Dégradation alarmante de la situation de la liberté de la presse

Reporters sans frontières est consternée par l'évolution de la situation de la liberté de la presse en Ukraine depuis les élections présidentielles des 17 janvier et 7 février derniers, remportées par Viktor Ianoukovytch. Ces dernières années, le pays avait gagné un nombre significatif de places au classement mondial de la liberté de la presse. Mais depuis trois mois, la situation se dégrade. A l'autocensure, qui persistait, viennent s'ajouter des méthodes de pressions que le pays avait commencé à oublier. Reporters sans frontières est préoccupée par le retour de l’intimidation et des agressions répétées envers les journalistes. L'organisation dénonce également les récents abus de pouvoir des autorités ukrainiennes à l'encontre des médias. L'organisation regrette cette succession de violations de la liberté de la presse, elle condamne le comportement des autorités à l'égard des médias. Elle se joint aux dix-sept journalistes de la télévision TVi qui ont adressé une lettre ouverte au nouveau président ukrainien. Dans cette lettre, Viktor Ianoukovytch est invité à réduire l'ingérence du service de sécurité ukrainien (SBU) dans les médias. Les journalistes de TVi subissent des pressions de la part du SBU, qui défend les intérêts personnels et commerciaux de son directeur A. Khoroshkovskiy. Reporters sans frontières s'inquiète également de la dissolution, sans explication, de la commission pour l'établissement de la liberté d'expression qui siégeait jusqu'à présent auprès du Président. Cette décision a été prise par décret publié sur le site Internet du président. Reporters sans frontières appelle le Président à s'expliquer sur cette dissolution et à préciser sa politique médiatique. Reporters sans frontières souhaite que l'Ukraine poursuive la dynamique insufflée ces dernières années. L'organisation appelle le Président à respecter la liberté de la presse, valeur défendue par la Constitution nationale ainsi que par les divers traités et conventions dont le pays est signataire. Le président Viktor Ianoukovytch doit pour cela modifier sa politique de l'information et amorcer un retour à la normale. Plusieurs cas d'agression ou d'arrestation de journalistes ont été rapportés. Reporters sans frontières dénonce notamment l'arrestation, le 12 avril à 8 heures, du directeur du journal l'Express. Andriy Vey a été interpellé dans sa propre maison, à Lviv, par des hommes en civil s'étant présentés comme des policiers. Il a été conduit au commissariat local. Plusieurs journalistes de la rédaction se sont présentés à la police et ont cherché à connaître les raisons de l'arrestation de leur directeur. Pour toute réponse, les policiers les ont frappés et ont brisé leurs appareils photo. L'interrogatoire d'Andriy Vey n'a duré que sept minutes, ce qui conforte les journalistes dans l'idée que la police menace le journal pour ses publications souvent critiques. Dans la soirée du 12 avril, les avocats du quotidien Express ont demandé des explications à la Direction générale du ministère de l'Intérieur. Selon le ministère, le directeur du journal n'a pas été arrêté par des policiers mais par des agents du fisc, car le journal aurait des taxes impayées, ce qui a été démenti par le service des impôts. Le comité parlementaire pour la liberté d'expression a reçu une délégation de journalistes de l'Express et devrait proposer la création d'une commission d'enquête parlementaire pour tirer les faits au clair. Reporters sans frontières est choquée de l'agression gratuite subie par Borys Brahinskiy, journaliste pour TV 9 Kanal. Le journaliste a été violemment pris à partie vers 19h30 non loin du bâtiment de la télévision, par un inconnu. Celui-ci l'a frappé au visage avant de le jeter à terre, de le rouer de coups de pied et de prendre la fuite. Pour Borys Brahinskiy, cette agression est sans aucun doute liée à son activité professionnelle : "Je ne fais pas d'affaires, je ne suis pas une personne conflictuelle. Mon émission est parfois dure et consiste à analyser les événements. Cela ne plaît sans doute pas à tout le monde", a-t-il déclaré. Par ailleurs, l'agresseur semblait l'attendre précisément et il ne lui a rien volé. Le journaliste souffre de nombreuses ecchymoses. Il ne sera pas en mesure de travailler pendant environ une semaine. Le 8 avril, Ihor Myrishnychenko, journaliste pour la chaîne de télévision sportive Poverkhnost, et Andriy Mokhnyk, travaillant pour le journal Svoboda, ont été arrêtés. Ils ont été interpellés alors qu'ils assistaient à une conférence de presse au palais des expositions de Kiev. Selon Ihor Myrishnychenko, immédiatement après qu'il avait posé une question, plusieurs journalistes ont été expulsés de la salle avant d'être littéralement poussés dans un véhicule par des hommes en civil et au crâne rasé, et détenus jusque tard dans la nuit. Ils ont été acquittés lors d'un procès en comparution immédiate. Les deux journalistes ont déclaré être venus à la conférence dans une optique professionnelle, et en aucun cas pour menacer l'ordre public, ce qui leur était officiellement reproché. Le même jour, le journaliste Serhi Andrushko s'est vu arracher son micro par Volodymyr Storozhenko, chef du département principal du logement de la ville de Kiev. Celui-ci n'était pas disposé à répondre aux questions du professionnel de la télévision STB, il le lui a clairement fait comprendre, en jetant son micro dans une poubelle... Enfin, deux chaînes télévisées, en plus de TVi, voient leur activité menacée : Avtor-V, appartenant à une compagnie indépendante de Dniprodzerzhynsk, a dû cesser d'émettre après dix années de fonctionnement. Selon Lyudmyla Kachanova, si la raison officielle de la cessation d'activité est la résiliation d'un contrat de location, il s'agit surtout d'une mesure d'intimidation. Le contrat de location pour l'hébergement de la télévision devait initialement prendre fin en décembre 2010, mais la municipalité a décidé d'avancer au 1er juillet la date d'expiration. Pour la directrice de la télévision, depuis les élections municipales de mars 2008, qui ont élu le maire actuel, les programmes proposés sont continuellement perçus comme des critiques à l'encontre du pouvoir local. Les autorités municipales ont plusieurs fois déclaré que la télévision était un ennemi. Face à ces nouvelles difficultés matérielles, la télévision s'est temporairement délocalisée à Dnipropetrovsk et va porter plainte contre les autorités locales. La chaîne Hlas a elle aussi été confrontée à des difficultés ces derniers jours. Sa diffusion a été interrompue dans la ville d'Ilitchevsk, dans la région d'Odessa. Selon Liana Tateyeva, journaliste de la chaîne, des pressions de la part des pouvoirs locaux seraient à l'origine de cette interruption. Les informations que diffuse la chaîne seraient en effet critiques envers eux.
Publié le
Updated on 20.01.2016