Attaques contre les médias pro-régime : lettre ouverte à l'opposition

Lire en arabe (بالعربية) A l’attention de : Riyad Al Asaad - Armée syrienne libre Abdel Basset Sayda - CNS Cc: “Amis de la Syrie” Objet : Attaques croissantes contre des médias officiels syriens et exactions contre leur personnel Messieurs, Reporters sans frontières, organisation internationale de défense de la liberté de l'information, souhaite vous faire part de sa vive préoccupation quant à la multiplication des actes de violence perpétrés contre les journalistes syriens, y compris les professionnels des médias officiels ou pro-régime. Comme vous le savez sans doute, notre organisation dénonce depuis deux décennies la main de fer du clan Assad sur l’information dans ce pays. Depuis le début du soulèvement, en mars 2011, nous condamnons avec force les innombrables exactions perpétrées par les troupes et les milices du régime de Bashar al-Assad contre les journalistes, professionnels ou net-citoyens, locaux ou étrangers, qui tentent de couvrir les manifestations de l’opposition et leur répression. Nous nous efforçons de soutenir, moralement et matériellement, ceux qui luttent pour faire leur devoir d’information et mettre à bas le blocus médiatique mis en place par le régime. Nous avons à de multiples reprises alerté la communauté internationale sur l’ampleur massive des violations des droits de l’homme commises en Syrie, en particulier le degré de censure mis en place par les autorités. Mais depuis plusieurs semaines, notre organisation recense malheureusement un nombre croissant de violations de la liberté de l’information du côté des forces qui combattent le régime. Les employés des médias pro-gouvernementaux syriens sont de plus en plus fréquemment la cible d’enlèvements et d’assassinats ciblés : l’exécution, le 3 août 2012, du présentateur Mohammad Al Saïd, enlevé à son domicile à la mi-juillet, a été revendiquée par le groupe islamiste Al-Nosra. Le 5 août, Talal Janbakeli, cameraman de la télévision officielle syrienne, a été kidnappé à Damas par la katiba Haroun Al-Rachid de l’Armée syrienne libre (ASL). Le 10 août, une équipe de la chaîne privée pro-gouvernementale Al-Ikhbariya a été faite prisonnière par un autre détachement de l’ASL ; d’après les informations dont nous disposons à l’heure actuelle, l’un de ses membres serait mort, tandis que ses collègues ont été contraints à des “aveux” forcés devant les caméras. Le lendemain, le journaliste Ali Abbas, de l’agence officielle Sana, a été tué à son domicile, à Jdaidet Artouz. Depuis fin juin, les locaux de plusieurs médias d’Etat ou pro-gouvernementaux ont également été visés par des attentats à la bombe. Plusieurs reporters étrangers nous ont rapporté avoir été la cible de menaces de mort de la part de groupes de l’opposition. Certains ont été enlevés par des groupuscules djihadistes. De telles pratiques rappellent tristement celles employées par le régime de Bashar Al-Assad contre les journalistes d’opposition. Nous avons conscience de la diversité de l’opposition syrienne. Cependant, nous vous demandons, en tant que représentants suprêmes de ses principales composantes, de condamner publiquement ces exactions et de diligenter les enquêtes nécessaires. Votre statut actuel de belligérant, comme celui de facilitateur de la transition à laquelle vous aspirez, vous obligent à respecter le droit international et à l’imposer aux différentes forces de l’opposition, civiles ou militaires. Les conventions et règlements internationaux, notamment la résolution 1738 du Conseil de sécurité de l’ONU, imposent à toutes les parties en conflit le devoir de protéger les professionnels de l’information. Nous condamnons avec la plus grande fermeté la diffusion, par les médias, de messages de propagande, incitant à la haine ou à la violence contre les populations civiles. Il n’en reste pas moins que, professionnels ou net-citoyens, les journalistes ne doivent en aucun cas être pris pour cibles. Leur intégrité et leur dignité doivent être respectées, afin de protéger la liberté de l’information elle-même. L’Armée syrienne libre et les autres composantes de l’opposition doivent immédiatement libérer, sans condition, les journalistes et collaborateurs des médias qu’elles détiennent, dont les membres de l’équipe d’Al-Ikhbariya faits prisonniers le 10 août. Elles doivent immédiatement abandonner la pratique dégradante subie par de nombreux journalistes détenus, contraints à des déclarations filmées visiblement extorquées sous la menace. De tels agissements sont non seulement contraires au respect des droits de l’homme et à vos responsabilités internationales. Ils sont également contre-productifs, dans la mesure où ils ne peuvent que nuire à l’image de l’opposition syrienne, vis-à-vis de la population comme de ses soutiens internationaux. Je vous remercie à l'avance pour l'attention que vous porterez à ce courrier et vous prie d’agréer, Messieurs, l’expression de ma haute considération. Christophe Deloire
Directeur général de Reporters sans frontières
Publié le
Mise à jour le 20.01.2016