, les jornaux El Tiempo et El Turbión, et le programme télévisé Noticias Uno ont été directement concernés par cette surveillance. Tous les journalistes ayant fait l’objet de cet espionnage étaient en contact avec Hermes Aguilar et Fernando Salcedo, deux porte-paroles des FARC responsables des négociations de paix renouvelées au début de l’année 2014 entre les forces révolutionnaires et le gouvernement à La Havane. Cette surveillance constitue une claire violation du secret des sources, comparable aux saisies téléphoniques de l’AP en mai dernier, et porte ainsi directement atteinte à la capacité des journalistes d’enquêter sur des sujets sensibles mais d’intérêt général. Le secret des sources journalistiques est protégé par la Constitution et par la jurisprudence de la cour constitutionnelle. ”Les autorités colombiennes n’ont-elles donc rien appris du ‘Dasgate’? Malgré les procès en cours, le dispositif de haute surveillance installé sous l’ancien président ne semble pas avoir été démantelé, ce qui démontre un manque de respect des autorités pour le travail d’information du public réalisé par les journalistes. Reporters sans frontières demande à ce que les autorités colombiennes prennent des mesures concrètes pour mettre fin à ces pratiques. Nous demandons à ce qu’une commission d’enquête soit formée au sein du Parlement pour déterminer les responsabilités du gouvernement et faire en sorte de prémunir les journalistes contre tout espionnage du pouvoir à l’avenir, déclare Camille Soulier, responsable du bureau Amériques de Reporters sans frontières. Les autorités colombiennes n’en sont malheureusement pas à leur coup d’essai. Le scandale des ‘Chuzadas’ (écoutes téléphoniques) qui avait éclaté en 2010 est encore bien présent dans les mémoires. Plusieurs dizaines de journalistes, agences de presse et organisations non gouvernementales dont la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme et OXFAM-Solidarité, avaient alors porté plainte contre Alvaro Uribe pour la surveillance, les menaces et les écoutes illégales dont ils avaient fait l’objet sous son double-mandat de l’ancien président (2002 – 2010). A ce jour, ces procès n’ont pas abouti et les multiples exactions commises par le Département Administratif de Sécurité à l’encontre de la liberté de la presse colombienne et internationale demeurent impunies. Seule exception : l’ouverture d’une enquête suite aux multiples plaintes déposées depuis 2003 par la journaliste locale Claudia Julieta Duque, officiant pour la radio Nizkor qui avait été victime de torture psychologique. Le procès n’a pas officiellement commencé pour autant. Par ailleurs, Reporters sans frontières exprime sa vive préoccupation quant à la pression constante que certains groupes d’anciens militaires continuent d’exercer sur les journalistes et les divers médias qui couvrent les affaires et les enquêtes de nature politique. Dans une interview du président de l’association des anciens militaires colombiens Jaime Ruiz Barrera accordée le 18 février dernier à la radio RCN, la journaliste Vicky Dávila avait confié son inquiétude quant aux propos tenus par le brigadier général. Il avait associé les enquêtes journalistiques à des ”campagnes médiatiques de dénigrement“ et avait qualifié les journalistes de professionnels ”insidieux, capricieux et malintentionnés faisant le jeu des forces obscures et des FARC contre le gouvernement”. Photo: Le Figaro
Slideshow: El Espectador
Publié le
Updated on 20.01.2016