Deux journaux indépendants poursuivis par des juges

Reporters sans frontières s’inquiète des poursuites récemment engagées par des magistrats à l’encontre de deux médias indépendants parmi les plus renommés de Russie : le tri-hebdomadaire Novaïa Gazeta et le magazine Novoe Vremia (The New Times). Les deux titres et les auteurs des articles incriminés, Nikita Guirine et Zoïa Svetova, sont accusés de diffamation par deux juges du tribunal de Moscou, Dmitri Gordeïouk et Iouri Bespalov. Le 6 décembre 2013, Novaïa Gazeta a été condamnée en première instance à 280 000 roubles (6 200 euros) de dommages et intérêts, un montant lourd compte tenu de sa situation financière déjà difficile. Novoe Vremia, qui encourt une peine encore plus importante, sera fixé sur son sort le 13 décembre. « Ces procédures sont viciées aussi bien sur le fond que sur la forme. Novaïa Gazeta et Novoe Vremia n’ont fait que leur travail en relayant des informations déjà rendues publiques par ailleurs, et concernant des personnalités connues. Non seulement les réparations financières exigées sont disproportionnées, mais on peut aussi douter de l’impartialité de procès instruits par le collège même auquel appartiennent les requérants. Nous demandons à la justice de mettre un terme à ces violations patentes du droit à un procès équitable et de la liberté de l’information », a déclaré Reporters sans frontières. Fin novembre 2013, les deux rédactions ont appris qu’elles faisaient l’objet de poursuites judiciaires similaires, intentées par les juges Dmitri Gordeïouk et Iouri Bespalov. Les requérants se considèrent lésés par deux articles publiés entre le 9 et le 11 novembre (ici et ici), consacrés au même sujet : une enquête menée par l’association Dissernet, qui traque les plagiats parmi les thèses universitaires de personnalités publiques russes. Textes comparés à l’appui, l’association affirme que Dmitri Gordeïouk aurait copié de larges passages de sa thèse sur celle de son directeur de recherches, Iouri Bespalov, allant jusqu’à copier des données statistiques en les appliquant à d’autres dates. Le nom de Dmitri Gordeïouk est associé à “l’affaire Bolotnaïa”, dans laquelle des militants d’opposition sont accusés de violences lors d’une manifestation consécutive au retour au Kremlin de Vladimir Poutine, le 6 mai 2012. Juge à la Cour d’appel de Moscou, le magistrat figure parmi ceux qui ont rejeté à plusieurs reprises les demandes de remise en liberté conditionnelle des accusés. Aussi les révélations de Dissernet ont-elles suscité un débat public auquel s’est joint la figure de l’opposition russe Alexeï Navalny. Dans leurs articles, Nikita Guirine et Zoïa Svetova se fondent essentiellement sur l’enquête de Dissernet, à laquelle ils font clairement référence. La journaliste de Novoe Vremia s’intéresse en outre au parcours professionnel de Dmitri Gordeïouk et aux liens qu’il entretient avec Iouri Bespalov et la présidente du tribunal municipal de Moscou (Mosgorsoud), Olga Egorova. Outre des dommages et intérêts, les deux juges exigent le retrait des articles incriminés des sites Internet de Novaïa Gazeta et Novoe Vremia, et la publication d’un démenti. Le procès en première instance de Novaïa Gazeta s’est clos aussi rapidement qu’il avait débuté : les plaignants et leurs avocats n’ont pas pris la peine de se présenter à l’audience unique du 6 décembre et les juges ont refusé d’entendre les représentants de Dissernet, qui souhaitaient témoigner en faveur du journal. La cour a satisfait à toutes les requêtes de Dmitri Gordeïouk et Iouri Bespalov : Novaïa Gazeta a été condamnée à leur verser 280 000 roubles (6 200 euros) de dommages et intérêts, à supprimer l’article et à publier un démenti. Nikita Guirine a été condamné à 130 000 roubles (2 900 euros) de réparations. La défense a annoncé son intention de faire appel. Si la cour d’appel confirme la décision prise en première instance, Novaïa Gazeta ne pourra que s’en remettre à la solidarité des milieux journalistiques. Les mêmes accusations pèsent sur Novoe Vremia. Mais les dommages et intérêts exigés sont cinq fois plus élevés. La Russie figure à la 148e place sur 179 pays dans le classement mondial 2013 de la liberté de la presse, publié par Reporters sans frontières. (Photo : Lenta.ru)
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Mise à jour le 20.01.2016