Goudou Goudou, les voix ignorées de la reconstruction

Haïti s’apprête à faire mémoire, ce 12 janvier 2011, autour de ces “35 secondes” qui ont dévasté Port-au-Prince et ses environs il y a un an, et provoqué la mort de près de 300 000 personnes. Aujourd’hui, la reconstruction tient encore du souhait – ou de la prière – qui contraste avec la mobilisation de la communauté internationale au moment de la catastrophe et la présence massive des ONG. Projeté à la date anniversaire sur le site de Radio France internationale (RFI) avec le soutien de Reporters sans frontières, le web-documentaire “Goudou Goudou, les voix ignorées de la reconstruction” de Benoît Cassegrain et Giordano Cossu, respectivement réalisateur et coauteur du projet issus du collectif multimédia Solidar’IT, décline la tragédie haïtienne à travers l’expérience de cinq jeunes journalistes de radio. L’un d’eux dresse ce constat : “Un an après, c’est comme si le séisme avait eu lieu hier”.

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Le séisme haïtien aura souligné l’importance du rôle des médias dans un contexte de catastrophe humanitaire. Non seulement comme supports d’information, mais comme vecteurs de mobilisation et de lien social. En témoignent les exemples des radios Signal FM – seule “survivante” immédiate des 35 secondes ou de Caraïbes FM, réinstallée à même la rue au plus près de ses auditeurs juste après le tremblement de terre. La coalition des dix-sept radios de Petit-Gôave (Ouest) autour de programmes spécialement dédiés au séisme en fournit une autre illustration. Succès du Centre opérationnel
Reporters sans frontières a voulu apporter sa pierre à la reconstruction avec l’ouverture d’un Centre opérationnel des médias à destination des journalistes privés de moyens de communication. Installé grâce à l’appui technique du groupe canadien Quebecor, la structure a été inaugurée le 19 janvier 2010 par la ministre de la Culture et de la Communication (MCC) Marie-Laurence Josselyn-Lassègue. Notre correspondant haïtien Claude Gilles, issu du quotidien Le Nouvelliste, en assume actuellement la direction.

Centre de Presse (Haïti)
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Basé dans le quartier Bourdon de la capitale, doté d’une douzaine de postes informatiques, de connexions Wifi et autres matériels de communication, le Centre affiche une fréquentation totale sur un an de plus de 4 500 utilisateurs. Ce chiffre inclut des journalistes, photographes, graphistes, professionnels des médias mais aussi des formateurs et représentants humanitaires. Support technique, le Centre se veut également un lieu de rencontres, de débats et d’apprentissage. Durant sa première année d’existence, quelque 41 réunions y ont été tenues, 19 sessions de formations et 8 conférences de presse. Canal France International (CFI), la Fondation d’entreprises de l’AFP et Internews ont organisé et conduit la plupart de ces ateliers. Au total, une trentaine d’ONG et d’institutions – citons Communicating with Disaster Affected Communities (CDAC), International Media Support, Oxfam, la Croix Rouge, l’Unicef, l’Unesco ou encore le Pnud – sont régulièrement représentées au Centre. Grâce à l’appui de ses principaux donateurs – Fondation de France, Fondation Roland-Berger (Allemagne), Centre de la francophonie des Amériques (Canada) – la structure continuera de fonctionner jusqu’à la fin de l’année 2011. Lire également l'article de Claude Gilles publié sur le site Grotius.fr : http://www.grotius.fr/haiti-la-maison-des-journalistes%E2%80%A6/
Rebâtir et se reconstruire
Vingt-cinq, soit la moitié, des radios de Port-au-Prince avaient pu recommencer à émettre dans le mois qui avait suivi le séisme grâce notamment au concours de Radio France. Le secteur audiovisuel de la capitale est aujourd’hui presque entièrement rétabli, mais avec des moyens très inégaux selon la capacité initiale des médias concernés. L’aide à la reconstruction des médias prévue par l’État haïtien, chiffrée à deux millions de dollars, a pour l’instant concerné une trentaine d’entre eux dans la capitale, pour des montants allant de 5 000 à 25 000 dollars. La subvention se fait attendre pour les médias de province, en particulier des villes les plus dévastées (Jacmel, Léogâne, Grand-Goâve et Petit-Goâve). Le MCC a promis de verser cette aide dans les cinq mois à venir. La contrepartie de ce soutien financier engageait les médias à diffuser des programmes de service public et à appliquer une réduction de 50 % sur le tarif des annonces gouvernementales, mais aucun n’a signé de contrat en ce sens. Du côté de la presse écrite, Le Nouvelliste est parvenu à revenir à une périodicité quotidienne depuis avril 2010. Tel n’est pas le cas de Le Matin, aujourd’hui hebdomadaire et édité en République Dominicaine, obligé de se séparer en cours d’année de la moitié de son personnel. Mais le séisme n’a pas seulement aggravé les difficultés techniques. L’insuffisance de formation de nombre de journalistes haïtiens, les inégalités criantes d’une rédaction à l’autre, pèsent sur l’offre d’information plurielle et de qualité, à laquelle une partie de la population n’a d’ailleurs pas accès. C’est justement à l’attention des personnes déplacées que Gotson Pierre, animateur du Groupe Médialternatif, a mis en place en juin 2010 un Télé-centre mobile, équipé d’un cybercafé et d’un mini-studio. Cette initiative originale, soutenue par l’Unesco et Reporters sans frontières, concerne la douzaine de camps de fortune de la capitale, où quelque 1 000 réfugiés venus des campagnes s’installent chaque jour. Permettre à la fois d’informer et d’être informées à des populations victimes, en plus du séisme, des tempêtes tropicales et des épidémies de choléra, demeure l’un des enjeux cruciaux de l’année qui commence.

Plus que la presse, c’est la communication en Haïti post-séisme qui est aujourd’hui à réinventer. Dans le deuil de quarante journalistes tués ou disparus dans les décombres auxquels Reporters sans frontières rend hommage. Comme elle salue la mémoire de leurs confrères Jean Dominique et Brignol Lindor, assassinés respectivement en 2000 et 2001. Le séisme a-t-il définitivement emporté les derniers espoirs de lutte contre l’impunité ? Tout dépendra du prochain vainqueur de l’élection présidentielle prévue en février, en espérant que ce second tour ne mène pas au chaos comme le premier. Centre opérationnel des médias
8A rue Butte, Bourdon, Port-au-Prince
+1 514 664 86 95 Avec le soutien de
Publié le
Updated on 20.01.2016