Censure d'Internet : le Président de la République doit rejeter la loi votée par le Parlement

Reporters sans frontières dénonce vigoureusement le vote par le parlement turc, dans la soirée du 5 février 2014, d'amendements renforçant drastiquement la censure d'Internet. L'organisation avait réclamé mi-janvier l'abandon de ce texte liberticide. « Ce vote est catastrophique pour la liberté de l'information en ligne. Il autorise le gouvernement à censurer encore plus largement Internet, à surveiller les usagers et à prendre le contrôle des intermédiaires techniques. La Turquie suscitait déjà l'inquiétude en matière de cybercensure : avec cette loi, elle passe un important palier. Nous appelons instamment le président de la République, Abdullah Gül, à ne pas promulguer ce texte qui contrevient à la Constitution turque et aux conventions internationales ratifiées par le pays », déclare Christophe Deloire, secrétaire général de Reporters sans frontières. Les amendements à la loi n°5651 sur Internet ont été votés après quelques heures d'un débat houleux, tard dans la soirée du 5 février 2014. Ils font partie d'un texte hétéroclite qui doit encore être approuvé dans son intégralité, une fois que chacun de ses différents points aura été voté. Les amendements prévoient le blocage sans décision de justice de tout contenu portant « atteinte à la vie privée » ou jugé « discriminatoire ou insultant ». Les intermédiaires techniques, enrôlés au sein d'une Union des fournisseurs d'accès, risquent des peines très sévères s'ils ne se conforment pas aux ordres de censure. Ils sont par ailleurs tenus de conserver les données de connexion des internautes pendant deux ans et de les présenter aux autorités sur simple demande. Consultez l'analyse détaillée de la loi dans le précédent communiqué de Reporters sans frontières. L'adoption de ces amendements est d'autant plus préoccupante qu'elle intervient dans un contexte de forte pression gouvernementale sur les acteurs de l'information. Les sites d'information yenidonem.com et vagus.tv, respectivement gérés par les journalistes Mehmet Baransu et Serdar Akinan, ont été bloqués ces dernières semaines, tout comme les plate-formes Vimeo et Soundcloud. Tous avaient divulgué des éléments relatifs à différentes affaires de corruption, qui ébranlent le gouvernement depuis décembre 2013. De même, les sites d'information T24.com.tr, gercekgundem.com, haber.sol.org.tr et yarinhaber.net ont été contraints par la TIB de supprimer des articles consacrés au rôle présumé du premier ministre Recep Tayyip Erdogan dans le rachat du groupe de médias ATV-Sabah. L'injonction a même concerné la seule mention d'une question parlementaire à ce sujet posée par le député d'opposition Umut Oran. Le vote du parlement a suscité un concert de protestations en Turquie et à l'étranger. Le juriste et expert de l'Internet turc Yaman Akdeniz a dénoncé « un cauchemar orwellien », tandis que l'Union des journalistes de Turquie (TGC) a estimé que le texte « constituait une atteinte à des droits fondamentaux tels que la liberté d'expression et la protection des données personnelles ». La Commission européenne a fait part de sa « forte préoccupation » et exigé que le texte soit « révisé conformément aux standards de l'Union européenne ». Les autorités turques sont régulièrement condamnées par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) pour leur recours à la cybercensure. Dans un jugement de décembre 2012, la Cour soulignait que « toute restriction d'accès à une source d'information n'est compatible avec la Convention que si un cadre légal strict encadre la portée du blocage et offre la garantie d'une recours en justice pour éviter de possibles abus ». (Photos: Adem Altan / AFP)
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Updated on 20.01.2016