Canada - Lettre conjointe à l’Office national de l'énergie : stop à la chasse aux sorcières envers les sources des journalistes

Dans une lettre conjointe, Reporters sans frontières (RSF) et Journalistes canadiens pour la liberté d'expression (CJFE) ont écrit à Peter Watson, le président de l’Office nationale de l’énergie (ONÉ) après avoir appris que l’ONÉ a engagé des enquêteurs privés pour identifier les sources d’un journaliste. RSF et CJFE s'inquiètent pour la liberté de la presse et la protection des sources au Canada.

Peter Watson

Président

Office national de l’énergie

517 Tenth Avenue SW, Suite 210

Calgary, AB, T2R 0A8


Le 12 mai 2017,


Cher M. Watson,


Nous vous adressons cette lettre au nom de deux organisations non-gouvernementales qui œuvrent au soutien et à la protection de la liberté de la presse et de la liberté d’expression à travers le monde : Reporters sans frontières (RSF) et Journalistes canadiens pour la liberté d'expression (CJFE).


Nous sommes profondément troublés d’apprendre que l’Office nationale de l’énergie (ONÉ), le régulateur canadien de l’énergie, a engagé des détectives privés pour enquêter sur ses employés et déterminer s’ils avaient divulgué des informations aux médias. Cette affaire a été révélée par National Observer dans un reportage spécial consacré aux secrets du gouvernement canadien et des entreprises. L’enquête journalistique a été menée par le rédacteur en chef, Mike De Souza, et d’autres reporters de l’Observer.


L’investigation en cours décidée par l’ONÉ coûtera 24 150 dollars au gouvernement fédéral, donc au peuple canadien. Bien que l’ONÉ assure qu’aucun journaliste n’a été espionné dans le cadre de cette enquête, il n’en reste pas moins que cette chasse aux sorcières envers les lanceurs d’alerte est une source d’inquiétude pour la presse canadienne et les citoyens.


Les informations d’intérêt public divulguées par les lanceurs d’alerte sont essentielles pour les journalistes et le grand public, d’autant plus lorsqu’elles révèlent des fautes impliquant un gouvernement ou des entreprises. Pour que les journalistes puissent continuer à demander des comptes aux puissants, les lanceurs d’alerte doivent être protégés et non pas menacés par des enquêtes et des mises sous surveillance à répétition.


Le 6 septembre 2016, Mike De Souza a envoyé un email au cadre exécutif de l’ONÉ Sylvain Bédard lui demandant des explications sur une plaisanterie, faite lors d’un meeting le 30 août. La mauvaise blague portait sur le fait d’utiliser des Tasers sur des militants environnementaux. A la suite de cet email, une enquête a été lancée pour savoir comment Mike De Souza avait eu vent de ce commentaire. L’ONÉ a ensuite passé, le 20 septembre, un contrat avec la société Presidia Security Consulting dans le but d’identifier d’éventuels lanceurs d’alerte parmi ses employés. Dans un message informant le personnel de cette investigation, Sylvain Bédard avait alors qualifié les lanceurs d’alerte de “risques pour la sécurité”. L’ONÉ a refusé les demandes d’interview de Mike De Souza et ne lui a fourni aucune information sur la nature ou l’objectif de cette enquête, se contentant de promettre que ni lui ni aucun autre journaliste ne serait surveillé.


CJFE et RSF condamnent vivement l’utilisation par l’ONÉ de fonds fédéraux pour financer une enquête privée visant ses employés et ayant pour effet de museler d’éventuels lanceurs d’alerte. Les lanceurs d’alerte devraient être protégés de manière adéquate par la loi canadienne. Nous nous joignons d’ailleurs aux appels lancés par les syndicats du secteur public au gouvernement fédéral pour qu’il adopte un système législatif permettant de protéger les lanceurs d’alerte qui dénoncent les agissements de leur direction. Dans l’état actuel des choses, ces employés témoins de fautes ou d’injustice sont incités à garder le silence, via des mesures d’intimidation comme l’enquête privée lancée par l’ONÉ. Il faut au contraire qu’ils prennent la parole. Nous condamnons ces méthodes qui consistent à réduire au silence les lanceurs d’alerte et, par extension, les journalistes, au travers desquels les histoires de ces hommes et femmes doivent être racontées.


Le 26 avril dernier, RSF a publié son Classement mondial de la liberté de la presse 2017, dans lequel le Canada a chuté de 4 places. Le pays se situe désormais à la 22e place sur 180 pays. Il y a seulement deux ans, il figurait parmi les dix premiers du Classement. Il est plus important que jamais de protéger l’accès à l’information et la liberté de la presse et de faire en sorte que le Canada retrouve sa place de leader exemplaire parmi les démocraties mondiales.


Nous vous remercions pour votre attention et attendons votre réponse.


Cordialement,


Alice Klein, Présidente, CJFE

Delphine Halgand, Directrice du bureau Amérique du Nord, Reporters sans frontières


Image credit: Bea Vongdouangchanh

Publié le
Mise à jour le 12.05.2017