Affaire Lydia Cacho : la justice de l'État de Quintana Roo refuse de délivrer des mandats d'arrêt contre les principaux suspects

Reporters sans frontières est scandalisée par la décision, annoncée le 2 juin 2008, de la justice de l'État de Quintana Roo (Sud-Est) de ne pas donner suite à la demande du ministère fédéral de la Justice d'émettre des mandats d'arrêt contre sept actuels et anciens fonctionnaires de l'État de Puebla (Sud) soupçonnés d'implication dans l'arrestation arbitraire de la journaliste indépendante Lydia Cacho, en décembre 2005. Le magistrat Benjamín Navarrete a expliqué que les charges en question - notamment “torture” et “falsification de documents” - devaient être notifiées aux suspects par la justice de leur État d'origine, en l'occurrence celui de Puebla. Au mois d'avril dernier, le ministère fédéral de la Justice avait également sollicité la délivrance d'un mandat d'arrêt contre José Camel Nacif, un entrepreneur du textile mis en cause par Lydia Cacho pour sa présumée appartenance à un réseau de pédophilie et dont la plainte en “diffamation” contre la journaliste avait été à l'origine de l'arrestation de celle-ci. La justice de Quintana Roo ne s'est toujours pas prononcée sur le sort de l'homme d'affaires, proche de Mario Marín, le gouverneur de l'État de Puebla, également suspect d'avoir commandité l'arrestation et le transfert de Lydia Cacho de l'État de Quintana Roo, où elle réside, vers celui de Puebla. Le gouverneur de Puebla a pour sa part été lavé de toute accusation par la Cour suprême de justice de la nation (SCJN), la plus haute juridiction du pays, le 29 novembre 2007. _______________________________ 03.04 - Acte de censure des autorités de Puebla contre Lydia Cacho : "Il ne fait pas bon être journaliste et parler de pédophilie" Reporters sans frontières s'inquiète du sort réservé aux journalistes qui traitent du thème de la pédophilie au Mexique, notamment après la tentative de censure par les autorités de Puebla (Sud), le 30 mars 2008, de la présentation - prévue le 5 avril - du nouveau livre de la journaliste indépendante Lydia Cacho. Depuis le début de l'année, deux autres professionnelles des médias, Sanjuana Martínez, du quotidien régional Milenio Diario de Monterrey, et Carmen Aristegui, de la station W Radio, se sont vues retirer la responsabilité d'une rubrique ou résilier leur contrat. La première avait mis en cause des ecclésiastiques dans des affaires de pédophilie, la seconde avait révélé les circonstances de l'arrestation en décembre 2005 de Lydia Cacho, sur ordre du gouverneur de l'État de Puebla, Mario Marín. “Si nous n'avons pas pour principe d'intervenir sur des décisions internes à un média, les explications avancées par les rédactions de Milenio Diario de Monterrey et de W Radio concernant la suppression de la rubrique de Sanjuana Martínez et le limogeage de Carmen Aristegui nous paraissent peu convaincantes. Nous constatons, une fois de plus, que Lydia Cacho continue de payer cher son travail d'enquête sur des réseaux pédophiles impliquant des personnalités de premier plan. Il ne fait visiblement pas bon être journaliste et parler de pédophilie au Mexique. Dans un contexte de très fortes pressions sur les médias dès que ce thème est abordé, la présentation du nouveau livre de Lydia Cacho, à laquelle doivent assister ses deux collègues, constitue un acte de courage que nous saluons. Il ne faudrait pas que cet événement subisse la moindre entrave”, a déclaré Reporters sans frontières. Le 30 mars 2008, la police de Puebla a fait retirer de force une annonce murale de la présentation, prévue une semaine plus tard, du nouveau livre de Lydia Cacho. Les autorités ont argué que l'affiche “ne répondait pas à certaines normes de sécurité”. Une autre affiche a aussitôt remplacé la précédente. Dans “Mémoires d'une infâmie”, publié par la maison d'édition Random House Mondadori, Lydia Cacho revient, entre autres, sur son arrestation, en décembre 2005, et les attentats et tentatives d'intimidation dont elle a été victime depuis la publication des “Démons de l'Eden”, un livre dans lequel elle révélait l'implication de certaines personnalités en vue dans des affaires de pédophilie. Parmi les personnes mises en cause était cité José Camel Nacif, un entrepreneur du textile proche du gouverneur de l'État de Puebla, Mario Marín. Random House Mondadori a confié à Reporters sans frontières que six radios et journaux locaux avaient annulé in extremis des interviews prévues avec Lydia Cacho à l'occasion de la sortie du livre. Par ailleurs, Mario Alberto Mejía, responsable du site d'informations Quinta Columna, s'est plaint de blocages de sa page Internet dans les bureaux du gouvernement de Puebla. Le scandale suscité par l'arrestation de Lydia Cacho avait éclaté lorsque deux médias, le quotidien national La Jornada et W Radio, avaient rendu public le contenu de conversation téléphonique entre Mario Marín et José Camel Nacif au moment du transfert de la journaliste en fourgon blindé, de l'État du Quintana Roo (Est) où elle réside, vers l'État de Puebla. Les deux hommes auraient suggéré “en plaisantant” de violer la journaliste pendant le trajet. Malgré ces indices graves, Mario Marín a bénéficié d'un non-lieu prononcé, le 29 novembre 2007, par la Cour suprême de justice de la nation (SCJN), la plus haute juridiction du pays. Carmen Aristegui, à l'origine des révélations sur W Radio et qui y tenait une émission depuis cinq ans, a été limogée de la station le 3 janvier 2008, pour “incompatibilité éditoriale”. Une “restructuration des pages” a été le motif invoqué par la direction de Milenio Diario de Monterrey pour faire savoir, le 29 février 2008, à Sanjuana Martínez que sa chronique hebdomadaire était supprimée. La directrice du journal, Roberta Garza Medina, s'est défendue de toute censure auprès de Reporters sans frontières. Tout en faisant part de ses propres incertitudes, Sanjuana Martínez a néanmoins rappelé à l'organisation qu'elle venait de publier une enquête concernant un prêtre soupçonné de pédophilie, toujours en fonction et protégé par la hiérarchie ecclésiale. Roberta Garza Medina est la sœur du vicaire général des Légionnaires du Christ, une mouvance ultraconservatrice de l'Église catholique déjà éclaboussé par ce genre de scandales. Le 1er avril 2008, des militants d'associations pour la cause des femmes ont protesté publiquement à Monterrey contre la suppression de la chronique de Sanjuana Martínez. A l'instar de sa collègue Lydia Cacho, la journaliste s'est fait connaître à travers deux livres - “Manto Púrpura” (“Robe pourpre”) et “Prueba de fe” (“Preuve de foi”) -, fruits d'une longue enquête sur la pédophilie dans l'Église romaine.
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Updated on 20.01.2016