Dérive autoritaire : dix journalistes entendus par la justice et les forces de police en deux jours

Accusés d’avoir publié de fausses information et porté atteinte à la sécurité de l’Etat, quatre des sept journalistes de l’hebdomadaire Bi Mon Te Nay, actuellement détenus par la police, ont comparu en audience préliminaire, le 22 juillet 2014, devant un tribunal de Rangoun.

Tandis que les journalistes de l’hebdomadaire Unity croupissent en prison dans l’attente de leur jugement en appel, les professionnels de l’information continuent de subir la dérive liberticide des autorités judiciaires et policières. Quatre journalistes de la rédaction du Bi Mon Te Nay ont été convoqués par un tribunal de la commune de Padeban, à Rangoun (Sud), suite à la publication d’une Une erronée. L’hebdomadaire annonçant qu’Aung San Suu Kyi et des leaders communautaires avaient été élus par le peuple pour faire partie d’un gouvernement d’intérim. Ils resteront en détention jusqu’à la prochaine audience, prévue le 4 août. Sous le coup de la loi d’urgence de 1950, un texte liberticide régulièrement utilisé par la junte militaire pour emprisonner des journalistes et des blogueurs, ils encourent une peine de 14 ans d’emprisonnement. Les paragraphes (d) et (j) invoqués par le parquet, prévoient des peines pour toute action qui “inquiète la population ou un groupe de personnes en provoquant la panique” et qui “affecte la moralité ou la conduite de la population ou un groupe de personnes en portant atteinte à la sécurité de l’Union ou au rétablissement de l’ordre et de la loi”. Le rédacteur en chef, Naing Sai Aung, le rédacteur adjoint Aung Thant et les journalistes Ye Min Aung et Win Tin, avaient été interpellés à leur rédaction et domicile dans la nuit du 7 au 8 juillet pour être interrogés par le “département des renseignements spéciaux” sur la couverture de l'hebdomadaire. Le propriétaire de l’hebdomadaire, Kyaw Min Khine, son épouse et éditrice du journal, Ei Ei San, et le gestionnaire de la rédaction, Yin Min Htun, ont été, pour leur part, appréhendés aux abords de Mae Sot, en Thaïlande, par les autorités locales. Une fois extradés, ils ont été renvoyés devant le tribunal de Padeban qui les a également poursuivis en vertu de la loi d’urgence. L’audience devant le tribunal préliminaire du 22 juillet n’aura duré que 20 minutes et semble avoir été entachée d’irrégularités. Toutes les familles des accusés n’auraient pas été prévenues de sa tenue, et n’ont donc pas pu y assister. Le “département des renseignements spéciaux”, qui est à l’origine de ce procès, n’a publié aucun rapport faisant état des arrestations. Les accusés n’ont pas non plus été autorisés à s’adresser aux médias. Les charges pesant contre Ei Ei San ont cependant été levées par manque de preuves. Elle a ainsi pu bénéficier d’une remise en liberté provisoire. Les journalistes sont, quant à eux, détenus dans la prison d’Insein (Rangoun). Par ailleurs, le “département des renseignements spéciaux”, plus connue sous le nom de “branche spéciale” (special branch), continue sa campagne de harcèlement à l’égard des médias commencé le mois dernier, en menant notamment des enquêtes financières. Le 23 juillet, trois rédacteurs du Myanmar Herald journal ont été temporairement détenus par des officiers de la branche spéciale. Ces derniers sont venus au bureau et ont emmené au centre d’interrogation d’Aung Tha Pyae les rédacteurs sans fournir d’explications. Kyaw Zwa Win, San Win Tun et Aung Ko Ko ont ainsi été interrogés sur l’origine de leur financement, avant d’être relâchés sept heures plus tard. “Après la condamnation à dix ans de prison pour cinq journalistes, le recours à la loi d’urgence, texte hautement liberticide et désuet, entérine véritablement un retour à l’ère de la junte militaire. Le gouvernement fait montre d’une dérive autoritaire des plus inquiétantes. L’affaire du Bi Mon Te Nay pourrait facilement trouver une issue satisfaisante pour l’ensemble des parties impliquées, notamment grâce à une médiation du Conseil de la presse. Le gouvernement doit faire cesser le harcèlement illégitime des médias par ses services de renseignement”, déclare Benjamin Ismaïl, responsable du bureau Asie-Pacifique de Reporters sans frontières. Avec la condamnation, le 10 juillet, à dix ans d’emprisonnement de cinq journalistes d’Unity, la Birmanie semble avoir amorcé un virage à 180 degrès en matière de liberté de l’information. Cette sentence a été largement désapprouvée par la société civile ainsi que par la communauté internationale. De nombreux journalistes birmans se sont mobilisés en réaction au verdict, en arrivant notamment à une conférence de presse du président Thein Sein, le 12 juillet dernier, avec des T-shirts portant le slogan “Stop killing the press”. Empêchés d’entrer par la police, ils se sont ensuite alignés face au bâtiment où ils ont déposé leur matériel et protesté en silence. Plus de 50 d’entre eux font face à présent à des accusations de manifestation illégale, en vertu de l’article 18 de la loi sur les défilés et rassemblements pacifiques. La Birmanie se positionne à la 145e place sur 180 pays dans le Classement mondial de la liberté de la presse 2014 établi par Reporters sans frontières. Interrogé à ce sujet par Voice Of America (VOA), Ye Htut, actuel vice-ministre de l’Information et porte-parole du président birman a déclaré, qu’à son sens, “la Birmanie ne mérite pas ce classement”.
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Updated on 20.01.2016