Appel au soutien pour cinq journalistes déclarés “objectifs militaires” dans un email attribué aux “Aigles noirs”

Un courrier électronique inquiétant circule depuis le 17 février 2011 et menace directement la vie de cinq journalistes et plusieurs représentants d’ONG, dont la Fédération colombienne des journalistes (Fecolper). Envoyé d’un compte gmail au nom d’Aguilas Fénix, le message porte la signature du bloc central des “Aigles noirs”, redoutable groupe paramilitaire à l’origine de campagnes de terreur contre la presse. “L’heure est arrivée d’exterminer et d’éliminer toutes les personnes et organisations qui se font passer pour des défenseurs des droits de l’homme et qui s’infiltrent comme ONG internationales, des journalistes (…) et qui sont en réalité des démobilisés des FARC et du M19. (…) Nous lançons menace de mort et élimination contre les organisations sociales qui continuent à désintégrer les politiques et l’état de conscience du peuple. Nous déclarons mort et persécution”, est-il écrit dans le message, qui cible une soixantaine d’organisations paysannes, féministes ou dédiées à la défense des droits de l’homme. Parmi la trentaine de personnes désignées comme “objectifs militaires” figurent cinq journalistes : Eduardo Márquez González, président de Fecolper ; Hollman Morris, directeur du programme "Contravía" ; Daniel Coronell, directeur de "Noticias Uno" (vice-président de la chaîne Univisión aux Etats-Unis depuis janvier 2011) ; Marcos Perales Mendoza, directeur du journal Periódico Portada de Bucaramanga et Claudia Julieta Duque de Radio Nizkor. “C’est la première fois que je suis menacé et qu’on m’identifie par mes deux noms de famille. D’habitude, je n’en utilise qu’un seul”, a confié à Reporters sans frontières Eduardo Márquez González, dont l’organisation représente plus d’un millier de journalistes dans tout le pays. Selon lui, deux hypothèses expliqueraient la menace portée contre sa personne. “Le travail mené par Fecolper contre l’impunité dans la mort du journaliste Clodomiro Castilla, journaliste de Montería” ou “notre récent rapport qui rend le gouvernement responsable de la situation de la presse en Colombie”. Claudia Julieta Duque a, quant à elle, jugé étrange que le bloc central de Bogotá des “Aigles noirs” focalise sur des journalistes qui couvrent des thèmes nationaux. Cette déclaration de guerre contre la société civile est à prendre très au sérieux. Elle s’adresse à des journalistes connus pour leur position critique vis-à-vis de la politique dite de “sécurité démocratique” en vigueur depuis le double mandat d’Alvaro Uribe (2002-2010). Ces mêmes professionnels des médias sont les premières victimes du scandale du DAS, qui a révélé les dangereuses accointances entre le milieu paramilitaire, les services de renseignements et les plus hautes sphères de l’État. Ces menaces soulignent également que le paramilitarisme, loin d’avoir désarmé depuis le processus de “démobilisation” mené entre 2003 et 2006, reste un danger majeur et permanent pour la démocratique et les libertés publiques. Les paramilitaires bénéficient d’une scandaleuse impunité en vertu de la loi “Justice et paix” adoptée en 2005. La promesse d’enquête des autorités policières concernant le message du 17 février ne suffit pas. Le gouvernement de Juan Manuel Santos doit donner un gage politique fort contre le paramilitarisme. Dans le département du Valle del Cauca, au début de ce mois, d’autres journalistes ont été déclarés “objectifs militaires”, dans un message signé des Autodéfenses unies de Colombie (AUC) : Luis Fernando Gil, du programme “Hora 13” diffusé par la chaîne CNC ; Raúl Parra, directeur de publication de la revue Hoja de Parra et Héctor Fabio García. Supplétifs de l’armée dans la lutte contre les guérillas, les AUC, organisation phare des paramilitaires comptait 30 000 combattants avant le processus de “démobilisation”. Depuis 2006, les intéressés se sont en majorité reconvertis dans le meurtre sous contrat et le narcotrafic, mais 5 000 à 8 000 d’entre eux auraient repris leurs activités paramilitaires au sein d’une vingtaine de groupes – dont les “Aigles noirs” - présents dans douze départements.
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Mise à jour le 20.01.2016