Couverture de la campagne présidentielle par les médias publics : un déséquilibre persistant, malgré des efforts

Le gouvernement n'a jamais respecté le principe de la "réserve ministérielle", lui recommandant de faire preuve de discrétion afin de ne pas perturber la campagne. Dans le cadre des émissions spéciales, toutefois, le principe de l'égalité de traitement entre les quinze candidats a été globalement respecté. Les déséquilibres les plus forts et les plus persistants ont été constatés dans la presse écrite.

Au cours d'une conférence de presse tenue le 26 février 2007 à Dakar, Robert Ménard, secrétaire général de Reporters sans frontières, a présenté le bilan de la couverture de la campagne du premier tour de l'élection présidentielle par les médias publics sénégalais. Les médias publics sénégalais ont favorisé le gouvernement pendant toute la campagne électorale du premier tour de l'élection présidentielle. Le groupe Radiodiffusion télévision sénégalaise (RTS), ainsi que l'Agence de presse sénégalaise (APS) et le quotidien public Le Soleil, n'ont pas respecté la règle du pluralisme démocratique en consacrant, dans le cadre des journaux d'information, près de la totalité de la couverture de l'actualité politique au gouvernement, majoritairement acquis au Parti démocratique sénégalais (PDS), parti d'Abdoulaye Wade, président sortant et candidat à sa propre succession. Le gouvernement sénégalais n'a jamais respecté le principe de la "réserve ministérielle", recommandant aux membres de l'exécutif de faire preuve de discrétion afin de ne pas perturber la campagne. Les forces politiques de l'opposition ont été marginalisées, ne bénéficiant que de 0,06% et 5,85% de la couverture globale de l'actualité par la télévision publique (RTS 1) et la radio d'Etat (RSI et chaîne nationale). Dans le cadre des émissions spéciales, toutefois, le principe de l'égalité de traitement entre les quinze candidats à l'élection présidentielle a été globalement respecté par les médias audiovisuels, malgré un léger avantage au président sortant. Tous les candidats ont pu s'exprimer équitablement sur les chaînes de télévision et de radio publiques. Les déséquilibres les plus forts et les plus persistants ont été constatés dans la presse écrite publique. L'agence de presse APS a consacré plus de 25% de sa couverture globale de l'actualité au président sortant Abdoulaye Wade et à son parti (PDS), tandis que le quotidien Le Soleil lui a consacré plus de 40% de sa surface rédactionnelle durant toute la campagne. Un des moments forts de la couverture de la campagne par ce quotidien a été la publication d'un cahier spécial de douze pages présentant le programme du candidat du PDS, en contravention avec le code électoral sénégalais interdisant la propagande et la publicité en faveur de tout candidat à l'élection présidentielle. RTS 1. La campagne a été traitée comme une parenthèse. A l'occasion de la campagne présidentielle, la chaîne publique RTS 1 a mis en place une émission spéciale intitulée "La parole aux candidats", diffusée en soirée en synchronisation sur les chaînes de radio publiques en deux tranches, de 19h00 à 19h40 et de 21h00 à 21h40. Reporters sans frontières salue cette initiative du groupe de radiodiffusion publique RTS, car elle a incontestablement permis de favoriser l'équilibre des temps de parole des différents candidats. Cependant, les journaux d'information en français et en wolof ont créé un déséquilibre, en accordant un peu moins de 8 minutes supplémentaires au président sortant Abdoulaye Wade dès la première semaine de la campagne. Ce déséquilibre n'a pas été comblé durant les deux dernières semaines. L'absence d'expression de courants d'opinion contradictoires dans le cadre des journaux, où les activités du gouvernement ont représenté plus de 99% de la couverture globale de l'actualité, a fortement entaché la campagne. L'absence de débats contradictoires est également à regretter. RSI et chaîne nationale. Des efforts mais de légers déséquilibres. La radio nationale a fait un effort d'équilibre notable dans le traitement de l'information pendant toute la campagne, en donnant la parole à tous les candidats en lice et en consacrant régulièrement des comptes rendus de l'activité de chaque candidat, réalisés par les journalistes suivant de la chaîne chargés de suivre leurs déplacements. Toutefois, malgré ces efforts, la règle de l'égalité n'a pas été entièrement respectée. Le candidat du PDS, Abdoulaye Wade, a en effet bénéficié d'environ une heure de plus que tous les autres candidats sur les antennes des deux radios publiques, avec un total de 9 heures 6 minutes et 22 secondes sur les trois semaines de campagne. Tous les autres candidats ont été traités avec une relative équité, à l'exception de Robert Sagna, candidat de la coalition Takku Defaraat Sénégal (UFDS), qui n'atteint qu'un total de 8 heures 4 minutes et 6 secondes de temps d'antenne pendant la même période. Lors de la première semaine, le déséquilibre a penché en faveur du président sortant, qui totalisait 9,68% de la couverture de l'actualité sur les radios publiques. L'équilibre a été globalement rétabli durant la deuxième semaine, mais a été de nouveau perturbé au cours de la troisième semaine, quand le candidat de la coalition Jubanti Sénégal, Abdoulaye Bathily (LD/MPT), a atteint plus de 3 heures d'antenne. Par ailleurs, si l'équilibre des temps de parole entre les candidats a été globalement respecté les deux premières semaines, les écarts se sont creusés durant la troisième semaine, notamment avec l'introduction, le 16 février, d'une nouvelle rubrique intitulée "L'invité" dans les journaux d'information en français et en wolof. Les candidats Mamadou Lamine Diallo (indépendant), Me Mame Adama Guèye (indépendant), Moustapha Niasse, candidat de la coalition Alternative 2007 (AFP), et Idrissa Seck, candidat de la coalition And Liguey Sénégal (parti Rewmi), n'ont pas été invités à l'antenne dans le cadre de cette nouvelle rubrique. APS. Une couverture professionnelle mais déséquilibrée L'agence de presse sénégalaise a consacré de nombreuses dépêches à l'ensemble des quinze candidats. L'agence a, notamment, proposé des portraits très détaillés et illustrés de chaque candidat et de leur parcours politique. Cependant, le traitement de l'information consacrée aux candidats n'a jamais été équilibré tout au long de cette période. Abdoulaye Wade, a bénéficié d'une couverture systématiquement plus importante, totalisant plus de 25% à l'issue de la campagne. Le candidat du PDS a été davantage mentionné dans les dépêches de l'APS, notamment dans les revues de presse, du fait de son statut de président sortant, ainsi que par ses adversaires eux-mêmes. Le principe d'égalité n'a pas été non plus respecté entre l'ensemble des candidats opposés au président sortant. Le candidat Idrissa Seck (Rewmi) a bénéficié de 10,62% de la couverture globale de l'actualité par l'APS, Moustapha Niasse (AFP) de 10,18%, tous les autres candidats atteignant mois de 10% (9,18% pour le candidat du Parti socialiste, Ousmane Tanor Dieng et 7,63% pour le candidat de la LD/MPT, Abdoulaye Bathily). Durant la première semaine, le nombre d'évocations du président sortant, Abdoulaye Wade, a représenté 21,46% du contenu politique total du candidat, contre 13,79% pour le candidat Moustapha Niasse (AFP) et 9,20% pour le candidat Abdoulaye Bathily (LD/MPT). Lors de la deuxième semaine, les écarts entre le candidat du PDS et les autres candidats se sont maintenus, puis aggravés durant la troisième semaine. Cette dernière semaine, la couverture de l'actualité liée au président sortant a représenté 26,32% de la couverture globale contre seulement 12,63% pour le candidat Idrissa Seck (Rewmi), en seconde position, et 8,77% pour Ousmane Tanor Dieng (Parti socialiste), en troisième position. Le Soleil. La couverture la plus déséquilibrée. La couverture de la campagne électorale par Le Soleil n'a jamais été équilibrée durant toute la campagne du premier tour. Le quotidien a régulièrement encensé le candidat et chef de l'Etat, Abdoulaye Wade, s'affichant comme le journal du Président. De nombreux soutiens se sont exprimés dans ses colonnes en faveur du candidat du PDS, et ses opposants ont été présentés parfois de manière partiale, à leur désavantage. Aucune égalité de traitement n'a été accordée aux candidats et la couverture du président sortant a représenté plus de 40% de la surface rédactionnelle totale du journal durant les trois semaines de campagne. Les autres candidats sont tous au-dessous de 9%. Cette tendance ne s'est jamais inversée. La couverture de l'actualité du président Abdoulaye Wade a successivement représenté 21,46% de la surface du journal durant la première semaine, puis 31,04% la deuxième semaine, avant d'atteindre un pic de 51,04% la troisième semaine. Par ailleurs, le 19 février, Le Soleil a publié un cahier spécial de 12 pages entièrement consacré au programme du président sortant, avec un avant-propos signé de son directeur de campagne, le Premier ministre Macky Sall, alors que le code électoral sénégalais interdit toute diffusion d'articles de propagande et de publicité en faveur d'un candidat à l'élection présidentielle. Le journal n'a pas été averti ou sanctionné par l'autorité de régulation des médias sénégalais, le Conseil national de régulation de l'audiovisuel (CNRA, dont le mandat inclut la régulation de la propagande électorale), et n'a jamais rétabli l'équilibre en faveur des autres candidats à l'élection. Recommandations En cas de second tour, Reporters sans frontières recommande : - Aux médias audiovisuels publics, de maintenir leurs efforts d'équilibre dans le traitement de l'actualité liée aux candidats. Les journaux d'information de ces médias doivent, à l'avenir, accorder plus de temps d'antenne aux activités de l'opposition afin de faire respecter le pluralisme démocratique. - Aux directions de la presse écrite publique, d'établir une ligne éditoriale respectueuse de l'équilibre entre tous les candidats. Celle-ci doit être avertie par les autorités compétentes, en cas de contraventions graves à la loi sénégalaise, avec obligation de rétablir l'équilibre en faveur des candidats ne bénéficiant que d'une faible couverture. -------------- Mission. Reporters sans frontières mène, du 4 février 2007 à la clôture du scrutin présidentiel, une mission de monitoring des médias publics sénégalais. Conduite depuis Dakar par une équipe d'observateurs, cette mission a pour mandat de mesurer les temps d'antenne et de parole des différentes forces politiques en lice sur les antennes de la radio et de la télévision publiques, ainsi que l'espace consacré à ces forces politiques dans le quotidien Le Soleil et au sein de l'agence de presse APS. L'objectif de la mission est de veiller au respect des règles d'équité. Méthodologie. Reporters sans frontières observe et mesure l'équilibre du temps d'antenne des candidats dans les journaux d'information en français et en wolof, ainsi que l'émission spéciale "La parole aux candidats", diffusés sur la chaîne de télévision publique RTS 1, la radio publique Radio Sénégal internationale (RSI) et la chaîne nationale RTS. Pour la presse écrite, l'organisation compare la surface occupée par chaque candidat et ses soutiens dans les pages de l'unique journal public, Le Soleil. En ce qui concerne l'APS, Reporters sans frontières a relevé le nombre de fois où chaque candidat est cité.
Publié le
Updated on 20.01.2016