Code pénal: deux articles controversés de nouveau présentés en l’état à la Présidente

Plus d’un mois après que la présidente Atifete Jahjaga a refusé de promulguer le nouveau code pénal, les parlementaires se sont une nouvelle fois prononcé en faveur du même texte, sans qu’aucune modification n’ait été apportée aux deux articles menaçant gravement la liberté de la presse. A l’annonce de cette décision, le vice-Premier ministre, Hajrudin Kuci, a présenté sa démission. Le Premier Ministre Hashim Thaci a déclaré, quant à lui, que son cabinet déposerait “en urgence” un avant-projet visant à révoquer les deux articles controversés. Les articles 37 et 38 obligeraient les journalistes à révéler leurs sources d’information sur décision judiciaire et leur feraient encourir jusqu’à trois ans d’emprisonnement pour diffamation. -------------------------------------------------------------------------------------------- 08.05.2012 - Le nouveau code pénal renvoyé au Parlement pour révision Reporters sans frontières salue la décision de la présidente de la République Atifete Jahjaga qui a refusé, le 8 mai 2012, de promulguer le nouveau code pénal, tant que ses articles 37 et 38 menaçant la liberté de la presse n’auront pas été révisés par le Parlement (voir ci-dessous). “Nous saluons la décision de la Présidente, qui a su se montrer à l’écoute de l’inquiétude des journalistes locaux et de la communauté internationale. La dangerosité du texte dans sa formulation actuelle est enfin reconnue au plus haut niveau”, a déclaré Reporters sans frontières. “Nous restons toutefois extrêmement vigilants et nous suivrons de très près le déroulement des débats au Parlement. Il est impératif que les journalistes puissent disposer d’une protection juridique et qu’ils ne soient pas sanctionnés au pénal pour avoir exercé leurs fonctions. La Présidente doit poursuivre ses efforts, dans les limites de son mandat, pour mettre les médias à l’abri de pressions judiciaires qui ne font qu’aggraver l’autocensure”, a ajouté l’organisation. Adopté par le Parlement en avril 2012, le nouveau code pénal prévoit, dans ses articles 37 et 38, des peines de prison pour les journalistes qui se rendraient coupable d’infractions commises à travers les médias ou refuseraient de dévoiler leurs sources. Le bureau de la Présidence a déclaré dans un communiqué que les articles allaient à l’encontre de la Constitution et des standards européens en matière de droits de l’Homme. En réaction au texte, les journalistes locaux s’étaient fortement mobilisés. Le 23 avril 2012, ils avaient massivement manifesté devant le Parlement et, à l’occasion de la journée internationale de la liberté de la presse, le 3 mai 2012, ils avaient organisé un boycott d’une journée sur la couverture de toutes les nouvelles relatives aux institutions gouvernementales et au Parlement. ----------------- 24.04.2012 - Adoption d’un nouveau code pénal : l’éthique et le travail des journalistes en danger Reporters sans frontières dénonce fermement l’adoption par l’Assemblée nationale, le 20 avril 2012, d’un nouveau code pénal, comprenant plusieurs articles qui criminalisent la diffamation et obligent les journalistes à dévoiler leurs sources sous peine de poursuites pénales. “Ces nouvelles dispositions sont inadmissibles. Il est clair qu’elles visent à sanctionner tout type de travail d’investigation qui dérangerait le gouvernement. Un journaliste ne devrait pas encourir des peines de prison pour avoir publié ses travaux ou refuser de dévoiler ses sources. Le droit d’exercer et de protéger ses informateurs doivent rester des principes fondamentaux, les bafouer représenterait un pas en arrière considérable. Ce nouveau code met en grand danger la liberté de la presse et représente une atteinte grave à la démocratie”, a déclaré Reporters sans frontières. “Nous demandons à ce que la présidente Atifete Jahjaga renonce à la promulgation de ce nouveau code pénal et retourne le texte à l’Assemblée afin qu’elle puisse le réviser dans le respect des standards internationaux. Il est du devoir de la Présidente d’affirmer qu’elle n’acceptera pas que les journalistes soient menacés. Nous recommandons par ailleurs l’intervention d’experts européens pour ajuster les articles controversés et souhaitons que l’Union Européenne s’engage à faire respecter la liberté de la presse et à protéger les journalistes au Kosovo”, a ajouté l’organisation. Trois jours après l’adoption du texte, cameramans, photographes, journalistes et éditeurs issus de différents médias locaux se sont rassemblés devant l’Assemblée nationale pour protester contre ces nouvelles dispositions qui risquent d’entraîner le musèlement de la profession et une recrudescence de l'autocensure. Une telle mobilisation ne s’était pas produite depuis la fin des années 1990. La controverse concerne les articles 37 et 38 du nouveau code. D’après l’article 37, un journaliste peut être condamné au pénal pour une infraction commise “à travers les médias”. En effet, le texte prévoit que l’”auteur de l’information (soit) tenu responsable pénalement si l’infraction pénale résulte de la publication d’une information dans un journal ou autre forme de médias imprimés, à la radio, à la télévision, sur Internet ou à travers tout autre média.” En l’absence d’une définition précise de la notion d’“infraction”, le champ d’interprétation reste ouvert et pourrait conduire à de nombreuses dérives de la part des autorités, et notamment en matière de diffamation. Jusqu’à présent, la diffamation était sanctionnée au civil et non au pénal. Avec ces nouvelles mesures, le journaliste qui entreprend des enquêtes et rend public ses travaux sur des cas de corruption, d’abus de pouvoir ou sur d’importantes personnalités politiques pourrait être soumis à une peine de prison. Outre la sanction elle-même, cet article réduit considérablement la marge de manoeuvre des journalistes, encourageant l’autocensure, voire la censure et un contrôle beaucoup plus important des propriétaires des médias sur leur ligne éditoriale. L’article 38, quant à lui, oblige les journalistes à révéler leurs sources d’information. Ces derniers seraient tenus “responsables pénalement” dans le cas où ils refuseraient de dévoiler leurs sources “pour prévenir une attaque qui constitue(rait) une menace inévitable contre la vie ou l’intégrité personnelle (d’un individu)” ou “pour empêcher un acte criminel punissable par une peine d’incarcération d’une période d’au moins 3 ans (...)”. Une nouvelle fois, la mise en vigueur d’un tel article mettrait à l’index le journalisme d’investigation, déjà très affaibli au Kosovo, et renforcerait considérablement le monopole des médias pro-gouvernementaux et, par la même, la propagande étatique. Dans un contexte où la presse est déjà fortement mise à mal, l’adoption d’un tel code entraînerait une augmentation des pressions à l’encontre des médias, ce que la communauté internationale ne peut accepter. Le Kosovo figure à la 87e place du classement mondial de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières. (Photo : http://www.demotix.com)
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Mise à jour le 20.01.2016