Des journalistes menacés de mort en Corse : Nicolas Sarkozy répond à Reporters sans frontières

Suite à leur couverture du conflit de la SNCM, plusieurs journalistes ont été molestés ou menacés en Corse. Le 20 octobre, Robert Ménard a fait part de ses inquiétudes au directeur de cabinet du ministre de l'Intérieur. Nicolas Sarkozy a répondu à Reporters sans frontières le 25 octobre, rappelant notamment qu' « il ne peut y avoir de liberté de la presse sans liberté du journaliste ».

Le 20 octobre, Robert Ménard, secrétaire général de Reporters sans frontières, a rencontré Claude Guéant, directeur de cabinet de Nicolas Sarkozy et Franck Louvrier, conseiller pour la presse et la communication du ministre de l'Intérieur, afin de leur faire part de son inquiétude concernant les nombreux journalistes menacés à la suite du conflit de la SNCM en Corse. Nicolas Sarkozy a répondu le 25 octobre à Reporters sans frontières. Il écrit notamment que « de tels agissements ne souffrent aucune excuse. Aucune cause ni aucun combat politique ou syndical ne peut tolérer ce type de comportements individuels. Il faut les réduire à ce qu'ils sont : d'abord et avant tout des actes délictuels passibles de sanctions pénales ». Texte intégral de la lettre du ministre de l'Intérieur : Monsieur le Secrétaire général, Dans votre courrier en date du 19 octobre dernier, vous m'avez fait part de vos craintes et plus généralement de vos inquiétudes, à la suite des menaces et même des violences dont auraient récemment été victimes certains de vos confrères journalistes. Votre indignation est tout à fait légitime et je la partage pleinement, en tant que citoyen, bien sûr, mais aussi et surtout en ma qualité de ministre de la République. On l'oublie trop souvent, mais le ministère de l'Intérieur, qui a naturellement en charge le maintien de l'ordre public et de la sécurité, est également le ministère des libertés publiques. C'est ainsi lui qui assure quotidiennement aux Français la jouissance de leurs grandes libertés individuelles : sûreté, liberté de déplacement ou encore liberté de la pensée. Je ne vous cache pas que la liberté de la presse, à mes yeux, avec quelques autres, fait partie d'une catégorie rare : celle des libertés premières, des libertés à ce point fondamentales, qu'on peut dire d'elles qu'elles sont, non seulement au fondement de notre société démocratique, mais aussi l'une des conditions primordiales de son progrès et de l'épanouissement de chacun. Or, il ne peut y avoir de liberté de la presse sans liberté du journaliste. C'est une évidence qu'il faut rappeler : la qualité et l'indépendance d'un journal, comme de tous les médias en général, sont principalement fonction de la qualité et de l'indépendance de ceux qui le font. Aussi, il est du devoir des pouvoirs publics de protéger les journalistes contre toutes les tentatives d'intimidation et plus encore de violences dont ils pourraient être victimes dans l'exercice de leur métier. Dans un pays comme le nôtre, avec la tradition qui est la sienne, nous ne pouvons tolérer qu'un journaliste puisse être inquiété pour ses opinions. Rien ni personne ne doit pouvoir l'empêcher de communiquer les informations dont il a connaissance, ni d'exprimer librement ses convictions. Croyez bien, Monsieur le Secrétaire général, qu'à chaque fois que la liberté de la presse et de la communication feront l'objet d'attaques ou de pressions, vous me trouverez à vos côtés. Vous pouvez d'ores et déjà compter sur l'entière collaboration de services de mon ministère pour prendre toutes les mesures appropriées aux faits mentionnés dans votre courrier. De tels agissements ne souffrent, en effet, aucune excuse. Aucune cause ni aucun combat politique ou syndical ne peut tolérer ce type de comportements individuels. Il faut les réduire à ce qu'ils sont : d'abord et avant tout des actes délictuels passibles de sanctions pénales. Je vous prie de croire, Monsieur le Secrétaire général, à l'assurance de mes sentiments les meilleurs. Nicolas Sarkozy - - - - - - - - - - - - - - Des journalistes menacés de mort en Corse à la suite de leur couverture du conflit de la SNCM 19 octobre 2005 « Nous sommes choqués par l'escalade de violence qui touche les journalistes en Corse et par le climat d'insécurité qui y règne. Cette situation, exceptionnelle au sein de l'Union européenne, n'est pourtant pas nouvelle dans l'île. Nous apportons notre soutien à tous ceux qui ont été agressés ou menacés de mort depuis les manifestations organisées contre la privatisation de la SNCM. Nous sommes prêts à nous porter partie civile pour toutes les plaintes que des journalistes déposeront dans les jours prochains. Il est urgent de briser la loi du silence qui pèse sur l'ensemble des journalistes qui travaillent en Corse ou qui traitent des affaires corses sur le continent. Nous demandons au ministre de l'Intérieur, Nicolas Sarkozy, de prendre l'ensemble des mesures nécessaires afin de garantir au plus vite la sécurité des journalistes sur l'île et de ceux qui sont actuellement menacés sur le continent », a déclaré Reporters sans frontières. A la suite des violentes manifestations organisées à Bastia contre la privatisation de la SNCM, deux cameramen de France 2 et France 3 et un photographe de l'AFP ont été violemment pris à partie, les 27, 28 septembre et le 1er octobre dernier. Par ailleurs, Jean-Marc Plantade, chef du service économie du Parisien, a reçu des menaces de mort téléphoniques le visant personnellement ainsi que sa famille, à la suite de la publication d'un article, le 17 octobre, intitulé « Scandale à la SNCM ». Il dénonçait le supposé détournement d'argent de certains employés sur les recettes des ventes à bord des navires de la compagnie. « Nous avons reçu des menaces téléphoniques anonymes de mort au standard du Parisien et sur mon poste personnel : ‘On va te tuer, toi et tes enfants.' C'est du véritable terrorisme intellectuel et il appartient aux pouvoirs publics de mettre hors d'état de nuire ces individus qui se permettent de telles menaces. Je rappelle qu'il n'y a pas si longtemps un préfet a été assassiné en Corse », a déclaré Jean-Marc Plantade à Reporters sans frontières. Christophe Hilary, cameraman de France 3 National, a reçu le 28 septembre un violent coup à la joue, alors qu'il était en train de filmer environ deux cents casseurs, dont un tiers cagoulés, qui s'en prenaient à une camionnette d'EDF, dans les rues de Bastia. « Je ne faisais que des plans des pieds des manifestants et d'ailleurs, nous ne sommes pas des auxiliaires de la police. Nous avons une éthique et nous refusons systématiquement de livrer nos images aux forces de l'ordre lorsqu'elles nous le demandent. Mais il faut maintenant que l'on puisse travailler en Corse comme ailleurs », a déclaré le journaliste à Reporters sans frontières. Le cameraman a porté plainte contre X. Olivier Laban-Mattei, photographe de l'AFP, a été violemment molesté par des manifestants sur le port de Bastia, le 1er octobre, alors qu'il prenait des clichés d'un policier en civil, passé à tabac par une quinzaine de personnes cagoulées. Son appareil photo a ensuite été jeté à la mer. Le photographe a réussi à sauver ses clichés, qui ont été publiés le 2 octobre dans le Journal du Dimanche et en une du Parisien. Corse-Matin les a malheureusement publiées le lendemain, sans flouter une image, rendant reconnaissable l'un des manifestants. Par ailleurs, l'AFP a vendu une série de douze clichés publiés dans la revue Choc du 6 octobre. Depuis la publication de ses images, Olivier Laban-Mattei, lui-même d'origine corse et ayant travaillé sur l'île pendant six ans, a reçu de nombreuses menaces rapportées par plusieurs de ses confrères permanents en Corse. Le photographe de l'AFP a décidé de porter plainte et Reporters sans frontières se constituera partie civile. « J'ai pris très vite la décision de signer mes photos afin de protéger mes confrères sur place. Je trouve regrettable qu'il faille ‘baisser les boîtiers' si l'on veut continuer de suivre un événement en Corse, a déclaré Olivier Laban-Mattei à Reporters sans frontières. « J'ai peur pour Olivier et je crains qu'il ne puisse plus travailler comme avant en Corse. Nous ne sommes pas en Irak mais il faut rappeler la difficulté de nos conditions de travail ici », a déclaré à Reporters sans frontières Patrick Vella, journaliste de France 3 Corse qui travaille sur l'île depuis vingt-cinq ans et a été menacé de mort en 2004.
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Mise à jour le 20.01.2016