Affaire KCK : Ragip Zarakolu et trois autres journalistes risquent la prison

Le procès du célèbre éditeur et journaliste Ragip Zarakolu, et de ses confrères Songül Karatagna, Kazim Seker et Hasan Özgünes, s’ouvre aujourd’hui devant la 15ème chambre de la cour d’Assises d’Istanbul chargée des dossiers de terrorisme et de crime organisé. Au total, 193 accusés comparaissent dans le dossier KCK (Koma Civaken Kurdistan, Union des communautés du Kurdistan), dont 132 sont toujours en détention préventive. Le procès se tiendra au sein même de la prison de haute sécurité de Silivri, au nord d’Istanbul. « Internationalement reconnu comme une icône de la défense des droits de l’homme et de la liberté d’expression en Turquie, Ragip Zarakolu risque une nouvelle fois d’être envoyé en prison. Le voici à nouveau contraint de s’expliquer devant la justice pour ses prises de position courageuses. Ce seul fait en dit long sur le terrible retour en arrière qui menace aujourd’hui la presse et la société civile turques », a déclaré Reporters sans frontières. « Le procès qui s’ouvre aujourd’hui est hautement symbolique. Criminalisation de la liberté d’expression, abus de la détention provisoire, recours à la loi antiterroriste et à un tribunal d’exception : les travers du système judiciaire turc sont poussés jusqu’à la caricature. Une fois de plus, l’amalgame règne et la justice, fidèle à son interprétation répressive de la loi, assimile des intellectuels critiques à des terroristes armés. Tous les journalistes encore en détention doivent immédiatement être remis en liberté et bénéficier d’un procès équitable. » Arrêté le 28 octobre 2011 en dépit de son âge (63 ans) et de sa santé fragile, Ragip Zarakolu a été remis en liberté conditionnelle le 10 avril dernier, ainsi que Songül Karatagna. Comme un aveu de la faiblesse du dossier, la Cour a décidé de prendre en compte « l’état des preuves », « la durée passée en détention » et « la possibilité que le chef d’accusation puisse changer ». Kazim Seker et Hasan Özgünes, en revanche, sont toujours détenus dans la prison de Kandira, dans la ville de Kocaeli (Nord-Ouest). Fondateur de la ligue de défense des droits de l’homme IHD, Ragip Zarakolu est depuis longtemps en première ligne pour la reconnaissance du génocide arménien et les droits des minorités. Sa maison d’édition Belge (Document) œuvre concrètement à repousser les limites de la censure sur ces sujets. Ancien directeur de publication du journal pro-kurde Özgür Gündem, il collabore régulièrement avec Günlük Evrensel et préside le Comité pour la liberté de publier au sein de l’Union turque des éditeurs (TYB). Son action lui a valu de nombreuses récompenses internationales. En février 2012, alors qu’il était en prison, il a été nominé pour le Prix Nobel de la Paix. Il est aujourd’hui accusé d’avoir « aidé volontairement l’organisation (KCK), bien qu’il soit établi qu’il ne fait pas partie de sa hiérarchie ». Si l’enquête s’était intéressée à ses chroniques pour Özgür Gündem et à ses « trop nombreux » voyages à l’étranger, l’acte d’accusation lui reproche essentiellement d’avoir assisté à l’inauguration de l’Académie politique d’Istanbul, liée au parti pro-kurde BDP (légal et représenté au Parlement), et d’y avoir donné des cours. Jugé sur le fondement des articles 220.7 et 314.3 du Code pénal et de l’article 5 de la Loi 3713 antiterroriste, il risque jusqu’à 15 ans de prison. Les éditeurs du quotidien Özgür Gündem, Kazim Seker et Songül Karatagna sont quant à eux accusés d’appartenir au PKK et risquent respectivement 15 et 20 ans de prison. Hasan Özgünes, chroniqueur du quotidien en langue kurde Azadiya Welat, est accusé de faire partie des dirigeants du PKK. L’acte d’accusation se fonde essentiellement sur des livres retrouvés chez eux, leur présence lors de manifestations ou à l’Académie politique d’Istanbul. De nombreux représentants d’organisations et de médias internationaux se sont déplacés pour assister à l’ouverture du procès, malgré une interdiction annoncée la veille par le président du tribunal. Parmi eux, le correspondant de Reporters sans frontières Erol Önderoglu, le représentant du conseil d’administration de l’Association internationale des éditeurs (IPA) Bjørn Smith-Simonsen et le président de son Comité pour la liberté de publier Alexis Krikorian, le vice-président de PEN International Eugene Schoulgin et la directrice de son Comité des écrivains en prison Sarah Wyatt. Le 29 juin, des centaines de manifestants se sont réunis à l’appel de la plate-forme GÖP sur l’avenue Istiklal d’Istanbul, aux cris de « Videz les prisons, liberté aux journalistes ! », pour demander la libération immédiate et sans condition des journalistes emprisonnés. Depuis 2009, plus de 5000 personnes ont été arrêtées dans le cadre des opérations policières de grande envergure lancées contre le KCK, soupçonné d’être le pilier urbain du PKK. Parmi elles, de nombreux représentants locaux du BDP, avocats, journalistes et syndicalistes. Une quarantaine de professionnels des médias ont été interpellés en décembre 2011 lors de rafles coordonnées dans plusieurs villes du pays. Dans un autre volet de l’affaire, le procès de 37 avocats incarcérés depuis l’automne s’ouvrira le 16 juillet 2012, en présence de représentants du Barreau de Paris. Pour aller plus loin: - Lire le rapport d'enquête de la FIDH sur la criminalisation des défenseurs des droits de l'homme: "Présumés coupables" (juin 2012) - Lire le rapport d'enquête de Reporters sans frontières sur les rapports entre justice et médias en Turquie: "Un livre n'est pas une bombe" (juin 2011) - Le blog Freedom for Ragip! (en anglais) - Dossier "Liberté pour Ragip Zarakolu" sur le site du collectif VAN (en français), qui recense les divers appels et pétitions de soutien (Photo: Today's Zaman / AA)
Publié le
Updated on 20.01.2016