Défenestration et agressions de journalistes d'opposition

Le journaliste kirghize Guennadi Pavliouk est mort ce matin des suites de sa chute du sixième étage d'un immeuble d'Almaty (Kazakhstan), le 16 décembre 2009.

Reporters sans frontières exprime toute sa tristesse à la famille et aux collègues du journaliste.

"A dix jours de leur accession à la présidence de l'OSCE, les autorités kazakhes ne peuvent se permettre de laisser un tel crime impuni, et la partie kirghize doit collaborer pour élucider cet assassinat", a déclaré l'organisation.

Le 16 décembre, le journaliste de Bely Parus, réputé pour son indépendance et proche de l'opposition kirghize, était retrouvé inanimé au pied d'un immeuble de la capitale économique kazakhe. Hier, la police d'Almaty confirmait que la victime avait pieds et poings liés.

(Photo : ferghana.ru)

-----------------------------------

21.12.2009 - Les journalistes victimes de la polarisation politique

Reporters sans frontières est extrêmement choquée par la tentative d'assassinat dont a été victime le journaliste kirghize Guennadi Pavliouk, le 16 décembre à Almaty (Kazakhstan). Cette nouvelle attaque, cette fois-ci opérée dans un pays voisin, est la troisième en une semaine à frapper des journalistes kirghizes d'origine russe. Le 9 décembre, l'analyste politique Alexander Knyazev était agressé à Bichkek (capitale). Le 15 décembre, le correspondant de l'agence de presse russe BaltInfo, Alexander Evgrafov, était frappé et menacé par des policiers en uniforme.

"Il est impossible à l'heure actuelle d'établir un lien direct entre la tentative d'assassinat contre Guennadi Pavliouk et les deux agressions précédentes, même si une minorité agissante semble vouloir donner l'impression d'un plan concerté. Mais dans tous les cas, l'instrumentalisation de ces attaques au service d'une stratégie de tension politique et nationaliste est inacceptable. Les journalistes doivent cesser d'être pris en otages par l'extrême polarisation de la vie politique kirghize", a déclaré Reporters sans frontières.

"La mainmise du président Kurmanbek Bakiev sur le débat public, en phagocytant les espaces de libre expression, contribue à radicaliser les oppositions et exacerber les tensions. Toutes les forces politiques doivent immédiatement renoncer à utiliser la violence contre les journalistes."

Au lendemain des agressions d'Alexander Knyazev et Alexander Evgrafov, plusieurs rédactions kirghizes ont reçu un e-mail de revendication proférant des menaces contre les minorités, notamment russes, assimilées aux partisans de l'ancien président Askar Akaïev. La presse russe s'est émue de ce que les "journalistes en lien avec la Russie" semblaient visés par une "campagne de terreur". Guennadi Pavliouk est, comme les deux autres journalistes ciblés, un Kirghize russe réputé proche de l'opposition.

Le 18 décembre, le service de presse du ministère kirghize de l'Intérieur a confirmé que Guennadi Pavliouk avait été retrouvé deux jours plus tôt, inconscient au pied d'un immeuble de la rue Furmanov, au cœur de la capitale kazakhe. Les secouristes ont diagnostiqué de multiples fractures, un important traumatisme crânien du fait d'une forte hémorragie cérébrale, et ont déclaré que selon toute vraisemblance, le journaliste a été défenestré du cinquième ou sixième étage. Guennadi Pavliouk se trouve actuellement entre la vie et la mort, au département de traumatologie de la clinique centrale d'Almaty. D'après Torekhan Alipbaev, responsable de cette unité, "Guennadi Pavliouk, 40 ans, se trouve au département de réanimation. Il est toujours sans connaissance, plongé dans un coma du 3e degré. Son état est pour l'heure instable."

Dernièrement, Guennadi Pavliouk s'était rapproché du parti d'opposition Ata Meken, pour lequel il projetait d'ouvrir prochainement un portail internet et un hebdomadaire d'informations.

De nombreuses questions restent en suspens, à commencer par les raisons qui ont conduit le journaliste kirghize à Almaty. Il est impossible de savoir s'il avait rendez-vous dans cet immeuble, ou s'il y a été conduit par la force, comme l'affirment des représentants du parti Ata Meken qui se sont rendus sur place ce week-end. Une enquête criminelle a été ouverte par la police d'Almaty.

Journaliste connu pour son indépendance, Guennadi Pavliouk s'est fait un nom en tant que directeur de l'édition kirghize du journal russe Argumenty i Fakty, à l'époque de l'ancien président Askar Akaïev. Très critique envers le nouveau pouvoir issu de la "révolution des tulipes" de 2005, le journaliste a un temps été tenté de quitter le pays. Sous le pseudonyme d'Ibraguim Rustambek, il est ensuite devenu rédacteur en chef de l'édition kirghize de la Komsomolskaya Pravda, et l'une des plumes réputées du journal indépendant Bely Parokhod, dont il dirigeait la version en ligne.

Dans un style très critique, Bely Parokhod s'intéressait particulièrement aux cas de corruption liés à la privatisation des entreprises énergétiques. Depuis un an, la directrice du journal, Elena Avdeeva, faisait état de pressions de la part de "barons de l'énergie". Rendu régulièrement inaccessible, le site Internet du journal avait dû changer d'adresse, tandis que la version imprimée était rebaptisée Bely Parus en anticipation de procédures judiciaires.

La rhétorique nationaliste imprègne fortement les discours politiques au Kirghizstan, indépendant depuis 1991. Elle est utilisée aussi bien par le parti au pouvoir – qui vient de rendre obligatoire le fait de se lever en chantant lorsque l'hymne national est joué – que par une opposition prompte à dénoncer la monopolisation du pouvoir par les ressortissants du sud du pays.

Lire en Russe / Читать на русском :

Publié le
Mise à jour le 20.01.2016