Chronique du harcèlement judiciaire des médias en Turquie. Juillet-novembre 2012

Reporters sans frontières a décidé d’ouvrir un fil d’actualité pour rendre compte de la multiplication des poursuites judicaires à l’encontre des journalistes et des médias en Turquie. Malgré la loi 6352 du 5 juillet 2012, la presse reste la cible d’un harcèlement judiciaire constant, dont les procès KCK et Ergenekon ne sont que les émanations les plus visibles. --------- 07.11.2012 - Le calvaire sans fin des journalistes emprisonnés Vive inquiétude pour les journalistes incarcérés en grève de la faim Reporters sans frontières fait part de sa profonde inquiétude devant la dégradation de l’état de santé d’une dizaine de représentants des médias pro-kurdes emprisonnés, en grève de la faim depuis plusieurs semaines. “La situation est très grave. Ces personnes se rapprochent progressivement de la mort. Nous en appelons instamment à toutes les parties prenantes pour qu’elles adoptent, avant qu’il ne soit trop tard, une attitude positive permettant de résoudre les différends qui poussent les détenus à faire grève. Les autorités doivent impérativement gérer cette situation avec humanité et responsabilité”, a déclaré l'organisation. “La recherche d’une solution pacifique à la question kurde et l’amélioration de la situation de la liberté de la presse sont intrinsèquement liés. Nous réitérons notre appel en faveur de la libération immédiate de tous les journalistes et collaborateurs des médias actuellement emprisonnés du fait de leurs activités professionnelles.” D’après le ministère de la Justice, 682 détenus de 67 établissements pénitentiaires sont actuellement en grève de la faim. Ils réclament notamment le droit d’utiliser la langue kurde dans les tribunaux et la levée de l’isolement imposé au leader du PKK Abdullah Öcalan, emprisonné depuis treize ans sur l’île d’Imrali. Parmi eux, au moins neuf journalistes et collaborateurs de médias. L’état de santé de Tayip Temel, ancien directeur de publication du quotidien en langue kurde Azadiya Welat, est particulièrement préoccupant. En grève de la faim depuis le 12 septembre dans sa prison de Diyarbakir, il souffrirait d’hémorragies internes et de pertes de perceptions. Il serait incapable de boire et de parler. Fatma Koçak, de l’agence de presse DIHA, et Ayse Oyman du quotidien Özgür Gündem, toutes deux incarcérées à la prison pour femmes de Bakirköy (Istanbul), ne s’alimentent plus depuis le 24 septembre. Pelvin Yerlikaya Babir (DIHA), emprisonnée à Bakirköy et Faysal Tunç (DIHA), détenue à la prison de Kalkandere de Rize (Nord-Est), sont en grève de la faim depuis le 15 octobre. C’est aussi le cas de Selahattin Aslan (Demokratik Modernite), détenu à Kandira (région de Marmara), et de Sahabettin Demir (DIHA), à Giresun (Nord-Est). Mehmet Emin Yildirim (Azadiya Welat) et Ömer Faruk Caliskan (Özgür Halk), incarcéré à Kandira, ont également rejoint le mouvement. Des intellectuels et journalistes de diverses tendances, dont Vedat Türkali, Garo Paylan, Aydin Engin, Ahmet Sik et Ertugrul Mavioglu, ont fait part de leur grande préoccupation pour leurs collègues. Rassemblement pour les journalistes emprisonnés Le 5 novembre 2012, une manifestation a rassemblé environ 500 personnes sur l’avenue Istiklal d’Istanbul sous le slogan “Pas de société libre sans presse libre”, pour demander la libération des journalistes et collaborateurs des médias emprisonnés en Turquie. Parmi eux, des journalistes récemment libérés, comme Ahmet Sik, Nedim Sener, Baris Pehlivan, Baris Terkoglu et Vedat Kursun, ont répondu à l’appel de la plate-forme “Liberté pour les journalistes” (GÖP), qui rassemble la plupart des organisations professionnelles locales. Reporters sans frontières y était également représentée. “Toute personne qui critique le pouvoir est immédiatement traduite en justice sur la base de la loi antiterroriste, ce qui a pour conséquence de remplir les prisons de journalistes, a souligné Ahmet Abakay, président de l’Association contemporaire des journalistes (CGD), qui assume actuellement la direction tournante de la GÖP. Les tribunaux dotés de pouvoirs spéciaux ne rendent pas la justice mais l’injustice, qui les fait traîner toute notre profession devant eux.” Nouveaux emprisonnements et remises en liberté conditionnelle dans l’enquête KCK Le 7 novembre 2012, Zeynep Kuris, reporter à Mersin de l’agence de presse DIHA, a été placée en détention préventive à la prison pour femmes de Karatas (Adana, Est) après quatre jours de garde à vue. Elle est accusée d’“appartenance à l’Union des Communautés du Kurdistan (KCK)”, le relais urbain du PKK. Deux collaborateurs du journal en langue kurde Azadiya Welat, Halime Parlak et Ergin Caglar, interpellés en même temps que la journaliste, ont été remis en liberté le 6 novembre. D’après DIHA, Zeynep Kuris, tout comme son collègue Özlem Agus mis en examen dans la même affaire, enquêtait sur des mauvais traitements commis contre des adolescents à la prison de Pozanti (Adana). Le reporter de DIHA Sinan Aygül, incarcéré le 23 janvier 2011 à la prison de Mus (Est), a été libéré le 6 novembre 2012 en attente de son jugement. Le même jour, un autre journaliste d’Adana, incarcéré le 9 mai 2011 à la prison de Kürkçüler, Ahmet Akyol, a été remis en liberté conditionnelle. Il était accusé d’“appartenir au PKK’’ et de s’être livré à de la “propagande en faveur de cette organisation’’. Le 17 octobre 2012, Reyhan Capan, rédacteur en chef du quotidien pro-kurde Özgür Gündem, a été condamné à 15 mois de prison pour la une du 21 mars 2012, intitulée “La voix de la révolte”, qualifiée de “propagande d’une organisation terroriste”. Ce titre ainsi que deux autres articles, “Manifestation sans interruption jusqu’à la liberté” et “Le Newroz des Kurdes à Amed et Istanbul”, portaient sur les manifestations tenues à l’occasion de Newroz, le nouvel an kurde. Interdites, les célébrations traditionnelles kurdes avaient largement dégénéré en affrontements avec les forces de l’ordre. Le tribunal s’est opposé à un allègement de la peine, en estimant que l’accusé n’avait “pas exprimé de remords” et qu’il “n’inspirait pas confiance quant à la reproduction d’un délit de même nature à l’avenir”. Lourdes réquisitions contre les journalistes d’Atilim Le procureur de la 11e chambre de la cour d’Assises d’Ankara, Mehmet Özgür, a requis 15 ans de prison contre le chroniqueur de l’hebdomadaire de gauche Atilim (Elan), Hasan Cosar, accusé d’"appartenance au Parti communiste marxiste-léniniste” (MLKP, interdit). Il a cependant demandé à ce que les poursuites ouvertes contre le journaliste pour “propagande d’une organisation terroriste” soient suspendues, en vertu de la loi 6352 (“troisième paquet de réformes judiciaires” - voir ci-dessous). La cour avait remis Hasan Cosar en liberté conditionnelle en décembre 2011, tenant compte de “la durée déjà passée en détention, de la nature de l’accusation et de l’état des preuves’’. Dans un autre dossier concernant le MLKP, le parquet en charge de la lutte antiterroriste a rendu son acte d’accusation à l’encontre d’Ibrahim Ciçek, directeur de la publication d’Atilim. Le procureur a requis la prison à vie contre le journaliste et un conseiller du président du Parti socialiste des opprimés (ESP), accusés d’avoir “tenté de renverser l’ordre constitutionnel, d’avoir fondé une organisation terroriste et la gérer”. Ils avaient été interpellés il y a six mois, puis libérés sur décision du juge. Un mandat d’arrêt vient à nouveau d’être lancé contre eux. (Photo: Erol Önderoglu / RSF) ---- 22.10.2012 - Quatre journalistes condamnés à des peines de prison en trois jours En trois jours, quatre journalistes ont été condamnés à des peines de prison en Turquie. Deux autres ont été remis en liberté conditionnelle en attente de leur jugement. Les médias pro-kurdes toujours dans l’œil du cyclone Le 16 octobre 2012, Kenan Karavil et Seyithan Akyüz ont été condamnés respectivement à treize ans et demi et douze ans de prison par la 8e chambre de la cour d’Assises d’Adana (Sud). L’ancien directeur de la station locale Radyo Dünya (Radio Monde) et le collaborateur du quotidien en langue kurde Azadiya Welat (Pays libre) ont été reconnus coupables d’appartenance à l’Union des communautés du Kurdistan (KCK, liée au PKK). Ils figurent parmi les 45 protagonistes de ce procès qui ont été condamnés à un total de 419 ans et deux mois de prison. Deux autres accusés ont été acquittés. Le lendemain, le reporter de l’agence pro-kurde Diha, Murat Ciftçi, a été condamné à huit ans et neuf mois d’emprisonnement par la 7e chambre de la cour d’Assises de Diyarbakir (Sud-Est) pour « collaboration » avec le KCK. Il avait été remis en liberté en attente de son jugement après cinq mois de détention provisoire, en avril 2012. Reporters sans frontières a par ailleurs appris la remise en liberté conditionnelle, par la 5e chambre de la cour d’Assises de Diyarbakir, d’une autre reporter de Diha, Gülsen Aslan, le 17 octobre. Arrêtée le 4 février dernier, elle avait été relâchée puis à nouveau incarcérée quelques jours plus tard à la demande du parquet. D’après Diha, le collaborateur d’Azadiya Welat Safak Celen a lui aussi été remis en liberté. Tous deux figuraient parmi les 34 suspects incarcérés dans la province de Batman pour appartenance présumée au KCK. Gülsen Aslan risque jusqu’à quinze ans de prison. Le procès reprendra le 26 décembre prochain. C’est également le 26 décembre que débutera, devant la 10e chambre de la cour d’Assises d’Adana, le procès d’Özlem Agus, journaliste de Diha. Incarcérée depuis le 6 mars 2012, elle est accusée de liens avec le « Comité des médias » du KCK, tout comme l’éditeur de Diha Ali Bulus et le collaborateur d’Azadiya Welat Ferit Köylüoglu. L’acte d’accusation de 300 pages, rédigé à l’encontre de 54 suspects (dont 20 sont en détention préventive), reproche notamment à Özlem Agus d’avoir couvert des manifestations d’une manière « qui respecte l’idéologie » du PKK, et d’avoir « communiqué à la chaîne Roj TV des informations susceptibles de faire la propagande du PKK ». Les conversations téléphoniques professionnelles entre Özlem Agus et Ali Bulus, tout comme celles passées par Ferit Köylüoglu à des distributeurs d’Azadiya Welat, sont considérées comme autant de pièces à conviction par le parquet. Ce dernier reproche aussi à Ferit Köylüoglu d’avoir distribué lui-même des numéros du journal et de s’être renseigné sur les ventes. La diffusion d’Azadiya Welat n’est pourtant pas interdite. Dénouement provisoire dans l’affaire Atilim D’après des informations communiquées par les avocats des prévenus, la 9e chambre de la Cour suprême a confirmé, le 15 octobre, la peine de prison à perpétuité prononcée contre la rédactrice en chef de journal Atilim, Hatice Duman, accusée d’être l’une des dirigeantes du Parti communiste marxiste-léniniste (MLKP, interdit). La Cour a en revanche annulé la condamnation prononcée contre son collègue Necati Abay, porte-parole de la Plate-forme de solidarité avec les journalistes emprisonnés. La 12e haute cour criminelle d’Istanbul l’avait condamné à dix-huit ans et neuf mois d’emprisonnement en 2003 pour des accusations similaires. Mais si la Cour a jugé que Necati Abay n’était pas l’un des dirigeants de l’organisation, elle l’accuse toujours d’en être membre. Le journaliste risque donc jusqu’à quinze ans de prison. « Tolérance zéro » pour Taraf qui dénonce la torture Le quotidien Taraf (Camps), critique à l’égard du gouvernement et de l’armée, a été contraint par la justice à publier, dans son numéro du 13 octobre, un démenti de Sedat Selim Ay, chef adjoint de la section antiterroriste d’Istanbul, accusé d’actes de torture dans les années 1990 (voir ci-dessous). Au nom de la présomption d’innocence, la 2e chambre du tribunal correctionnel d’Istanbul a cassé une précédente décision de justice qui concluait que Taraf avait publié des informations « d’intérêt général ». Huit collaborateurs du journal restent poursuivis pénalement dans cette affaire. Du 22 juillet au 2 août 2012, le quotidien avait publié douze articles citant des témoignages de victimes, qui identifiaient Sedat Selim Ay comme leur tortionnaire. Le Premier ministre, Recep Tayyip Erdogan, s’en était vivement pris aux médias critiquant la protection accordée à ce haut fonctionnaire par le gouvernement, en contradiction avec son objectif de « tolérance zéro » à l’égard de la torture. La promotion de Sedat Selim Ay avait suscité de vives polémiques cet été : quelques années auparavant, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) avait condamné la Turquie pour avoir failli à son obligation de « mener une enquête et un procès effectifs » dans cette affaire. --------- 12.10.2012 – Malgré la réforme, le harcèlement judiciaire des journalistes se poursuit à un rythme effréné Trois mois après l’adoption de la loi 6352, Reporters sans frontières dresse un bilan d’étape de l’application de cette réforme censée desserrer la pression judiciaire sur les médias. « Nous nous réjouissons des libérations dont ont enfin pu bénéficier plusieurs journalistes, souvent incarcérés sans jugement depuis des mois voire des années. Néanmoins, force est de constater que le climat judiciaire à l’égard de la presse ne s’est pas amélioré. Des dizaines de journalistes restent emprisonnés et malgré les dispositions de la loi 6352, les décisions de maintien en détention provisoire ne sont guère plus justifiées qu’auparavant. Comme nous le craignions, de nombreuses affaires échappent au champ de la réforme sous prétexte d’accusations de ‘terrorisme’. En outre, de nouvelles poursuites ont été lancées pour des délits d’opinion, auxquelles la loi ne s’applique pas puisqu’elle se limitait aux ‘délits’ commis avant le 31 décembre 2011 », a déclaré l’organisation. « La loi 6352 constitue un pas en avant. Mais nous le répétons, les réformes à la marge ne suffisent plus, pas plus qu’une éventuelle amnistie générale comme la Turquie en a connu plusieurs. Les libertés publiques ne seront durablement garanties que lorsque la Loi antiterroriste, le Code pénal et le Code des procédures pénales seront débarrassés de la logique répressive qui les imprègne», a conclu l’organisation. La réforme adoptée le 5 juillet 2012 prévoit la suspension pour trois ans de toutes les poursuites et condamnations prononcées pour des « délits de presse et d’opinion », dès lors que les accusés risquent un maximum de cinq ans de prison et que les faits ont été commis avant le 31 décembre 2011. Si les intéressés ne commettent aucun délit de même nature pendant cette période, leur dossier sera définitivement classé. Dans le cas inverse, l’enquête ou le procès suspendu reprendra son cours. Reporters sans frontières avait souligné que cette procédure plaçait de fait les journalistes en sursis pendant trois ans, pendant lesquels ils étaient contraints au silence ou à l’autocensure. C’est cette disposition qui vient de s’appliquer au célèbre journaliste Cüneyt Özdemir, chroniqueur du quotidien Radikal et présentateur d’une émission populaire sur CNN Türk, qui risquait de trois mois à deux ans de prison pour «insulte à un fonctionnaire dans l’exercice de ses fonctions » (article 125 du code pénal). Le 16 octobre 2012, un tribunal de police d’Istanbul a suspendu pour trois ans les poursuites engagées contre lui pour des tweets critiquant le président de la 14e chambre de la Cour de cassation, Fevzi Elmas. Le journaliste nie être l’auteur des messages incriminés, et affirme que la justice l’a mis en cause sur la seule foi d’un article publié en novembre 2011 sur le site conservateur Star Medya. Cet article l’identifiait comme l’auteur des tweets, qui critiquaient une décision de justice validée par la Cour de cassation dans une affaire d’abus sexuel collectif sur mineure en 2002 à Mardin (est du pays). La justice avait conclu que les 26 accusés avaient agi avec le « consentement » de la victime de 13 ans et leur avaient accordé des circonstances atténuantes, puis la peine avait été suspendue car l’affaire avait fait prescription. Des journalistes libérés, mais toujours inquiétés Reporters sans frontières a appris la libération conditionnelle de Mehmet Günes, éditeur du périodique Türkiye Gerçegi (La réalité de la Turquie), incarcéré depuis décembre 2011 pour appartenance présumée au groupuscule «Quartier général révolutionnaire ». Cette décision a été prononcée le 5 octobre 2012 par la 9e chambre de la cour d’Assises d’Istanbul, qui a dit « tenir compte de la durée passée en détention préventive » par le journaliste. Son procès se poursuivra le 28 décembre prochain. Le journaliste Hakan Soytemiz, éditeur du périodique Red (Non) incarcéré depuis octobre 2010 dans la même affaire, avait été libéré le 9 juillet 2012. Le «Quartier général révolutionnaire » est accusé d’être à l’origine d’attentats contre des institutions étatiques et le parti AKP au pouvoir afin de déstabiliser le gouvernement, à l’instar d’Ergenekon. Le 6 septembre 2012, Sedat Senoglu, directeur de publication de l’hebdomadaire de gauche Atilim (Elan), a finalement été libéré. Accusé d’appartenir au Parti communiste marxiste léniniste (MLKP, illégal), Sedat Senoglu était emprisonné depuis six ans sans avoir été jugé. La 15e chambre de la cour d’Assisses d’Istanbul a pris en compte la « possibilité d’un changement de l’accusation », ainsi que le nombre d’années que le journaliste avait déjà passé en prison. 26 personnes sont jugées dans le cadre de la même affaire. Parmi elles, 11 sont toujours détenues, dont Füsun Erdogan, ancienne directrice de la publication d’Özgür Radio, et Bayram Namaz, chroniqueur d’Atilim. Tous deux sont également emprisonnés, en attente de leur jugement, depuis 2006. Murat Aydin, reporter de l’agence de presse pro-kurde Diha (Tigre), a été remis en liberté conditionnelle à l’issue d’une audience tenue le 18 septembre 2012 par la 3e chambre de la cour d’Assises de Van (est du pays). Le journaliste, accusé de collaboration avec l’Union des Communautés du Kurdistan (KCK), était maintenu en détention préventive depuis onze mois. Son procès se poursuivra le 27 novembre. Le reporter du quotidien Vatan (Patrie) Cagdas Ulus, lui aussi accusé de liens avec le KCK, a été remis en liberté conditionnelle le 13 septembre 2012 en même temps que Cihat Ablay, employé de la société de distribution Firat. La 15e chambre de la cour d’Assisses d’Istanbul a considéré que « la nature des accusations portées contre le journalistes pouvait changer ». Les deux hommes avaient été arrêtés en décembre 2011 avec 42 autres professionnels des médias, dont 34 restent en détention. La prochaine audience de ce procès de masse est fixée au 12 novembre. Dans un autre volet de la même affaire, le chroniqueur du quotidien en langue kurde Azadiya Welat et membre du BDP Hasan Özgünes, incarcéré depuis un an, restera également en prison. De nouvelles poursuites Ferhat Arslan, reporter de l’agence Diha, a été emprisonné le 5 octobre sur décision de la 9e chambre de la cour d’Assises d’Adana (Sud). Il avait été relâché moins d’une semaine auparavant après quatre jours de garde à vue, mais le parquet avait fait appel de sa remise en liberté. Le journaliste figure parmi 25 individus soupçonnés d’appartenir au KCK, dont des militants du parti pro-kurde légal BDP et de l’Association des droits de l’homme (IHD), ainsi que l’employé de Radyo Ses (Voix) à Mersin (Sud-Est), Mahir Ögretmen. Un journaliste accusé de blasphème Le journaliste et écrivain d’origine arménienne Sevan Nisanyan fait l’objet d’une plainte en justice déposée le 5 octobre par des responsables du parti politique islamiste Saadet (Félicité), pour ses commentaires sur Twitter du film controversé « L’innocence des Musulmans ». Les plaignants accusent Sevan Nisanyan de blasphème et d’insulte au prophète Mahomet, et demandent qu’il soit condamné pour « insulte » ou « incitation à la haine sur la base de distinctions religieuses ». Plus inquiétant, le quotidien islamiste Milli Gazete (Journal national) a appelé les procureurs à réagir en prétendant que « l’inertie de la justice met à bout les patiences », une menace à peine voilée contre le journaliste. En une de son édition du 7 octobre, le journal a interverti la photographie de Sevan Nisanyan et celle d’une vache, qui illustrait un autre article. Plainte du Parti des Travailleurs contre un journaliste Le Parti des Travailleurs (IP) a porté plainte contre le journaliste d’origine arménienne Robert Koptas, directeur de la publication de l’hebdomadaire turco-arménien Agos, pour une chronique du 24 août intitulée « La visite honteuse rendue à IP ». Le journaliste y critiquait la visite rendue par le président du Parti de la Liberté et de la Solidarité (ÖDP) à IP et son organe de presse, Ulusal Kanal, après une série de perquisitions et d’interpellations qui y avaient été menées dans le cadre de l’enquête Ergenekon. Robert Koptas y voyait une manifestation de soutien déplacée. Il se voit réclamer 10 000 livres turques (4 350 euros) de dommages et intérêts pour propos « insultants » et « contraires à la vérité ». Intimidation judiciaire du quotidien Taraf Sedat Selim Ay, haut fonctionnaire mis en cause pour son rôle dans des actes de tortures commis contre des prisonniers dans les années 1990, a porté plainte contre huit journalistes du quotidien Taraf (Camps), qui critiquaient sa nomination au poste de directeur adjoint de la section antiterroriste d’Istanbul. Sedat Selim Ay avait déjà accusé le journal de l’avoir « exposé dans la ligne de mire d’organisations terroristes » en dévoilant son identité. Il lui reproche maintenant d’avoir diffusé des témoignages de victimes de la torture le pointant du doigt ainsi que son équipe. En conséquence, le parquet d’Istanbul a lancé une enquête à l’encontre des rédacteurs en chef Tuncer Köseoglu et Burhan Ekinci, des chroniqueurs Mehmet Baransu et Melih Altinok, ainsi que des reporters Sümeyra Tansel, Adnan Keskin, Tugba Tekerek et Hüseyin Özkaya. En outre, les deux directeurs de publication et trois autres journalistes de Taraf ont été convoqués par le parquet pour « insulte » et « calomnie » pour des chroniques parues en juillet sur la même affaire. Des journalistes poursuivis par le chef d’Etat-major des armées Le général Necdet Özel, chef d’état-major des armées, a porté plainte contre le journaliste Fatih Altayli, chroniqueur et directeur de la publication du quotidien HaberTürk, pour un article du 9 septembre intitulé « Schopenhauer avait raison ». Le général réclame 50 000 livres turques (environ 22 000 euros) de dommages et intérêts au journaliste qui l’aurait « offensé ». Dans son article, Fatih Altayli critiquait la gestion de l’armée par le général Özel en faisant référence à l’explosion accidentelle d’un dépôt de munitions à Afyonkarahisar (Ouest), qui avait coûté la vie à 25 appelés. Le journaliste avait cité la phrase d’Arthur Schopenhauer : « La notion d’honneur n’existe pas dans les sociétés d’Orient ». Le procès commencera dans les prochains mois. Le général Necdet Özel venait déjà de porter plainte contre le journaliste Cüneyt Ülsever sur la base de l’article 95 du Code pénal militaire, qui réprime l’« humiliation d’un représentant de l’Etat dans l’exercice de ses fonctions». ----- 07.08.2012 - Le rédacteur en chef d’un quotidien kurde relâché après deux ans de détention préventive Le 7 août 2012, la 5e Chambre de la cour d’assises de Diyarbakir (sud-est du pays) s’est prononcée en faveur de la libération conditionnelle du journaliste Ozan Kilinç, emprisonné depuis le 22 juillet 2010. Le tribunal fait droit à une requête de son avocat, sur le fondement de la loi 6352 votée le 5 juillet dernier. Ancien propriétaire et rédacteur en chef du quotidien kurde Azadiya Welat (Pays libre), Ozan Kilinç avait été condamné, le 7 avril 2011, à six ans et neuf mois de prison ferme pour “propagande” au bénéfice du PKK (Parti des Travailleurs Kurdes) et pour “crime commis au nom de l’organisation”, en vertu de l’article 7 de la loi 3713 antiterroriste et de l’article 220 du code pénal. Cette décision, prise en seconde instance, réduisait sa peine initiale, fixée par la 9e Chambre de la cour de cassation, le 9 février 2010, qui l’avait condamné à vingt-un an de réclusion. ----------------------------------------------------------------------- 27.07.2012 - Paquet de réforme : trois journalistes restent en prison après trois ans de détention préventive Le 27 juillet 2012, la 13e chambre de la Cour d’assises d’Istanbul a rejeté la demande de libération des journalistes Mustafa Balbay, chroniqueur du quotidien kémaliste Cumhurriyet (République), Tuncay Özkan, propriétaire de la chaîne Biz TV (Nous TV), et Mehmet Haberal, propriétaire de la chaîne BTV d’Ankara. Les trois journalistes sont maintenus en détention depuis près de trois ans dans le cadre de l’affaire Ergenekon. A ce jour, plus de 200 audiences se sont tenues pour examiner leur dossier. La Cour n’a pas saisi l’occasion de relâcher les journalistes en vertu de la loi 6352, qui préconise la limitation des détentions préventives. Reporters sans frontières rappelle que plusieurs dizaines de journalistes sont toujours détenus en Turquie. ----------------------------------------------------------------------- 27.07.2012 - Suivi des dernières audiences Reporters sans frontières prend acte de la libération, le 23 juillet 2012, du journaliste Vedat Kursun, ancien rédacteur en chef du quotidien en kurde Azadiya Welat (Peuple Libre, en kurde), décidée par la Cour d’assises de Diyarbakir, après trois ans et sept mois de prison. “Nous prenons acte de cette remise en liberté. L’adoption du paquet de réformes devrait accélérer le rythme des libérations, qui reste encore insuffisant. Nous demandons à ce que tous les journalistes encore emprisonnés pour avoir fait leur travail ou à cause de leur supposée collaboration avec des organisations illégales, puissent bénéficier de la liberté conditionnelle", a déclaré Reporters sans frontières. Suite à la décision de la Cour de Diyarbakir, Vedat Kursun a pu quitter la prison de type E, de Giresun, où il était détenu depuis le 30 janvier 2009. Le journaliste avait été condamné à seize ans et six mois de prison pour “propagande en faveur du PKK”, à cause de plusieurs articles sur la question kurde et sur les exactions commises au Kurdistan. Il a pu bénéficier des effets de l’adoption, le 5 juillet dernier, de la loi 6352 qui prévoit la suspension, voire l’abandon, des poursuites judiciaires à l’encontre des journalistes accusés de faire la propagande d’organisations terroristes. Le texte de loi préconise également la libération des représentants des médias accusés d’appartenir ou d’avoir “collaboré” avec des organisations illégales. A ce jour, près de 90 représentants de médias d’opposition (kurde, laïc, gauche) restent emprisonnés, jusqu’à la tenue de la prochaine série d’audiences. Une minorité d'entre eux ont toutefois déjà été reconnus coupables des charges qui pesaient contre eux. Le procès de Ragip Zarakolu, hautement symbolique Le procès du célèbre journaliste, éditeur et défenseur des droits de l'homme, Ragip Zarakolu, s'est déroulé du 13 au 21 juillet 2012. Après une lecture publique de l'acte d'accusation (environ 2400 pages au total), réalisée en alternance par deux présentateurs de la télévision turque invités pour l'occasion, la Cour a finalement décidé un report de l'audience à la rentrée prochaine. Depuis son instauration, la loi 6352 a entraîné peu de libérations de journalistes. Le rédacteur en chef du périodique kurde Hawar (Solution), Bedri Adanir, ainsi que son collaborateur Ozan Kilinç, attendent toujours que leur libération soit discutée lors des jours ou des semaines à venir. Haci Bogatekin, nouvelle condamnation Le 27 juin, la 3e chambre de la Cour d'assises de Malatya (sud-est du pays) a reconnu coupable de "relai de propagande du PKK" le journaliste de l’hebdomadaire Gerger Firat (Gerger Euphrate), Haci Bogatekin. Il a été condamné à un an de prison ferme, en vertu de l’article 215 du code pénal pour “éloge d’un crime ou d’un criminel”. Le jugement, décidé en l'absence du journaliste, fait suite à la publication d'une chronique intitulée “Feto et Apo” (diminutifs pour Fethullah Gülen et Abdullah Öcalan), publiée le 8 janvier 2008. Le journaliste y critiquait notamment les interventions répétées des forces de police et de l’armée dans les montagnes où vivent retranchés les militants du PKK, et leur manque d’efficacité contre la communauté religieuse de Fethullah Gülen, très critiquée par les milieux laïcs turcs. Dans une autre chronique, il avait rendu publiques les menaces du procureur Sadullah Ovacikli qui l'avait sommé de s’excuser d’avoir insulté Fethullah Gülen. Il avait été immédiatement incarcéré et détenu pendant 109 jours pour “insulte”, “diffamation” et “tentative d’influence d'une procédure judiciaire”. Haci Bogatekin a déclaré à Reporters sans frontières qu’il saisirait la Cour de cassation afin de contester le verdict. Poursuites suspendues Affaire OdaTV Mi-juillet 2012, la 12e chambre de la Cour d’assises d'Istanbul a statué en faveur d’un abandon des poursuites judiciaires contre le rédacteur en chef d’OdaTV, Baris Terkoglu, détenu depuis le 14 février 2011 pour avoir supposément collaboré avec l’organisation terroriste Ergenekon. Le journaliste était accusé d’avoir mis en danger la vie de certains chefs du renseignement à Istanbul, de juges et de procureurs chargés de l’enquête Ergenekon, en publiant, dans son article “Ces photos vont faire du bruit", des clichés les montrant ensemble en train de jeûner, à l’occasion du Ramadan. Il avait été considéré que les photos pouvaient exposer les hauts fonctionnaires à des représailles de la part d’organisations terroristes. Inculpé sous l’article 6, alinéa 1 de la loi 3713 antiterroriste, le journaliste risquait jusqu’à trois ans d’emprisonnement. La Cour n’a pas attendu l’audience du mercredi 19 juillet pour relaxer provisoirement le journaliste. Ce dernier pourrait voir son dossier définitivement classé au terme d’une période de trois ans, si toutefois il n'est pas de nouveau arrêté pour des motifs similaires. Les poursuites contre le rédacteur en chef du quotidien républicain Cumhuriyet, Güray Öz, ont également été suspendues. Ce dernier avait participé à la diffusion des photos prises par Baris Terkoglu. Bien qu'il n'avait pas été détenu, il faisait cependant l’objet d’une enquête. Quant aux autres collaborateurs du site odatv.com, Soner Yalçin, Baris Pehlivan et Yalçin Küçük, ils n’ont pas pu bénéficier d’une amnistie. Lors de la prochaine audience de leur procès, qui devrait se tenir à la mi-septembre, leur remise en liberté pourrait être envisagée. Journalistes libérés Yürüyüs, un autre volet du paquet de réforme En vertu de la loi 6352, qui privilégie le contrôle judiciaire aux arrestations systématiques, la rédactrice en chef de l’hebdomadaire d’extrême gauche Yürüyüs (Marche), Halit Güdenoglu, ainsi que ses collaborateurs, Cihan Gün, Naciye Yavuz, Kaan Ünsal et Musa Kurt, ont été libérés le 20 juillet. Les journalistes étaient détenus depuis le 24 décembre 2010. La décision a été prononcée par la 11e chambre de la cour d’assises d’Ankara, qui a pris en compte “la durée passée en détention” et les "pièces à convictions”. La Cour a transféré les dossiers au procureur afin que ce dernier puisse préparer son réquisitoire et remettre les enregistrements réalisés lors de l’enquête. Les journalistes ont interdiction de quitter le territoire national. Une journaliste libérée après trois mois de détention L'ancienne rédactrice en chef du périodique d'extrême gauche Yeni Evrede Mücadele Birligi (Combat dans la Nouvelle Période), Gülnaz Yildirim Yildiz, a été libérée de la prison de Bakirköy (Istanbul), le 23 juillet. Elle se trouvait en prison depuis le 27 avril dernier, date à laquelle la Cour de cassation avait confirmé sa condamnation à trois ans et neuf mois d'emprisonnement pour "propagande" au bénéfice du TKEP/L (Parti communiste turc du travail/léniniste). Mehmet Karaaslan, libéré à un mois de la fin de sa peine Le 13 juillet dernier, le reporter de l’Agence pro-kurde Diha, Mehmet Karaaslan, a été libéré de la Prison de Birecik, à Şanlıurfa (sud-est du pays), où il purgeait une peine de six ans et trois mois de prison pour sa supposée appartenance au PKK. Il aurait dû être libéré dans le courant du mois d’août 2012 mais la 7e chambre de la cour d’assises d’Adana s’est finalement prononcée en faveur de sa libération anticipée, en vertu de la loi 6352. Il avait été arrêté le 19 avril 2007 lors d’une manifestation où on lui avait reproché d’avoir scandé des slogans de soutien au leader du PKK emprisonné, Abdullah Öcalan.
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Updated on 20.01.2016