Élection présidentielle: Une campagne tendue pour les médias, une occasion manquée de débattre de la liberté d’informer

Reporters sans frontières réitère sa profonde préoccupation à l’issue d’une campagne présidentielle française marquée par des attaques systématiques contre les médias. “Le Président qui sera élu dimanche 6 mai aura la responsabilité de dissiper le climat intolérable distillé par les multiples déclarations agressives à l’égard de la presse. Ces dernières ont commencé à produire des effets concrets : les témoignages de journalistes violemment malmenés en marge de rassemblements politiques se multiplient. De tels actes étaient pourtant prévisibles, tant l’ensemble de la profession a été désignée comme cible”, a déclaré l’organisation. Depuis l’agression de Marine Turchi en marge du meeting de Nicolas Sarkozy au Trocadéro le 1er mai 2012, d’autres journalistes ont confirmé avoir eux aussi été violemment pris à partie lors du même rassemblement. C’est le cas par exemple de Geneviève de Cazaux, par ailleurs candidate UMP aux élections législatives, qui s’est fait tirer les cheveux, arracher son badge presse et frapper dans le dos. Le 3 mai 2012, BFM TV a été contraint d’interrompre pendant quelques minutes son direct depuis le rassemblement du président-candidat à Toulon, lorsque Ruth Elkrief et son collègue Thierry Arnaud ont été attaqués par des militants UMP : insultes, crachats et même jet de bouteilles d’eau pleines, dont l’une a atteint Thierry Arnaud au visage. Interrogé à ce sujet le 4 mai sur Europe 1, Nicolas Sarkozy a “condamné toute personne qui s’en prendrait verbalement à un journaliste”, mais il a demandé à la presse de “comprendre l'exaspération” du public. A la veille du second tour, Reporters sans frontières appelle également les autorités à renoncer aux procédures intentées contre des médias et utilisateurs des réseaux sociaux qui publieraient des informations sur les résultats électoraux avant 20 heures, le 6 mai. Deux commissions de contrôle de la campagne présidentielle viennent de rappeler l’interdiction de diffusion des sondages et d’estimations de résultats avant la fermeture des derniers bureaux de vote. “Les autorités se trompent à nouveau de cible en visant les médias et les utilisateurs de réseaux sociaux. Nous admettons tout à fait que la publication d’estimations de résultats avant la fin des opérations de vote pose question. Mais ce problème signale avant tout la nécessité d’adapter une législation et des procédures obsolètes, aux bouleversements des pratiques de l’information. Il est pour le moins incohérent de vouloir empêcher les médias de diffuser une information qu’ils détiennent et qui est accessible par ailleurs à l’étranger”, a déclaré Reporters sans frontières. “Le prochain président de la République devra impulser une modification de la loi régulant la publication et la diffusion des résultats électoraux. Celle-ci date de 1977 et elle apparaît clairement dépassée face au paysage de l’information actuel, marqué par Internet et les nouveaux médias . Dans son application stricte, elle impose une restriction au droit du public à l’information sur des sujets d’intérêt général, et contrevient à l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme. L’adaptation de la législation devra se faire de façon concertée avec les représentants des professionnels des médias et le Conseil national du numérique (CNN).” Une enquête préliminaire a été ouverte par le Parquet de Paris contre Le Soir, la Radio Télévision Belge Francophone, un journaliste belge, l’Agence France-Presse et un site Internet basé en Nouvelle Zélande, suite à la divulgation d’estimations de résultats le soir du premier tour de l’élection, le 22 avril 2012. Plus généralement, la campagne présidentielle aura été une occasion manquée de débattre de l’état de la liberté de l’information en France. Dans un rapport publié en février 2012, Reporters sans frontières en a dressé un tableau contrasté. Respect du secret des sources, mode de nomination des présidents de l’audiovisuel public, difficultés à couvrir les affaires judiciaires, comportement de certains élus locaux... Nombreux sont les chantiers qui méritent d’être engagés pour protéger le rôle essentiel des médias dans notre pays. L’organisation appelle notamment le prochain président de la République à impulser rapidement les réformes suivantes : - Abroger la loi prévoyant la nomination des présidents de l’audiovisuel public par le chef de l’Etat, et confier cette charge à une commission indépendante du pouvoir politique et représentative du secteur des médias. - Amender la loi sur la protection du secret des sources des journalistes en prévoyant notamment des sanctions pour les contrevenants, et en encadrant clairement les cas d’exception. - Faciliter la couverture des dossiers judiciaires en supprimant le « délit de publication d’acte de procédure » et en abandonnant le « recel du secret de l’instruction ». - Abandonner tout recours au filtrage administratif du Web et la possibilité de suspendre la connexion à Internet pour sanctionner le téléchargement illégal. Lire le précédent communiqué à ce sujet Lire le rapport “La tentation du contrôle: Enquête sur la situation de la liberté de la presse en France” (Image: BFM TV)
Publié le
Updated on 20.01.2016