Cuba: “Le silence des amis de Cuba serait une forme de complicité” (François Hollande, 2003)

Lundi 11 mai 2015, le président français François Hollande sera le premier chef d’Etat français à se rendre à Cuba depuis 1959 et le premier dirigeant occidental depuis l’annonce du rétablissement des relations diplomatiques entre les Etats-Unis et Cuba, le 17 décembre dernier. A visite historique, responsabilité historique : celle de “dire la vérité”, comme il titrait si bien dans sa tribune sur Cuba (ci-joint) parue dans le Nouvel Observateur en 2003. Reporters sans frontières (RSF) lui adresse une lettre ouverte pour lui demander d’exhorter son homologue Raul Castro à améliorer la situation dramatique de la liberté de l’information sur l’île. François Hollande Président de la République Palais de l’Elysée 55 Rue du Faubourg Saint-Honoré 75008 Paris Paris, le 7 mai 2015, Monsieur le Président, Avant votre voyage dans le pays, Reporters sans frontières (RSF), organisation de défense de la liberté de l’information, attire votre attention sur la situation toujours très critique des journalistes professionnels ou non à Cuba. Dernier pays des Amériques, année après année, au Classement mondial de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières, Cuba occupe en 2015 la 169ème place sur 180 pays. Cette position reflète un manque criant de pluralisme et le contexte difficile et risqué dans lequel évoluent journalistes et blogueurs indépendants pour déjouer la censure et publier une information indépendante. A visite historique, responsabilité historique. Dans votre tribune dans le Nouvel Observateur du 27 février 2003, intitulée “Dire la vérité”, vous faisiez un constat sans détour:“le silence des amis de Cuba serait une forme de complicité à l’égard d’un système que nous dénoncerions partout ailleurs” et appeliez à “soutenir le peuple cubain jusqu’au bout et dire la vérité sur l’inhumanité de l’embargo comme sur le régime cubain. Les deux sont injustifiables.”. Vous ne doutiez pas du rôle qui incombait à la France:“Nous devons exiger la libération de tous les prisonniers politiques et l’abolition de la censure”. Au nom de ces principes la France ne pourra donc pas se taire. Monsieur le Président, malgré une volonté désormais affichée d’ouverture au niveau diplomatique, le gouvernement cubain conserve un monopole quasi absolu sur l’information et ne tolère, dans l’île, aucun média indépendant. La presse traditionnelle et numérique reste censurée et Internet sous étroite surveillance. Une exception à cette chape de plomb : le site de l’agence de presse indépendante Hablemos Press. Inaccessible sur l’île depuis 2011, le site a été débloqué par Reporters sans frontières le 12 mars dernier lors d’une opération anti-cybercensure. Une exception, dont le gouvernement cubain n’est nullement à l’origine, qui devrait être la règle. Vous Président, la France ne pourra que rappeler qu’une ouverture ne pourra être réelle et profiter à la population que si l’île s’ouvre également à une information plurielle et indépendante. Journalistes et blogueurs indépendants continuent d’exercer leur profession dans un contexte difficile et risqué. Leur matériel est confisqué ; leurs téléphones portables déconnectés. Ils sont convoqués par le département de la Sécurité intérieure et sommés de changer leur ligne éditoriale. Ils continuent de faire face à des intimidations, campagnes de dénigrement, menaces de morts, agressions, arrestations ou détentions arbitraires. Même la Journée mondiale pour la liberté de la presse, le 3 mai dernier, fut prétexte à la répression. Trois journalistes indépendants qui couvraient la marche des Dames en blanc ont été arrêtés à La Havane. On y avait distribué la Déclaration universelle des droits de l’homme. Vous Président, la France ne saurait laisser sous silence l’emprisonnement arbitraire de journalistes. Si les autorités cubaines semblent privilégier, toujours plus, les arrestations arbitraires de courte durée pour empêcher les acteurs de l’information de faire leur travail et les réduire au silence, Yoeni de Jesús Guerra García (blogueur de Yayabo Press condamné à sept ans de prison en 2014), José Antonio Torres (ancien journaliste du quotidien officiel Granma, condamné à 14 ans d’incarcération en juillet 2012) et le blogueur Ángel Santiesteban-Prats (Los hijos que nadie quiso, condamné à cinq ans de prison en 2013) purgent aujourd’hui des peines de longues durées. Leurs crimes? Avoir diffusé des informations considérées comme « antirévolutionnaires » ou « calomnieuses ». Angel Santiesteban-Prats, lui, a été condamné à cinq ans de prison pour un délit commun afin de diminuer la portée politique de son incarcération. Depuis son incarcération, il a subi des mauvais traitements, des actes de torture. Un flou juridique plane aujourd’hui sur sa situation. Vous Président, la France ne pourra que demander la libération immédiate et sans condition de Yoeni de Jesús Guerra García, Juan Antonio Torres et Ángel Santiesteban Prats. La France ne peut qu’exhorter les autorités cubaines à mettre un terme à la répression et à la censure des acteurs de l’information indépendante. La France devrait également intercéder auprès des autorités cubaines pour demander l’accès à Cuba des organisations internationales des droits de l’homme et de défense de la liberté d’expression et d’information comme Reporters sans frontières. Avec toujours à l’esprit cet objectif que vous chérissez: “dire la vérité”. En vous remerciant de l’attention que vous porterez à cette demande, je vous prie d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de ma très haute considération. Christophe Deloire Secrétaire Général (Logo: AFP)
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Mise à jour le 20.01.2016