Dixième anniversaire de l’arrivée au pouvoir de Bachar Al-Assad, triste bilan pour la liberté de la presse

A l’occasion du dixième anniversaire de l’arrivée au pouvoir de Bachar Al-Assad, Reporters sans frontières dresse un triste bilan de la situation de la liberté de la presse en Syrie. Malgré les discours d’ouverture, les réformes politiques et législatives sont restées au point mort. Comme en politique étrangère, Bachar Al-Assad parle et agit différemment. Si les dernières années ont vu le nombre de médias augmenter, le pluralisme n’est cependant pas au goût du jour. Le parti Baas conserve une mainmise totale sur les médias. Et le retour de la Syrie sur la scène internationale n’a pas changé la donne. Aujourd’hui, la plus grande opacité règne sur la réalité sociale et politique en Syrie. Il est extrêmement difficile pour des organisations internationales de défense des droits de l’homme de recueillir des témoignages. La population a peur de parler, peur de témoigner. Du fait de l’omniprésence et de l’omnipotence des moukhabarat, la Syrie s’est transformée en une immense prison. L’organisation rappelle que la Syrie occupe la 165e place (sur 175) dans le classement mondial de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières, et figure sur la liste des « Ennemis d’Internet », dressée chaque année par l’organisation. Bachar Al-Assad est considéré comme l’un des quarante prédateurs de la liberté de la presse dans le monde.

Un cadre juridique répressif

Au pouvoir depuis juillet 2000, Bachar Al-Assad refuse toujours de faire les compromis démocratiques longtemps attendus. L’Etat d’urgence, en vigueur depuis 1963, a été maintenu, annulant toutes les dispositions de la constitution syrienne relative aux libertés publiques. La « loi sur les partis politiques », destinée à encadrer la création et le fonctionnement des formations politiques, actuellement toutes illégales, est en préparation depuis dix ans. Reporters sans frontières rappelle que l’article 38 de la constitution syrienne de 1950 stipule que « tout citoyen a le droit d’exprimer son opinion en toute liberté et publiquement par voie orale ou par écrit, et par tous les moyens d’expression (…). L’Etat garantit la liberté de presse, l’impression et l’édition selon la loi. » Par ailleurs, la Syrie a signé la Déclaration universelle des droits de l’homme (et notamment son article 19 relatif à la liberté d’expression), ainsi que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966. Toutefois, plusieurs dispositions d’exception invalident la constitution et les engagements internationaux de la Syrie. Ainsi, en vertu de l’article 4 de la constitution du parti Baath de 1947 : « l’Etat est responsable de la garantie de la liberté de parole, d’édition et de rassemblement, de contestation et de presse dans les limites de l’intérêt de l’identité arabe et offre tous les moyens et les capacités à la réalisation de cette liberté ». L’Etat d’urgence, en vigueur depuis 1963, prévoit la restriction de l’ensemble des libertés individuelles, et de manière générale, invalide la Constitution. Les médias sont également soumis au décret sur la presse, promulgué en 2001, particulièrement restrictif. Il interdit la remise en cause des principes « intouchables » en Syrie : les intérêts du peuple syrien, le parti Baath (au pouvoir depuis 1963), l'unité nationale, les forces armées et les orientations politiques lancées par le président. Les journalistes « rapportant de fausses informations et falsifiant des documents » sont passibles d'une peine d'un à trois ans de prison.

Une mainmise totale sur les médias publics et privés

Le Premier ministre (sur la base de propositions du ministre de l’Information) décide de qui peut être journaliste, correspondant et rédacteur en chef dans le pays. En outre, les journalistes ont l’obligation de s’inscrire auprès de l’Union des journalistes afin d’obtenir une carte de presse délivrée par le ministère. Cette Union est un véritable instrument de contrôle aux mains du pouvoir. Aujourd’hui, le parti Baas conserve toujours une mainmise totale sur la radio et la télévision. Quant à la presse écrite, elle n'a d'autre choix que de relayer la parole du régime. Si quelques publications non contrôlées par l'État ont vu le jour ces dernières années, ceci n'est pas synonyme d'une libéralisation de l'information : toute publication écrite doit avant sa sortie être validée par le bureau du ministre de l’Information… et les services de renseignements. L’agence de presse nationale, Sana, créée en 1965 et contrôlée par le ministre de l’Information, donne une vision lisse et uniformisée de l’actualité en Syrie et de sa politique étrangère.

La répression à l’encontre des opposants avides de démocratie

Lors de son discours de prestation de serment, Bachar Al-Assad n’a donné aucun signe d’ouverture en direction de la démocratie. Et pourtant, les initiatives et les tentatives de mobilisation de la part des militants se sont multipliées. En cette période de grand bouillonnement politique, certains se sont pris à espérer qu’un vent de liberté allait souffler sur la Syrie. Ils ont été nombreux à signer le « Manifeste des 99 », puis le « Communiqué des 1000 », textes qui réclamaient du nouveau président de renoncer au pouvoir du parti unique et d’accepter une ouverture du jeu politique. Mais on sait aujourd’hui comment l’aventure du « Printemps de Damas » s’est terminée. De nombreuses personnalités syriennes qui avaient cru à un changement ont été arrêtées et incarcérées fin 2001, parmi lesquelles des journalistes, des avocats et défenseurs des droits de l’homme et des militants démocrates. Pour sortir du blocage politique et institutionnel, des anciens détenus politiques et diverses personnalités ont rendu publique, en octobre 2005, une « Déclaration de Damas pour un Changement national démocratique et pacifique ». Après avoir signé la Déclaration Damas-Beyrouth / Beyrouth-Damas, un communiqué de 300 intellectuels syriens et libanais qui appelait à la normalisation des relations entre la Syrie et le Liban, le journaliste et écrivain Michel Kilo a été arrêté le 14 mai 2006. Condamné à trois ans de prison pour "affaiblissement du sentiment national". Il a été libéré au terme de sa peine en mai 2009. A sa sortie, son état de santé était particulièrement inquiétant. C’est toujours le cas aujourd’hui. Michel Kilo a reçu le Speaker Abbot Award en octobre 2008, alors qu’il était détenu à la prison d’Adra (Damas). Le 1er décembre 2007, des membres du Conseil national de la Déclaration de Damas se sont réunis à Damas pour élire un secrétariat général et réaffirmer leur engagement en faveur d’une réforme démocratique au terme d’un "processus pacifique et progressif". La réponse du pouvoir ne s’est pas fait attendre : en décembre 2007 et jusqu’au début de l’année 2008, une quarantaine d’entre eux ont été arrêtés. Douze ont été déférés devant la justice pour "publication de fausses informations dans le but de porter atteinte à l’Etat", "appartenance à une organisation secrète visant à déstabiliser l’Etat" et "incitation à la haine raciale et au confessionnalisme". Le 29 octobre 2008, ils ont été condamnés à deux ans et demi de prison. Parmi lesquels, les journalistes Ali Al-Abdallah, Fayez Sara et Akram Al-Bounni, respectivement arrêtés les 17 décembre 2007, 3 janvier 2008 et 12 décembre 2008. A l’exception du journaliste Ali Al-Abdallah, toutes les personnes inculpées pour avoir signé la Déclaration de Damas ont été libérées au terme de leur condamnation. Au cours de la seconde moitié de l’année 2009, la chape de plomb s’est considérablement alourdie. Le ministère de l’Information, sous l’influence des services de renseignements, a procédé à une vague de convocations et d’arrestations de militants des droits de l’homme, d’avocats et de journalistes. Nombre d’entre eux ont été interrogés sur le contenu de leurs articles considérés comme “portant atteinte à la nation” ou menaçant “la sécurité de l’Etat”, mais rares sont ceux qui osent témoigner, même anonymement. Le 13 septembre 2009, le bureau du Centre syrien pour les médias et la liberté d’expression de Mazen Darwish a été mis sous scellés. Ce centre, qui n’a pas obtenu d’autorisation de fonctionner, est pourtant la seule organisation syrienne spécialisée dans les questions de surveillance des médias, d’accès à Internet et du suivi des médias syriens lors des élections. Il maintient sa vigilance sur les violations commises contre les professionnels des médias. Il a joué un rôle de premier plan dans la dénonciation des décisions du ministre de l’Information, Mohsen Bilal, interdisant la diffusion d’un grand nombre de journaux et de magazines en Syrie. Le 7 juillet 2010, la cour d’appel de Homs (160 km au nord de Damas) a transféré le dossier des deux journalistes Souhayla Ismaïl et Bassem Ali devant la cour militaire, régie par loi de l’Etat d’urgence. Ces journalistes avaient été inculpés, le 13 avril 2010, pour « résistance à l’ordre socialiste » par le tribunal de première instance de Homs. Cette inculpation fait suite à la publication, en 2005 et 2006, de deux reportages faisant état de graves affaires de corruption et de détournement de fonds impliquant le directeur de Al-Asmida, entreprise publique d’engrais du nord du pays. Elle survient près de quatre ans après la conversion du régime à l’économie de marché et son intégration au commerce international. La Constitution demeurant inchangée et l’article 1/15 de la loi sur les sanctions économiques de 1966 étant toujours en vigueur, la loi permet toujours d’inculper tout opposant pour dissidence envers le régime socialiste. Par ailleurs, d’après les informations recueillies par Reporters sans frontières, la direction de l’Information a récemment interdit la parution de nombreuses publications, ou en a retardé la distribution. On peut citer notamment l’exemple de Sahafiyat Al-Khabar, dont quatre numéros ont été interdits et deux autres ont vu leur sortie retardée, suite à la reprise, en dernière page du journal, de propos religieux tenus par le directeur de l’information local. Or les déclarations de cette personnalité avaient été publiées, sans difficulté, dans d’autres journaux gouvernementaux, tels que Tashrin. La surveillance des journalistes et des cyberdissidents est omniprésente. Convocations fréquentes, interpellations, arrestations… Ceux qui remettent en question la politique des autorités se retrouvent vite en prison. Du fait des menaces et des pressions, nombre d’entre-eux ont décidé de quitter le pays.

Le cas de Ali Al-Abdallah, emblématique du système de répression syrien

Ali Al-Abdallah, incarcéré depuis le 17 décembre 2007, devait être libéré le 16 juin 2010, au terme d’une peine de deux ans et demi de prison. Mais les autorités syriennes ont décidé au contraire de le poursuivre pour "publication de fausses informations dans le but de porter atteinte à l’Etat" (article 286 du code pénal) et "volonté de nuire aux relations de la Syrie avec un autre Etat" (article 276 du code pénal). Ces nouvelles accusations font suite à la publication sur Internet, le 23 août 2009, alors même qu’il était en prison, d’un article dans lequel le journaliste critiquait la doctrine du Wilayat al-Faqih en Iran (doctrine qui assure un pouvoir absolu du religieux sur le politique). Sur la base de ces nouvelles accusations, Ali Al-Abdallah a été conduit pour interrogatoire à la Sécurité politique. Les autorités lui ont annoncé qu’il resterait en détention jusqu’à la tenue de son nouveau procès. Le journaliste a comparu le 11 juillet dernier devant le tribunal militaire de Damas. Il a été transféré à la prison centrale d’Adra. Cette nouvelle affaire est d’autant plus inquiétante qu’elle montre qu’il est dangereux pour les journalistes non seulement de critiquer le régime, mais également ses alliés.

Liberté d’expression sur Internet

La Toile est loin d’être épargnée par la censure. La Syrie est l’un des pays plus répressifs dans ce domaine. A ce titre, elle figure sur la liste des « Ennemis d’Internet » établie par Reporters sans frontières. Le Centre syrien pour les médias et la liberté d’expression a déclaré que le nombre de sites d’informations bloqués en Syrie a atteint 241. La Compagnie générale des Télécommunications et l’Agence scientifique syrienne des renseignements ont la responsabilité de ces blocages. Une liste des sites interdits est combinée avec le filtrage de mots clés bloqués. Parmi eux, on compte 49 sites kurdes, 35 d’opposition, 22 libanais, 15 portant sur les droits de l’homme et 9 sur la culture. La censure s’est accentuée depuis 2009 et vise en particulier les réseaux sociaux et plateformes de blogs, notamment Youtube et Maktoob. Le gouvernement qui a longtemps minimisé sa présence sur la Toile y fait désormais sa propagande, via SANA ou Syrian News par exemple. Depuis fin 2008, de nombreux blogueurs ont été harcelés par les autorités pour avoir contribué à des publications en ligne « portant atteinte au prestige de l’Etat », en vertu de l’article 287 du code pénal syrien, ou ont été reconnus coupables de « publication de fausses informations » et d’« affaiblissement du sentiment national » (articles 285 et 286 du code pénal). En 2005, le ministère de l’Information avait entrepris de refondre le code de la presse pour y inclure Internet et les publications en ligne, actuellement régis par le code pénal. Projet repoussé puis remis à l’ordre du jour en mai 2009 et en 2010. S’il était adopté, ce projet entérinerait une dégradation notable du secteur médiatique syrien. Depuis 2007, une loi oblige les gérants de cybercafés à enregistrer les données personnelles des auteurs d’articles et de commentaires de leurs clients sur des forums de discussion. Les responsables de sites ont, eux, l’obligation de rendre publics les noms des auteurs qui contribuent à leur site, ainsi que ceux des commentateurs, sous peine d’être contraints de fermer le site en question. Le 13 septembre 2009, la Cour suprême de sûreté de l’Etat de Damas a condamné le blogueur Kareem Arbaji à trois ans de prison pour "publications d’informations mensongères de nature à affaiblir l’esprit de la nation" sur la base de l’article 286 du code pénal. Arrêté le 6 juillet 2007 par les services de renseignements militaires, il était depuis deux ans en détention provisoire. Kareem Arbaji participait à la gestion du forum en ligne Akhawia, qui traitait de tous les sujets. Il a été libéré le 6 janvier 2010, suite aux démarches entreprises par les instances chrétiennes en Syrie auprès de la présidence de la République, arguant du mauvais état de santé du père de Kareem Arbaji. En outre, le blogueur Kamal Sheikhou ben Hussein a été arrêté et incarcéré le 25 juin 2010 alors qu’il tentait d’entrer au Liban avec le passeport de son frère. Auteur de nombreuses publications en ligne sur le site All4Syria, il était interdit de sortie du territoire par les autorités syriennes. On ignore aujourd’hui son lieu de détention. Malgré la répression brutale et la surveillance omniprésente, des internautes utilisent des outils de contournement de la censure et des groupes de pression en ligne se forment afin d’exprimer des revendications économiques ou sociales. Ils attendent de pied ferme que les améliorations techniques à venir leur donnent plus d’options pour s’exprimer en ligne. Mais ces améliorations tardent à venir. Probablement nécessaires pour le développement économique du pays, leur capacité de déstabilisation sociale potentielle semble faire peur aux autorités qui préfèrent pour l’instant continuer de mettre l’accent sur le filtrage et la répression.

La presse étrangère sous étroite surveillance

La presse étrangère est régie par le décret 50/2001, qui prévoit l’interdiction de la circulation de publications étrangères, si ces dernières viennent à traiter de sujets concernant la souveraineté nationale, si elles portent atteinte à la sûreté nationale ou qu’elles sont contraires à la morale générale. Les correspondants de la presse étrangère en Syrie sont également surveillés. Ils n'obtiennent que très difficilement des accréditations. De même, la chaîne satellitaire arabe Al-Jazeera n'a jamais été autorisée à ouvrir un bureau permanent. En septembre 2008, une équipe de Reporters sans frontières s’est vu refuser l’accès au territoire syrien. Le ministre de l’Information syrien a alors déclaré : « Ils n’obtiendront jamais de visa ». A cette occasion, l’organisation réitère son souhait de pouvoir se rendre pour la première fois en Syrie, pour une mission d’enquête. Récemment, début juillet 2010, les autorités syriennes ont arbitrairement fermé les bureaux de l’agence de presse italienne ANSA, située dans le quartier de Baramkeh à Damas, pour avoir voulu diffuser des informations relatives aux arrestations au sein de la société civile syrienne au cours des mois précédents.

Conclusions

Paradoxalement, malgré son retour sur la scène internationale, la Syrie s’est transformée en immense prison. Le moindre espace de liberté est grignoté, rogné par le pouvoir qui, à l’instar de Big Brother, contrôle la société d’une main de fer. Le régime reste inflexible face à toutes formes de pressions internationales. On a pu le constater récemment avec l’arrestation, puis la condamnation, de l’avocat et défenseur des droits de l’homme Hathsam Al-Maleh, et de l’avocat Muhannad Al-Hassani. Les chancelleries européennes et outre-atlantiques ont beau avoir crié à l’injustice et appelé à la libération de ces personnalités de l’opposition, Bachar Al-Assad est resté droit dans ses bottes. Il semble n’avoir que faire de ses critiques, jugées comme autant d’ingérence dans les affaires intérieures de son pays. Ces critiques vont-elles de pair avec un changement de la donne politique régionale au Moyen-Orient ? Engendreront-elles un changement d’attitude du pouvoir à l’égard de la société civile. Bien malin qui pourrait prédire une telle inflexion. Mais dans un même temps, comme l’imprévisibilité semble être la seule constante du pouvoir syrien… on ne sait jamais. On peut toujours croire qu’il neigera le 17 juillet sur Damas… et sur la prison d’Adra.
Publié le
Updated on 31.01.2020