Alors que l'UE veut oublier Andijan, les journalistes subissent toujours la paranoïa policière

Dernier exemple en date du harcèlement de la presse et de la paranoïa des autorités, les journalistes indépendants Vassili Markov et Sid Yanyshev ont récemment été interrogés pendant plus de dix heures par la police et le SNB (services secrets, ex-KGB) du fait de leur activité professionnelle. "Alors que l'Union européenne vient de lever les dernières sanctions qui pesaient encore contre Tachkent, ce nouvel épisode prouve qu'il n'y a pas de libéralisation du régime et que la société civile ouzbèke se trouve toujours sous la pression de l'arbitraire et de la dictature", a déclaré Reporters sans frontières. Le 10 octobre 2009, les deux journalistes de Tachkent rentraient d'un reportage sur les difficultés que rencontrent les habitants pour passer la frontière kirghize dans la région d'Andijan (Est). Apercevant Sid Yanyshev en train de prendre une photo depuis son taxi, un douanier les a stoppés et, après un premier interrogatoire, les a conduits auprès du commandant du poste frontière. Les deux journalistes ont été fouillés - leurs téléphones portables confisqués -, avant d'être interrogés une seconde fois sur les raisons de leur présence dans la région. Quelques heures plus tard, ce sont deux officiers du SNB, spécialement dépêchés d'Andijan, qui les ont interrogés à nouveau et ont découvert les cassettes audio contenant les interviews réalisées durant le reportage. Dans l'une d'entre elles, un défenseur des droits de l'homme local revient sur les émeutes d'Andijan en 2005 et de Khanabad en 2009. Dès lors, l'attitude des officiers se fait encore plus suspicieuse, et les journalistes sont transférés au poste de police principal de la ville de Karasu. Ils doivent attendre plusieurs heures dans la cour intérieure du commissariat, avant d'être à nouveau interrogés par le commandant adjoint du poste de police et un autre officier du SNB. L'incident se termine finalement par la remise aux journalistes de leur appareil photo et de leur dictaphone, mais les policiers conservent les cassettes audio. De retour à Tachkent, les deux journalistes ne sont plus inquiétés et l'on pourrait croire l'incident clos. Sid Yanishev publie un article pondéré décrivant la situation à Andijan comme calme. Cependant, des sources bien informées lui apprennent que le SNB est déterminé à demander au parquet l'ouverture d'une enquête contre lui pour "préparation et diffusion de matériaux contenant une menace à la sécurité et à l'ordre publics" (art. 244-1 du Code pénal). D'après les mêmes sources, Vassili Markov se trouverait également dans la ligne de mire des services secrets. Ce n'est pas la première fois que le journaliste indépendant est directement menacé. Le 9 juillet, il a été passé à tabac par deux inconnus, qui l'ont prévenu abruptement : "Ce n'est pas bien d'écrire pour tous les sites suspects. Il ne faut écrire que pour (les journaux officiels) Uzbekistan Today et Narodnoe Slovo." Vassili Markov se trouvait alors dans un quartier de Tachkent où il n'avait pas l'habitude de se rendre ; aussi en a-t-il conclu qu'il était suivi ou que son téléphone portable était tracé. L'Union européenne avait voté des sanctions contre l'Ouzbékistan en octobre 2005, à la suite du refus de Tachkent d'autoriser une commission d'enquête internationale à faire la lumière sur l'écrasement dans le sang de la révolte d'Andijan au mois de mai de la même année. L'usage inconsidéré et disproportionné de la force - la police avait fait feu sur la foule - avait fait des centaines de victimes, dont seules 188 sont reconnues par les autorités. Par ailleurs un black out complet s'était abattu sur la presse locale et étrangère dans le pays. Les sanctions prévoyaient notamment, l'interdiction de visas pour douze responsables ouzbeks, un embargo sur les ventes d'armes et la suspension partielle de l'accord de partenariat et de coopération entre l'UE et l'Ouzbékistan. A partir du mois de novembre 2006, l'UE a progressivement levé ces dispositions et a annoncé, le 27 octobre dernier, avoir mis un terme à la dernière, l'embargo sur les ventes d'armes. Une décision très critiquée dans un communiqué de presse conjoint de trois organisations de défense des droits de l'homme, Reporters sans frontières, Human Rights Watch et International Crisis Group. Dix journalistes sont actuellement emprisonnés en Ouzbékistan, dont Dilmurod Sayid condamné à douze ans de prison en septembre, et Solidjon Abdourakhamanov, condamné à dix ans au mois de juin. Pour plus d'information indépendante sur l'Ouzbékistan : uznews.net (Photo AFP)
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Mise à jour le 20.01.2016