Durcissement de la répression à l’égard des journalistes

Alors qu’un projet de loi sur l’amélioration du régime juridique de la presse peine à franchir les portes du Parlement marocain, le durcissement de la répression à l’égard des journalistes indépendants se poursuit.

Ces derniers mois, la liberté de la presse au Maroc a été marquée par un durcissement de la répression à l’égard des journalistes. Dans un contexte déjà difficile, les autorités du royaume resserrent un peu plus l’étau sur la presse afin que les sujets « sensibles » ne soient pas traités librement et en toute indépendance. Le 16 février 2015, Jean-Louis Perez et Pierre Chautard, qui réalisaient un reportage pour le compte de la chaîne France3 sur la situation économique et sociale quatre ans après le déclenchement du « Printemps marocain », ont été expulsés de force vers Paris après que leur matériel eût été confisqué. Avant d’être renvoyés, les deux journalistes avaient été « arrêtés » au siège de l’Association marocaine des droits humains, l’une des plus grandes au Maroc. Cette dernière est dans le collimateur du ministère de l’Intérieur qui l’accuse « d’affaiblir l’action des forces de sécurité ». Lors de l’arrestation des deux journalistes français, une vingtaine de policiers et de fonctionnaires de la wilaya de Rabat avait donné l’assaut, blessant une militante. Reporters sans frontières avait dénoncé une censure odieuse et demandé la restitution du contenu du tournage des deux journalistes. En janvier dernier, c’est une équipe de journalistes de France 24 qui avait été empêchée par les autorités de tourner, à Rabat, l’émission « Hadith Al Awassim » (« On en parle dans les capitales »), qui se déroulait dans une salle louée par la production. Accompagné de membres des forces de l’ordre, un agent du ministère de l’Intérieur avait obligé les journalistes à interrompre l’émission, qui avait pour thème « Peut-on rire de tout ? », et confisqué les enregistrements avant de les restituer le lendemain après les avoir visionnés. Le 22 janvier 2015, à l’initiative de la fondation allemande Friedrich Naumann, une rencontre internationale sur le journalisme d’investigation devait se dérouler à Rabat mais a été interdite par les autorités marocaines sans aucun motif. Des experts et des journalistes de plusieurs pays (Maroc, France, Egypte, Tunisie, Algérie, etc.), en plus du ministre marocain de la Communication Mustapha El Khalfi, devaient y participer, mais un jour avant l’ouverture, des instructions orales émanant du ministère de l’Intérieur avaient été données aux responsables de l’hôtel où la conférence devait avoir lieu pour qu’ils empêchent les organisateurs de commencer leurs travaux. Ces derniers ont alors été contraints de se déplacer jusqu’au siège de l’AMDH pour pouvoir se réunir, sans le ministre. Le 25 février 2015, le correspondant de la chaîne de télévision du Front Polisario, un mouvement indépendantiste soutenu par l’Algérie, a été remis en liberté provisoire après plus de huit mois de détention. Son procès, toutefois, se poursuit. En juillet 2014, ce journaliste sahraoui avait été arrêté et présenté devant un juge à Lâayoune, chef lieu du Sahara occidental administré par le Maroc depuis 1975. Il était poursuivi pour « attroupement » armé, « obstruction de la voie publique », « agression sur des fonctionnaires dans l’exercice de leurs fonctions » et « dégradation de biens publics ». Selon les ONG locales, c’est la couverture par Mahmod Al-Lhaissan de manifestations à la suite du match Algérie-Allemagne, lors de la dernière coupe du monde (le 30 juin dernier), qui avait entraîné son arrestation à Lâayoune. Ces manifestations ayant rapidement pris une dimension politique pro-indépendantiste, le reportage de Mahmoud Al-Lhaissan avait fait état d’une utilisation disproportionnée de la force par la police marocaine pour disperser les manifestants sahraouis. Parallèlement à ce durcissement, trois projets de loi, portant sur la presse et l’édition, sur le statut du journaliste professionnel et sur le Conseil national de la presse ont été présentés par le ministère de la Communication le 18 octobre 2014. Ces textes n'ont toujours pas été adoptés. Dans ses recommandations, RSF soulignait que l’abandon des peines de prison pour les délits de presse était l’une des principales innovations de ces textes (peines de prison cependant maintenues en cas d'outrage au roi, à la religion et d'atteinte à l'intégrité nationale). Mais les professionnels craignent que les peines privatives de liberté soient remplacées par des amendes à la fois disproportionnées et exorbitantes. Selon eux, les dispositions du nouveau code gagneraient donc à être affinées. « Si les dispositions concernant le secret des sources ou les procès en diffamation représentent un progrès majeur, elles ne pourront constituer des garanties effectives qu’après avoir été précisées et renforcées », souligne Reporters sans frontières.
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Updated on 20.01.2016