Adoption définitive du projet de loi Perben : une menace pèse toujours sur le secret des sources des journalistes

Les sénateurs ont porté de trois mois à un an le délai de prescription pour les infractions de presse. Dans la perspective de l'examen du texte en seconde lecture par l'Assemblée nationale, le 26 novembre, Reporters sans frontières demande aux députés de revoir la copie de la chambre haute.

Le 11 février 2004, le projet de loi Perben a été définitivement adopté par l'Assemblée nationale. Un recours a cependant été introduit le même jour devant le Conseil constitutionnel par plus de cent vingt députés et sénateurs. Le texte, communément appelé "Perben II", est positif pour la liberté de la presse dans la mesure où ont été abrogés, conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), le délit d'offense à chef d'Etat étranger et l'article 2 de la loi du 2 juillet 1931, qui interdisait la publication, avant décision judiciaire, de toute information relative à des constitutions de partie civile.
Une inquiétude demeure cependant quant à l'utilisation qui sera faite des pouvoirs de réquisition supplémentaires accordés aux officiers de police judiciaire, aux procureurs de la République et aux juges d'instruction. Les articles 80 et 116 du texte adopté disposent que lorsque les réquisitions concernent les personnes mentionnées à l'article 56-2 du code de procédure pénale (CPP), c'est-à-dire les entreprises de presse, "la remise des documents ne pourra intervenir qu'avec leur accord". Si elles ne répondent pas à ces réquisitions, elles ne s'exposeront pas à l'amende de 3 750 euros prévue en cas d'absence de réponse "dans les meilleurs délais" à une réquisition.
Mais seules les entreprises de presse sont mentionnées à l'article 56-2, pas les journalistes considérés comme de simples "personnes" et donc, selon le texte, tenus de répondre aux réquisitions. Reporters sans frontières a tenté de faire étendre la procédure prévue à l'article 56-2 du CPP - à savoir l'exigence de la présence d'un magistrat en cas de perquisition dans les locaux d'une entreprise de presse - au domicile du journaliste. Mais ni les sénateurs, ni les députés n'ont adopté l'amendement proposé par l'organisation. Ce texte fait donc peser une véritable menace sur le secret des sources des journalistes indépendants et d'investigation qui conservent chez eux bon nombre de leurs informations. Dès lors que ceux-ci seront "susceptibles de détenir des documents intéressant l'enquête", ils seront tenus de les remettre à l'officier de police judiciaire ou au procureur qui en fera la demande dans le cadre d'une enquête préliminaire ou au juge d'instruction. S'ils refusent, ils devront payer une amende de 3 750 euros. ___________ 28.11.2003 Projet de loi Perben : l'Assemblée nationale revient sur les dispositions introduites par le Sénat Les députés ont rétabli le délai de prescription de trois mois pour les infractions de presse, à l'exception des infractions à caractère raciste et discriminatoire pour lesquelles le délai est porté à un an. ____________ 20.11.2003 Projet de loi Perben : Reporters sans frontières demande aux députés de supprimer un amendement adopté par le Sénat Dans une lettre adressée, le 19 novembre 2003, à Jacques Barrot, Jean-Marc Ayrault, Hervé Morin et Alain Bocquet, présidents des groupes politiques de l'Assemblée nationale, Reporters sans frontières a demandé aux députés de retirer un amendement du projet de loi Perben "portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité", adopté par le Sénat le 8 octobre dernier, qui porte de trois mois à un an le délai de prescription en matière d'infraction de presse, c'est-à-dire de diffamation, d'injure ou encore d'atteinte à la présomption d'innocence. Les députés doivent examiner ce texte en seconde lecture le 26 novembre. "La prescription de trois mois est fondamentale pour la presse et pour la liberté d'expression. Elle est un rempart pour le journaliste qui doit prouver que ce qu'il a dit est vrai, qu'il a mené une enquête sérieuse, qu'il a en main les preuves de ce qu'il avance, et qu'enfin, des témoins peuvent attester de la véracité de ses écrits ou de ses déclarations", a expliqué Robert Ménard, secrétaire général de Reporters sans frontières. "Qui gardera, en effet, pendant toute une année les preuves de tout ce qu'il a écrit ou dit ? Qui se souviendra au bout d'un an des détails de "l'enquête sérieuse" qu'il a obligation d'avoir menée ? Le délai de trois mois est une garantie importante pour la défense, en l'occurrence le journaliste et son média. Ce texte constitue une attaque frontale contre les droits des journalistes et ce qu'il est convenu d'appeler le journalisme d'investigation", a-t-il ajouté. L'article 16 du projet de loi prévoit de modifier l'article 65 de la loi sur la presse de 1881. Selon le texte actuellement en vigueur, les poursuites pour infractions de presse doivent être engagées dans un délai de trois mois à compter du jour où l'infraction a été commise. Le lancement des poursuites ouvre alors un nouveau délai de prescription de trois mois au cours duquel un acte de procédure doit intervenir, sinon, la prescription s'impose. Avec le nouveau texte, s'il est adopté, les poursuites doivent toujours être engagées dans un délai de trois mois. Mais celles-ci n'ouvrent plus un nouveau délai de prescription de trois mois, mais d'un an. Reporters sans frontières a par ailleurs demandé aux députés qu'ils adoptent l'amendement présenté par le sénateur Louis de Broissia - et rejeté par la Chambre haute - qui étend au domicile des journalistes les garanties dont bénéficient les entreprises de presse, à savoir la présence d'un magistrat lors de toute perquisition (article 56-2 du code de procédure pénale). Cette mesure irait dans le sens d'une meilleure garantie du secret des sources, souvent malmené au cours des dernières années.
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Updated on 20.01.2016